CONFLIT ISRAELO-PALESTINIEN

La Cour internationale de justice ordonne l’arrêt immédiat des opérations militaires à Rafah

Une Palestinienne se tient à côté d'un bâtiment endommagé après une frappe aérienne israélienne à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 22 mai 2024, AFP

La Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction des Nations unies, a rendu vendredi après-midi, 24 mai, un arrêt ordonnant à Israël de « mettre immédiatement fin à son offensive militaire à Rafah ». Sa décision est une réponse à une requête déposée par l’Afrique du Sud. Mais vendredi soir, les combats étaient toujours en cours dans le sud de la bande de Gaza… L’instance fustige aussi le Hamas indiquant qu’il est « profondément troublant » que des otages israéliens soient toujours détenus par l’organisation terroriste.

Cette décision, qui n’a pas vraiment surpris, a été prise à la suite d’une requête déposée la semaine dernière par l’Afrique du Sud, qui demandait l’adoption d’un certain nombre de mesures à l’encontre d’Israël, l’accusant d’intensifier ce qu’elle considère comme un génocide.

Le président de la CIJ, Nawaf Salam, a déclaré, dans les attendus de l’arrêt, , que « La Cour constate que les inquiétudes exprimées dans sa décision de février concernant la situation (…) se sont avérées justifiées et que la situation humanitaire peut désormais être qualifiée de désastre ». La décision a été adoptée par treize magistrats sur les quinze qui composent actuellement la Cour (parmi les deux qui s’y sont opposés, on compte l’Ougandaise Julia Seburinde, vice-présidente du Tribunal).

Un arrêt qui ne concerne que Rafah, pas le reste de la bande de Gaza

Nawaf Salem a ajouté que « la Cour estime que les développements actuels, particulièrement graves à Rafah, et le déplacement d’une population vulnérable à Gaza, constituent un changement de situation » dans le cadre de ses règles. En conséquence, la CIJ ordonne « l’arrêt immédiat » des opérations militaires à Rafah, l’ouverture d’un point de passage pour l’aide humanitaire et l’autorisation, pour des enquêteurs mandatés par l’ONU, d’entrer immédiatement dans la bande de Gaza pour vérifier les allégations de « génocide ».

La Cour estime que les développements actuels, particulièrement graves à Rafah, et le déplacement d’une population vulnérable à Gaza, constituent un changement de situation.

On soulignera que le juge Salem a également déclaré que la Cour trouvait « profondément troublant » que des otages israéliens soient toujours détenus par le Hamas et d’autres groupes armés à Gaza, il a appelé à « leur libération immédiate et inconditionnelle ».

Par ailleurs, il est important de noter que seul l’arrêt des opérations « à Rafah » (dans l’extrême sud de la bande de Gaza) est ordonné et que les combats peuvent donc se poursuivre partout ailleurs, ce qui laisse une considérable marge de manœuvre à l’armée israélienne.

AFP

(De gauche à droite) Le juge Nawaf Salam, le juge Abdulqawi Ahmed Yusuf et le juge Georg Nolte assistent à une audience à la Cour internationale de Justice (CIJ) dans le cadre de la demande de cessez-le-feu de l’Afrique du Sud à la Haye, le 24 mai 2024, au milieu du en cours entre Israël et le mouvement Hamas. (Photo par Koen van Weel / ANP / AFP).

Arrêt salué par l’ambassadeur palestinien

Liyad Mansour, ambassadeur palestinien auprès des Nations unies, a salué la décision de la cour et demandé à Israël de s’y conformer. « Nous attendons que les résolutions de la CIJ soient appliquées sans hésitation », a-t-il déclaré.

Nous attendions de la Cour qu’elle décide de l’arrêt de l’agression dans toute la bande de Gaza et pas uniquement dans la zone de Rafah.

Le Hamas, pour sa part, s’est montré plus critique : « Nous attendions de la Cour qu’elle décide de l’arrêt de l’agression dans toute la bande de Gaza et pas uniquement dans la zone de Rafah. Ce qu’il se passe à Jabaliya et dans d’autres endroits n’est pas moins criminel et dangereux que ce qu’il se passe à Rafah », peut-on lire dans un communiqué de l’organisation terroriste.

Israël ne compte pas s’arrêter

La lecture de l’arrêt a été immédiatement suivie, à Jérusalem, d’une réunion d’urgence convoquée par le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, à l’issue de la laquelle le conseiller à la sécurité nationale, Tzachi Hanegbi, et le ministère des Affaires étrangères ont publié un communiqué conjoint. « Israël n’a pas mené et ne mènera pas d’opérations militaires dans la zone de Rafah qui créent des conditions de vie susceptibles d’entraîner la destruction de la population civile palestinienne, en tout ou en partie », lit-on dans le communiqué. Benny Gantz, ministre sans portefeuille dans le « cabinet de guerre » créé après le pogrom du 7 octobre 2023, a déclaré pour sa part qu’Israël poursuivrait son offensive « partout et chaque fois que cela sera nécessaire, y compris à Rafah ».

L’opposition israélienne critique la CIJ… et Netanyahou

Le chef de l’opposition israélienne, Yair Lapid, a critiqué la décision, qualifiant « d’échec moral abject » le fait que la CIJ n’ait pas établi de lien entre le bombardement de Rafah et la libération des otages. Mais il n’a pas, pour autant, ménagé l’exécutif de Benyamin Netanyahou. « Un gouvernement sensé et professionnel aurait dû empêcher les folles déclarations de ses ministres, arrêter les délinquants qui bloquent les camions d’aide humanitaire et effectuer un travail politique silencieux et efficace. Si la gestion était bonne, nous serions déjà avec un accord de normalisation avec l’Arabie Saoudite, une coalition régionale qui serait entrée à Gaza et un large soutien international dans notre lutte juste contre le terrorisme meurtrier. Avec ce gouvernement nous ne pourrons pas gagner », a-t-il précisé.

Un gouvernement sensé et professionnel aurait dû empêcher les folles déclarations de ses ministres, arrêter les délinquants qui bloquent les camions d’aide humanitaire et effectuer un travail politique silencieux et efficace.

Le directeur général du ministère sud-africain des Affaires étrangères, Zane Dangor, a qualifié l’arrêt de « révolutionnaire », faisant allusion au fait que c’est la première fois que la Cour ordonne explicitement à Israël de cesser toute action dans une partie de la bande de Gaza. L’un des arguments de Pretoria était d’affirmer que l’Etat hébreu déporte des populations et utilise la famine comme une arme de guerre.

Israël, de son côté, explique s’être donné beaucoup de mal pour s’assurer que les civils étaient hors de danger avant d’envoyer des troupes à Rafah. L’Etat hébreux dit veiller à ce que la nourriture et d’autres fournitures vitales parviennent à Gaza. De fait, plus de 800 000 civils ont quitté Rafah ces dernières semaines alors que Tsahal campait sur ses positions et, s’il est vrai que très peu d’aide est entrée dans le sud de la bande de Gaza depuis près de trois semaines, Israël a autorisé l’entrée de centaines de camions de marchandises, ce qui signifie que dans certaines parties du territoire, la nourriture est disponible.

Au moment même où l’arrêt était lu, les avions israéliens bombardaient Rafah et les blindés de Tsahal se rapprochaient du centre de la ville.

Hugues Krasner