SEISME POLITIQUE EN FRANCE

France : l’alliance Les Républicains/Rassemblement National sonnera-t-elle la fin du « barrage républicain » ?

En acceptant la main tendue du président du Rassemblement National, Jordan Bardella (à gauche sur la photo), le président des Républicains, Eric Ciotti (à droite), précipite l'implosion de son parti. AFP

Mardi matin, 11 juin, sur RTL Paris, Jordan Bardella, le président du Rassemblement National (RN), faisait un appel du pied aux Républicains en les incitant à le rejoindre et à cesser d’être « la béquille électorale d’Emmanuel Macron ». Et son appel a été entendu. Cest la surprise de cette journée politique en France. Après la dissolution surprise de lAssemblée nationale suite aux résultats des élections Européennes, les partis de droite et de gauche sassemblent en blocs polarisés plus que jamais, et font leur mercato. Cest Eric Ciotti, président du parti de droite Les Républicains, qui a franchi, d’après des ténors de son parti, la ligne rouge et a annoncé quil disait oui à une alliance avec le Rassemblement National. Sa réponse a entraîné une grande division de son parti qui est aujourd’hui au bord de l’implosion. Ses proches collaborateurs ont claqué la porte et plusieurs ténors appellent à sa démission. Un bureau du parti est convoqué ce mercredi après-midi, 12 juin. Eric Ciotti a réagi ce mercredi matin indiquant, dans un communiqué, que « le bureau politique convoqué ce mercredi 12 juin 2024 ne répond pas aux exigences démocratiques de nos statuts et de notre règlement intérieur. (…). Il n’a aucune valeur juridique ». Ambiance chez Les Républicains… 

C’est mardi après-midi qu’Eric Ciotti a confirmé une décision qui était devenue, au fil des heures, un secret de polichinelle. Il s’exprimait en début d’après-midi au cours d’une conférence de presse devant le siège du parti Les Républicains (LR). « La voix des LR est trop faible pour sopposer aux deux blocs qui sont les plus dangereux. Nous avons besoin dune alliance en restant nous-mêmes et en évitant le danger des insoumis qui demain pourraient avoir une majorité à lAssemblée nationale, donc il faut une alliance avec le Rassemblement National », a-t-il justifié.

Jordan Bardella, président du Rassemblement National, se réjouit sur X (anciennement Twitter) : « En répondant à cet appel au rassemblement, Eric Ciotti choisit l’intérêt des Français avant celui de nos partis. Unissons nos forces pour lutter contre le chaos migratoire, rétablir l’autorité et l’ordre, et soutenir le pouvoir d’achat des Français. L’union fait la France », a-t-il écrit sur le réseau social. 

Nous avons besoin dune alliance en restant nous-mêmes et en évitant le danger des insoumis qui demain pourraient avoir une majorité à lAssemblée nationale, donc il faut une alliance avec le Rassemblement National.

Même si Eric Ciotti a déclaré qu’il s’agissait de convictions personnelles, sa position de président de parti fait que son annonce n’engage pas que lui, et l’alliance qu’il prône avec le RN pourrait entraîner l’implosion du parti. Il faut dire qu’il y a une cassure chez les Républicains depuis un moment. Pour l’instant, l’intéressé paraît seul, tant les cadres du parti dénoncent sa décision et plusieurs d’entre eux appellent à sa démission de la présidence du parti. C’est le cas de Gérard Larcher, président du Sénat ou d’Olivier Marleix, chef des députés LR. Les sénateurs rejettent aussi l’alliance avec le RN. « Je pense que cest une double faute. A la fois sur le fond et sur la manière. Sur le fond, […] pour être un bouclier dopposition à lAssemblée nationale contre les idéologies dangereuses du Rassemblement national et contre le laxisme du Macronisme. A lunanimité, les sénateurs de mon groupe ont décidé davoir une ligne claire dindépendance et dautonomie. […] Marine Le Pen ne propose pas de coalition, mais des absorptions individuelles. […] Nous ne voulons ni du laxisme dEmmanuel Macron, ni de la démagogie de Marine Le Pen », a réagi Bruno Retailleau, président des LR au Sénat.

Face à la fronde des cadres des LR, Eric Ciotti s’en remet au vote des membres : « seuls les militants… ». En attendant, une réunion d’urgence est convoquée ce mercredi 12 juin à 15h par la secrétaire générale des LR, Annie Genevard. Eric Ciotti a réagi ce mercredi matin indiquant, dans un communiqué, que « le bureau politique convoqué ce mercredi 12 juin 2024 ne répond pas aux exigences démocratiques de nos statuts et de notre règlement intérieur. (…). Il n’a aucune valeur juridique ».

Une droite divisée alors que la gauche sunit

Si pour l’instant le mercato de Marine Le Pen se contente d’avoir acquis Eric Ciotti à sa cause, il ne s’agit donc absolument pas d’une grande coalition de droite pour faire face à la gauche qui, elle, s’est unie rapidement après la dissolution de l’Assemblée sous une nouvelle bannière, le « Front Populaire », une ode à l’élan historique des résistants communistes qui se sont battus pour faire face au nazisme.

Les alliances se font et se défont aujourd’hui, alors que Marion Maréchal Le Pen, qui avait rejoint le parti d’Eric Zemmour, prônait mardi matin un élargissement des alliances avec le RN. Mais elle a reçu, en retour, une fin de non-recevoir de la part de Jordan Bardella, qui ne souhaite pas être associé de près ou de loin à Eric Zemmour.

Cependant, au regard des scores réalisés par le RN dimanche dernier lors des élections européennes, cela pourrait suffire pour qu’Emmanuel Macron soit contraint à une cohabitation avec le RN à Matignon jusqu’en 2027.

AFP

Vice-présidente des Républicains, Florence Portelli, ne mâche pas ses mots à l’égard d’Eric Ciotti dont elle réclame l’exclusion du parti. (Photo par LOIC VENANCE / AFP)

Rupture consommée pour les Républicains

La dissolution de l’Assemblée nationale aura eu pour effet de complètement rebattre les cartes du monde politique français et certainement, sonne le glas du parti de droite républicaine que la France connaissait jusqu’à présent. Si la ligne est claire pour la plupart des ténors républicains qui se sont exprimés, ils sont aussi conscients de la rupture qui est en train de s’opérer entre l’aile qui a des préoccupations régaliennes et qui s’aligne de plus en plus avec la ligne du Rassemblement National, et ceux économiquement libéraux qui se rangent, de plus en plus, derrière le parti présidentiel (Renaissance). La situation chez les LR laisse peu de place pour le parti d’afficher sa propre ligne.

Je suis claire, je ne suis ni avec Macron, ni avec le Rassemblement National. Maintenant, Eric Ciotti, on le vire.

La vice-présidente du parti Les Républicains, Florence Portelli, très remontée contre Eric Ciotti, exprime son refus d’alliance quelles qu’elles soient. « Moi, je suis claire, je ne suis ni avec Macron, ni avec le Rassemblement National. Maintenant, Eric Ciotti, on le vire. Il faudra aussi résoudre les problèmes de démocratie interne au parti quun certain nombre dentre nous dénoncent en interne. Il faut écouter le peuple du parti, la société civile et la France entière », précise-t-elle.

Elle est aussi claire sur les Républicains qui souhaiteraient à leur tour rejoindre le Rassemblement National. « Les gens font ce quils veulent, mais au moins que cela soit clair et quils sen aillent. Même si à la fin on se retrouve à dix, ça n’est pas grave. Au moins, ce sera clair et on restera droit dans nos bottes », a-t-elle poursuivi.

L. J.