Société

En Belgique, 51 378 jeunes bénéficient du RIS

Luc Vandormael, président de la Fédération des CPAS de WallonieBELGA

Avec 25 299 jeunes wallons de moins de 25 ans bénéficiant du Revenu d’Intégration Sociale (RIS) soit 23,91% de la population (3,237 498 habitants), – chiffre d’octobre 2020 -, le président de la fédération des CPAS de Wallonie, Luc Vandormael porte sur la crise sociale et sanitaire un regard préoccupé.
Non seulement sur l’augmentation du nombre de jeunes dépendants des CPAS, mais aussi sur la façon dont les aides financières “covid”, donc provisoires, tiennent pour l’heure la tête de milliers de jeunes hors de l’eau. La Belgique comptait à l’automne dernier, 51.378 RIS de moins de 25 ans, soit 15,8% de la population: 37,19% à Bruxelles Ville, 23,91% en Wallonie et 6,61% en Flandre. Au total, 155 063 Belges dépendaient en octobre dernier du RIS. Soit 13,49% de la population. Le Bureau du Plan prévoit un passage à 180 000 bénéficiaires pour l’an prochain. Dès lors, une question taraude la fédération des CPAS wallons et son président depuis 2015: jusqu’où les financements publics et le gouvernement seront-ils capables d’assumer le choc que provoquera la crise sociale? 

La fin de la crise sanitaire ne mettra pas fin à la crise sociale

Les chiffres inquiètent. Le Hainaut arrive premier avec 28,43% de jeunes bénéficiant du RIS, Mons, Charleroi et la Louvière en tête. Liège province  se classe seconde, avec 27,10 % de sa population, Liège Ville en tête avec 34,99% de jeunes concernés, suivie de Huy (21,75 %) et de Verviers (17,88%). La province de Namur se classe troisième avec 23,30% de jeunes inscrits au CPAS, 25.34% pour Namur, et 20, 27% à Dinant. Les provinces de Luxembourg (11,66% de sa population) et du Brabant wallon (10,13%) ferment le triste peloton. On notera encore qu’à Bruxelles, Molenbeek (60,06%), Saint-Josse-Ten-Noode (49,26%), Schaerbeek (48,59%), Bruxelles (42,21%) et Watermael-Boitsfort (33,51%) sont les communes les plus concernées par la précarité de la jeunesse. En Flandre, à peine concernée par le problème, Gand est la première inquiétée avec 11, 59% de jeunes précarisés. Partout ou presque, les chiffres ont doublé en dix ans.

Luc Vandormael, la précarité d’une certaine jeunesse et son augmentation dans les rangs des inscrits des CPAS wallons, une réalité impossible à résorber?

Cette réalité est hélas la même dans tous les CPAS et je le regrette. L’augmentation du nombre d’étudiants par exemple est en constante évolution et fortement. Il existe plusieurs portes d’entrées au CPAS pour ces jeunes: ceux qui n’ont pas droit aux allocations, ceux qui sont aux études mais dont les parents ne peuvent subvenir à leurs besoins (droits d’inscription, frais de kot, etc),  la troisième catégorie est celle liée au “piège” du statut de cohabitant qui va à l’encontre de la solidarité, celle-ci est pénalisée par ce statut. La “nouvelle” porte, la dernière, en quelque sorte est celle provoquée par la crise covid à savoir certains conflits familiaux latents ont conduit des jeunes à se retrouver sans rien, chassés de la cellule familiale; j’ajouterai aussi tous les jeunes qui ont perdu leurs jobs d’étudiants à cause de la crise et qui ne s’en sortent plus.
Alors non, cette réalité n’est pas fatale mais difficile. Nous disposons d’outils comme les projets individualisés d’intégration sociale, les formations et l’article 60 qui nous permettent de remettre certains d’entre eux au travail et heureusement, certains s’en sortent. Mais toutes les formations ne sont pas accessibles à tous. Certaines nécessitent des qualifications et tous ne sont pas capables d’y accéder. Evidemment, on vise les formations porteuses d’emploi ou les métiers en pénurie mais même là, chacun ne peut y trouver sa place. Parce qu’il y a plus d’allocataires sociaux que de places même dans ces métiers recherchés, et tous, une fois encore, ne peuvent y avoir accès car il s’agit souvent de métiers techniques ou nécessitant des capacités qui là encore ne sont pas à la portée de tous. Mais l’accompagnement individualisé est un plus, encore faut-il que les jeunes soient assidus et respectent le contrat. On est là pour les y aider.

L’explosion des banques alimentaires, partie visible de l’iceberg

Evidemment, à côté des chiffres des jeunes de moins de 25 ans, il y a aussi les exclus du chômage…
Les CPAS sont sous pression. Avant la crise Covid, de 2008 à 2019, nous avons connu une augmentation des demandes d’aides de 56%. Pour une hausse de 2% à peine de travailleurs au sein des CPAS. Comment suivre, quand on est sous-financé? Le système actuel mis en place appauvri les communes et les CPAS. 2020 a connu une hausse de 10 % de personnes bénéficiant du RIS. On prévoit une hausse entre 15 et 30% pour 2021-2025. Si en Belgique aujourd’hui, plus de 150 000 personnes dépendent des CPAS, le Bureau du Plan, les prévisionnistes, annoncent le chiffre de 180 000 2021-2022. Y a de quoi avoir peur, non?! Nous réclamons une augmentation du taux de remboursement du RIS aux CPAS de 90%. C’est ce taux qui nous sert de financement et il est au plus bas avec des proportions qui varient selon la taille des communes (70%/30%) pour les plus grandes et de l’ordre de 55%/45% pour les plus petites en moyenne. L’intervention du fédéral à l’heure actuelle est importante, mais elle ne durera pas, on le sait. Alors comment ferons-nous?! La crise sociale ne s’arrêtera pas avec la crise sanitaire. Sans la sécurité sociale, sans les CPAS, on court à la catastrophe. Les aides Covid qui nous permettent de faire face sont limitées dans le temps, que ferons-nous après?

La crise de la santé mentale touche aussi les jeunes et les étudiants précarisés. Comment y faire face? Comprenez-vous aussi la difficulté pour certains de pousser la porte des CPAS ?

Evidemment, et nous luttons contre cela. La crise actuelle est une importante prise de conscience que tout peut basculer. Nous restons le dernier recours. Nous sommes restés ouverts durant tout le confinement, évidemment, dans le respect des mesures, nous n’avons jamais cessé de fonctionner. Tous les services ne peuvent pas en dire autant.
Nous sommes là pour aider ceux qui en ont le plus besoin. Il n’y a pas de honte à avoir. C’est la raison d’être du CPAS depuis sa création. Ce qui nous préoccupe aussi aujourd’hui est la crise psychologique,  une crise de la santé mentale. Je n’opposerais pas les générations, jeunes contre aînés, ce n’est pas le débat. Mais oui, à travers le nombre de jeunes allocataires du RIS, nous sommes face à ce type de problème lié à l’absence d’école en présentiel, d’un manque de lien social, de loisirs. Passer la porte du CPAS, c’est difficile pour tout le monde et à fortiori, pour les indépendants, habitués à se débrouiller seuls. Pourtant on peut aussi les aider. Mais pour les jeunes aussi c’est compliqué et je crains l’effet retard.

La  ministre de l’Intégration sociale Karine Lalieux a octroyé 10 millions d’euros aux CPAS  afin de promouvoir le bien-être psychologique des usagers des services des centres publics d’action sociale.
De quoi encourager à développer de nouvelles actions, non?
Oui, c’est le cas. Et c’est une très bonne chose. 10 millions d’euros pour tout le pays. Cependant, on sait combien les jeunes ne vont pas aisément voire un psy. Nous travaillons à trouver des voies et moyens appropriés pour les aider aussi sur ce point. Il s’agit d’un travail qui devrait se faire en complémentarité avec les travailleurs sociaux. Je rappelle que nous avons affaire à de nombreux jeunes aussi très vulnérables ainsi qu’à un public inatteignable également, ceux qui ne demandent plus rien tant ils sont dans le désespoir. Vous n’imaginez pas… L’explosion des banques alimentaires en est la preuve.

Eviter le darwinisme social

Justement, que pensez-vous de ces files d’étudiants dans les associations ou au sein des hautes écoles et universités, tous les pôles académiques ont mis en place des services d’aides alimentaires?
C’est déplorable, triste à pleurer. Et ce n’est qu’une partie visible de l’iceberg profond. On n’a plus vu ça depuis la guerre.

Parmi les ainés, certains considèrent que la guerre c’était bien pire, qu’ils ont survécu, que les jeunes peuvent aussi patienter. Cela vous évoque quoi?
Les traumas sont différents, mais je ne jouerais pas au psy, c’est hors de mon champs de compétence. Ce qui est intéressant, c’est ce qui se passera après. Comment ressortirons-nous de tous ça? 1945 fut une prise de conscience, “plus jamais ça”. Dans la foulée, on a créé la sécurité sociale, et les CPAS en 1976. A l’époque, 8000 personnes dépendaient du “minimex”. On prévoirait (le Bureau du Plan) 180.000 RIS l’an prochain…
La résilience aura-t-elle lieu? Je le souhaite mais il faut pour cela aussi repenser le modèle. Il faut rendre sa place au CPAS dans l’arborescence de la Sécurité sociale.  Je rappelle que le montant du RIS est en dessous du seuil de pauvreté.
(Au 1er mars 2020, pour les cohabitants 639,27 euros; pour les personnes isolées 958,91 euros. Les cohabitants avec un enfant à charge 1.295,91 euros/mois.). On ne peut pas à l’avenir continuer d’aider les gens à survivre mais à vivre. Et pour cela, l faut aussi relever les bas salaires. Quelle place donne-t-on à la dignité humaine? Quelle valeur? La fin de la crise doit pouvoir déboucher sur un nouveau modèle structurel, efficace, de longue durée. Jusqu’où les finances publiques et le ou les gouvernements seront-ils capables d’assumer le choc social? C’est un débat de société.

A quel point êtes-vous inquiet?
Avant la crise, la situation des jeunes mais pas seulement, mais ne parlons que d’eux, la situation était préoccupante. Désormais, j’ai peur qu’elle ne devienne dramatique. Il ne faudrait pas sombrer dans le darwinisme social.

Entretien R.K.