OPINION

Femmes, Covid, Emploi…

BELGA

Au rendez-vous du 8 mars, observateurs et militants scrutent les indicateurs afin de s’assurer que les droits des femmes progressent et, pour en venir directement à mon propos, si le marché du travail leur est plus inclusif, voire plus accueillant. D’abord, les bonnes nouvelles.  Ainsi, l’écart salarial se réduit (de 9,4% en 2019 à 9,2 % en 2020), certes légèrement. Le nombre de diplômées de l’enseignement supérieur continue d’augmenter : 53 % des travailleuses possèdent un tel diplôme contre 41 % de leurs homologues masculins. Entre 2019 et 2020, le chômage des femmes à moins augmenté que celui des hommes, en Wallonie du moins contrairement au niveau européen, cela étant probablement dû au fait que l’emploi wallon est caractérisé par une forte présence des secteurs non marchand et administratif.

La crise sanitaire et économique est venue stopper net 6 années d’embellie

A contrario, certains indicateurs n’évoluent pas positivement : 42 salariées sur 100 occupent des postes de travail à temps partiel, qu’ils soient choisis ou subis (10/100 pour les salariés), souvent dans des secteurs ou métiers offrant peu de stabilité ou de perspectives de carrière (pénibilité, postes à basses qualifications).
Si on ajoute à ce facteur le fait que la monoparentalité est assumée à plus de 90 % par des femmes, nulle surprise que le risque de précarité et de pauvreté se concentre davantage sur ces travailleuses.

La crise a touché une majorité de femmes

Et voici qu’arriva la pandémie, qui rendra ce 8 mars 2021 inédit. Si la crise sanitaire et économique est venue stopper net 6 années d’embellie sur le marché de l’emploi, elle va encore accentuer les inégalités non encore résorbées.
Ainsi, comme l’a indiqué le Gouverneur de la Banque nationale, sur un plan macro-économique, la situation n’est pas, objectivement catastrophique – liée aux amortisseurs mis en place (chômage temporaire, droit passerelle, moratoire sur les faillites,…) – car seuls 25 % des secteurs d’activités sont touchés. Mais quels secteurs ! Horeca, métiers de contacts, commerces non essentiels, titres-services,… tous secteurs dont les métiers sont majoritairement exercés par des femmes. Donc, oui, la crise Covid les touche plus durement.

Elle les touche aussi dans les secteurs qui « performent », tels les soins de santé : tout le personnel soignant, hommes et femmes, a été admirable, se dépensant sans compter depuis des mois mais c’est aussi un secteur majoritairement féminin. Ce qui nous conduit à considérer que malgré des campagnes de sensibilisation et autres actions de promotion des métiers depuis plus de 20 ans, les stéréotypes de genre sont encore bien ancrés dans nos sociétés et dans les familles. Une récente enquête du Forem/UCL a montré que les choix d’orientation d’études des jeunes enfants étaient encore majoritairement guidés par le mimétisme familial. Ainsi, les filles restent peu présentes dans les filières STEM, qu’elles soient technologiques ou non.

Le congé parental corona à 2/3 féminin

La crise sanitaire a rendu patent un autre phénomène : la moindre présence des femmes dans les instances de décision, qu’ils s’agisse, en l’occurrence, des experts scientifiques qui conseillent les gouvernements ou les gouvernements eux-mêmes : on pourrait se demander si la stratégie de lutte contre la Covid aurait été différente si on avait inclus des experts d’autres disciplines (santé mentale, sciences humaines – où les femmes sont plus présentes) ou s’il y avait eu davantage de femmes dans le Comité de concertation (sans du tout minimiser l’énorme investissement des ministres de la santé, je salue au passage celui, remarquable, de la Ministre wallonne de la santé). Je pourrais encore rappeler que le congé parental Corona est sollicité, pour 2/3 par des femmes ou qu’elles ne sont qu’1/3 à bénéficier du chômage temporaire. Mais je voudrais m’attarder, pour terminer, sur un phénomène prégnant de cette crise : le télétravail.

Le télétravail, perturbateur d’émancipation sociale

Ainsi, ce qui à priori passe pour un progrès en matière d’organisation de travail, un apparent moyen pour mieux concilier vie professionnelle et vie privée se révèle être un perturbateur d’émancipation sociale. Pour les femmes. Le télétravail n’est pas un sujet neuf, il fait l’objet de débats depuis des décennies déjà, chéri par les uns, redouté par les autres, mais son caractère recommandé puis obligatoire pendant la pandémie a généré une nouvelle vague d’études, analyses et avis en tous genres, souvent dichotomiques : ses avantages (mobilité, bien-être, flexibilité, liberté…) et inconvénients (délitement du corps social, liens sociaux distendus, perte de sens dans le travail, affaiblissement de l’intelligence collective ou encore impacts sur la santé mentale).

Le travail comme épanouissement

Dans la deuxième partie du 20e siècle, aller travailler était devenu un moyen puissant pour les femmes de s’émanciper. En intégrant l’entreprise, les femmes ont trouvé des espaces de partage, des communautés d’intérêts convergents, des lieux où partager des aspirations, voire des émotions, des situations stimulant l’intelligence et l’ambition. Certaines ont pu contribuer aux décisions s’orientant dans des carrières managériales, d’autres dans de la militance ou encore dans des activités périphériques. Je crois qu’elles se sont épanouies et que cet épanouissement a bénéficié à l’ensemble de la société. Mais il faut constamment soutenir le trend, voire l’amplifier. Pendant la crise sanitaire, le télétravail a été davantage le fait des femmes. Et pour certaines, ce fut une gageure, voire une galère, à se partager entre les tâches professionnelles et les enfants – je n’ose aborder le volet des violences conjugales en augmentation. Certaines se réjouiront de retrouver leur lieu de travail. D’autres auront décidé d’organiser leur vie avec une part de télétravail, ce qui est éminemment respectable (et parfois économiquement profitable).

Mais j’ai tout de même une crainte, celle qu’en retournant au foyer, elles ne puissent plus participer à la construction de la cité… Au moment de conclure cette note, j’entends la radio diffuser ces quelques vers chantés :
Elle arrivait des Somalie, Lily
Dans un bateau plein d’émigrés
Qui venaient tous de leur plein gré
Vider les poubelles à Paris.

Malgré des progrès notables, cette chanson est encore d’actualité, hélas. Et je me dis qu’il demeure bien des combats, pour d’autres égalités, en sus du genre.

Marie-Kristine VANBOCKESTAL
Administratrice générale du Forem.