EDITO

Entre angoisse et espoir, le cœur balance, et pourtant…


Si on est de celles ou de ceux qui ont vécu les événements de Liège de ce week-end du « bon côté » de la barrière, on ne peut que compatir et exprimer sa solidarité envers les commerçants, frappés une fois encore de plein fouet dans leurs activités, envers les innocents promeneurs du samedi qui ont eu peur et envers la police qui a veillé, compté et pris les coups; 36 blessés dans les rangs des forces de l’ordre, dont 9 policiers hospitalisés, ça fait beaucoup. Beaucoup trop. Même si les blessures sont légères, le traumatisme, lui, aurait tendance à s’installer. Pour ceux qui ont vécu cette nouvelle émeute partagée en long et en large sur les réseaux, en direct ou en différé, la tristesse et le désarroi sont immenses. On est sous le choc.  Sans doute d’autant plus si on est Liégeois de cœur ou d’esprit. 

Il est important de rétablir rapidement le lien entre les jeunes et la police et avec les communautés

Passée l’angoisse, restent la peine et un certain ressentiment, qu’on le veuille ou non. Liégeois ou pas, ces jeunes, visiblement organisés (originaires aussi de la périphérie de Bruxelles) ont exprimé, comme ils ne le devraient pas et d’une manière inacceptable, une colère profonde envers les forces de l’ordre et une cité qui avait laissé s’organiser deux manifestations pacifiques. Ils ont exprimé leur ras-le bol, tout simplement hélas, mais en semant la terreur et le chaos.

Le matériel des nombreux chantiers actuellement en cours à Liège leur a servi d’armes pour s’en prendre aux policiers chargés de garantir la sécurité mais également aux commerçants ayant ouvert leurs boutiques afin de limiter la casse de leur perte de chiffre d’affaires liée à la crise sanitaire.  Peut-on le leur reprocher? Viscéralement oui.  Et il faut sanctionner les casseurs et ceux qui ont infiltré les manifestations pour d’autres raisons. Mais l’absence de tout ou presque depuis un an ne peut-elle pas aussi expliquer pareille démonstration de violence ? Les doutes et les désillusions de cette année sans fin ne servent-ils pas aussi de catalyseur?

De l’importance de rétablir la confiance

Cette crise sanitaire qui s’éternise, et dont on ne sait apparemment pas comment en sortir, participe à canaliser l’agressivité de toute part. Peu ou pas d’école en présentiel, plus d’accès aux salles de sport depuis six mois – sans compter le confinement du printemps dernier -, peu ou pas de loisirs,  de trop rares éducateurs de rue ou de maisons de jeunes…entr’ouvertes, des rendez-vous à prendre, souvent manqués pour tout et pour rien, des instances religieuses limitées à une poignée de « bienvenus »…  Sans perspective d’emploi ou si peu, sans but réel de sortie, sans rencontres festives, sportives, oisives, sans culture, sans échanges véritables, nombreux sont les jeunes adultes qui n’en n’ont plus rien à faire. Et si en plus, la couleur de leur peau vient à déplaire même si cela devient de plus ou en plus un sentiment subjectif fondé ou non suivant les cas…la cocotte-minute ne peut qu’exploser. Le pire ne peut être que prévisible.

La police, quant à elle, campe un rôle bien ingrat dans le cortège des critiques. Forcée d’appliquer la loi, les règlements, les contrôles incessants, pour tout et peut être parfois pour rien…depuis un an. Qui pourrait reprocher aux policiers d’être, comme une grande partie de la population, aussi à bout?!  Ils ne se sont pas engagés que pour ça : contrôler, verbaliser, réprimander, évacuer et pourtant, ils font leur job. Ils ne sont jamais passés, eux, au télétravail, et, leur apport à l’application des règles, dans cette crise, est aussi devenu compliqué. Et sans leur présence en nombre, 250 policiers locaux et fédéraux déployés, samedi à Liège, nul ne sait à quoi ressemblerait aujourd’hui le cœur saignant de la cité ardente.

Il faut réagir, et maintenant

Alors quoi ? On va punir ? Sûrement, et c’est nécessaire. Mais cela n’est pas suffisant.
Il est important aujourd’hui d’apporter de vraies solutions, de réelles perspectives d’avenir, de liberté, de respect les uns envers les autres, entre les jeunes et la police, et sur ce point, il est urgent et primordial de rétablir le lien. Il n’est pas  normal dans notre société que certains jeunes aient une perception aussi négative des forces de l’ordre. Il est primordial encore d’améliorer les perceptions respectives de la police et des communautés, quelles que soient leurs origines.

Il faudra rapidement aussi mieux informer les jeunes et l’ensemble des citoyens, mieux former encore les policiers, surveiller plus encore ces réseaux sociaux servant de coulisses à tous les débordements, dialoguer avec intelligence, psychologie, rétablir la confiance et pas seulement à Liège.  Car il est temps de tenter de réinstaller, malgré cette crise sans fin, un savoir-vivre, un respect mutuel pour défendre ce vivre-ensemble qui nous est si cher.  Sans quoi, l’angoisse l’emportera sur l’espoir, et ce serait dommage de ne plus y croire.

Régine KERZMANN