TEMOIGNAGE

« Il n’y a rien de pire que le manque de liberté »

AFP

Le milieu carcéral. Un monde à part entière, cloisonné, méconnu. En prison, s’y côtoient, des agents, des détenus, des infirmiers, des visiteurs de prison. Rencontre avec l’un d’eux. Il confie les raisons de cet engagement singulier, les richesses de ce volontariat, ses exigences, sa raison d’être. Même légitimés, l’enfermement et l’isolement demeurent une souffrance pour tout être humain. Quel qu’il soit. Même si elles semblent différentes, les périodes de confinement que nous vivons depuis un an pourraient bien nous en faire prendre conscience.

Pour comprendre

La Belgique compte 35 prisons : 17 en Flandre, 16 en Wallonie et 2 à Bruxelles. Leur gestion est assurée par la direction générale des établissements pénitentiaires. Il existe également trois Établissements de défense sociale (EDS) en Fédération Wallonie-Bruxelles : celui de Paifve en province de Liège, le Centre Régional de Soins Psychiatriques (C.R.P.) Les Marronniers à Tournai  et le Centre Hospitalier Psychiatrique (C.H.P.) Le Chêne aux Haies à Mons. Ces dernières années, deux Centres de Psychiatrie Légale (CPL) ont été construits en Flandre, à Gand (en 2014) et à Anvers (en 2016). Fin décembre 2020, l’État belge a acheté un terrain à Wavre où la Régie des Bâtiments envisage la construction d’un centre de psychiatrie légale supplémentaire.

A force de ne pas vouloir écouter l’autre, on devient un danger soi-même

Charles (nom emprunté) a rejoint la compagnie des visiteurs de prison depuis plusieurs années, une fois sa vie active mise de côté. Un volontariat qu’il n’échangerait pour rien au monde. La Compagnie des visiteurs de prison existe depuis 1602. Les temps ont changé, les prisons aussi, mais la mission persiste.

Pourquoi avoir choisi d’être visiteur de prison ? Faut-il suivre une formation ?

Je connaissais cet engagement par le biais d’amis aumôniers de prison. Ils m’en parlaient souvent. Cela me touchait. Le milieu carcéral est méconnu pour qui n’a jamais été confronté de près ou de loin à la prison. Je m’étais toujours dit, qu’une fois que je disposerais de plus de temps libre, je m’y engagerais moi aussi. Et cela fait une dizaine d’années maintenant. Vous savez, on en a peut-être pris conscience depuis un an, mais le manque de liberté et le confinement total sont les pires choses au monde. Ne voir personne, ne parler à personne des journées entières. C’est juste invivable. Et pourtant, c’est le quotidien de bien des détenus.
Pour ce qui est des qualités à avoir, je ne pense pas qu’il faille une formation particulière, sauf peut-être une formation à l’écoute. Et puis surtout, disposer d’une volonté de se rendre utile au monde.

A quel type de bénévolat cette activité correspond-elle ? Tout le monde peut-il devenir visiteur de prison ?

Ce n’est pas une activité ordinaire, je vous l’accorde. C’est une forme d’apostolat, une mission que l’on choisit d’exécuter. Je pense qu’il faut avoir un peu de bouteille, une certaine expérience de la vie pour faire cela. L’empathie seule ne suffit pas. Il faut le vouloir, vouloir s’intéresser à la problématique de l’emprisonnement. Personnellement, cela m’a toujours posé problème que des gens soient enfermés même si c’est mérité. Je suis touché par leur solitude. On a souvent un discours très dur face au milieu carcéral. On entend souvent dire  « Ils l’ont mérité, c’est bien fait ». Et c’est clair, certains ont commis des actes condamnables et irréparables. Mais ce type de discours est teinté d’inconscience. A force de ne pas s’intéresser aux problèmes des autres, à force de ne pas vouloir écouter l’autre, on devient un danger soi-même. La question à se poser : « Puis-je être utile ? » ; il faut jouir d’une véritable ouverture d’esprit et vouloir être à l’écoute, tout simplement. Nous ne sommes pas là pour juger.

Dans quel état d’esprit vous présentez-vous face aux détenus ?

Vous savez, d’abord, ce sont les détenus qui demandent à recevoir de la visite. Cela vient d’eux. Quel que soit l’acte commis, la souffrance se trouve des deux côtés. On est dans un monde de la victimisation mais il y a une réalité à prendre en compte. Il faut condamner l’erreur, mais ne pas réduire l’homme à ses actes. C’est trop réducteur. Le « travail » du visiteur de prison est d’être à l’écoute.  Il est important d’établir une relation confidentielle avec le détenu et savoir prendre un peu de leur souffrance.

De quelle manière êtes-vous contacté ?

Le plus souvent, nous recevons des demandes de visites par l’intermédiaire des aumôneries. Ces demandes proviennent de détenus qui n’ont pas ou plus de famille, qui n’ont personne à qui parler. Vous savez, même à deux dans une cellule, on peut se sentir très seul. Il faut qu’il y ait une demande d’interlocuteur de la part du détenu, c’est essentiel pour parvenir à échanger. Sans quoi, nous n’intervenons pas.

Combien de temps dure une visite ?

Cela dépend, en moyenne une heure ou deux. Il y a d’abord quelques portes à franchir (rires) avant d’atteindre le parloir, c’est tout un cheminement. Après, le contact se fait au fur et à mesure des visites. Les détenus qui en ont fait la demande, nous attendent vraiment et si on ne vient pas au jour dit, sans prévenir, ils nous le font gentiment remarquer. Il arrive parfois que certains, refusent de nous voir. On en a l’habitude, on ne leur en veut pas. Parfois, le manque de personnel parfois aussi ne permet pas au prisonnier de nous rencontrer, dans ce cas nous sommes tous les deux perdants.

De quoi parlent les détenus ?

De tout, de rien, cela dépend; nous, on est là pour écouter. Certains me racontent ce pour quoi ils sont là, c’est parfois difficile à entendre mais qu’importe, on écoute. D’autres parlent toujours des mêmes choses mais ce qui revient le plus souvent c’est «A quand la liberté ? », il n’y a que ça qui compte. Notre rôle, c’est aussi de les aider à appréhender leur vie nouvelle, les préparer à leur réinsertion. Certains sont à la rue à peine sortis. Il ne faut pas oublier que ce qui est mis en place pour les préparer à la sortie, c’est peu de chose. Notre rôle c’est d’abord l’écoute et la parole mais pas seulement. On ne se limite pas à ces entretiens. Il y a aussi des échanges de courriers, l’accompagnement extérieur auprès des avocats, des familles parfois aussi, l’aide pour trouver un logement, un emploi, apporter des livres, des vêtements pour les détenus les plus précarisés. Etre visiteur de prison, c’est s’engager dans un ensemble de démarches variées, réalisées dans l’ombre. Ce bénévolat exige pas mal d’investissement, il faut le savoir. Par ailleurs, depuis deux ans, les détenus disposent d’un téléphone dans leur cellule et pour 0.11 cents la minute, ils peuvent nous contacter, nous laisser un message. (Ndlr : depuis 2019, les prisons du pays ont équipé les cellules de téléphones fixes. Le but est de mieux connecter les détenus au monde extérieur mais aussi de faciliter le travail des agents pénitentiaires).

Au fil de vos expériences, qu’est-ce qui vous marque le plus ?

En ce qui me concerne, c’est la franchise des détenus. Ils se livrent souvent à cœur ouvert. Cela dépend sûrement du type de relation établie et de la personnalité du visiteur. Je parle pour moi, je sais que d’autres visiteurs ont déjà été confrontés à des raconteurs de belles histoires, forcément, c’est humain…Mais je crois pour répondre à votre question que ce qui frappe en général, ce qui nous tient à cœur c’est cet appel au secours. Rencontrer des gens, c’est vouloir briser une solitude, recevoir une parole, il y a tant de gens en ce monde qui parlent pour ne rien dire ; dans le contexte carcéral, on essaye d’avoir une parole forte, porteuse de sens afin qu’elle serve  à quelque chose. La souffrance est extrême bien souvent. Cela vaut la peine de s’interroger sur le secteur carcéral, on sait que la prison n’est pas une solution idéale, on a encore rien inventé d’autre. Et la crise du Covid n’a rien arrangé….

C’est-à-dire ?

Les régimes appliqués sont encore plus stricts. Par exemple, certains procès, prévus voilà un an, ont déjà été reportés trois ou quatre fois dans certains cas. Pour certains détenus, cela correspond à une année de plus à être enfermé.  Pour le moral, ce n’est pas évident. Autre exemple : normalement, un détenu à droit à deux « sorties préau » par jour d’une heure ou une heure et demi. A cause du Covid, ils n’ont plus droit à sortir qu’une fois.  Et s’il pleut, ils ne sortent pas du tout. Le sentiment de solitude ou d’abandon est immense. Nous ne pouvons plus nous rendre depuis des mois, voire un an, aussi aisément dans les prisons qu’auparavant où on se rendait sur place une à deux fois semaine, selon les besoins. D’ailleurs, certains visiteurs avaient lancé des services d’appels solidaires au moment des fêtes de fin d’année afin que les détenus, que nous ne pouvions plus rencontrer en présentiel, puissent continuer d’être écoutés simplement par téléphone afin de rompre leur isolement.

Vous êtes visiteur en prison mais aussi au sein des EDS, à savoir les établissements de défense sociale, le rapport aux patients est-il différent ?

En EDS, comme vous dites, ce sont des patients pas de véritables détenus. C’est-à-dire des personnes considérées comme irresponsables de leurs actes et nécessitant des soins, psychiatriques entre autres. Les équipes y font un travail d’accompagnement important. Le suivi est différent mais en fonction du patient l’écoute est un peu la même. Cependant, contrairement à une maison d’arrêt ou une prison, l’ambiance y est un peu plus « familiale », déjà il y a moins de monde. A Paifve, par exemple, on compte 200 patients. C’est plus petit donc plus souple aussi en termes de régime. Même si par rapport aux mesures Covid, les règles sont les mêmes qu’ailleurs. L’écoute y est peut-être un rien différente car les visités sont perçus comme malades; ils prennent davantage de médicaments qu’en prison. Et quand on est soigné, on ne sait pas combien de temps cela va durer, on est à la merci d’un traitement, des diagnostics des médecins… Il n’y a pas de véritable perspective de sortie. En prison, en général, il existe une forme de « calendrier ». On sait plus ou moins quand on sortira. En EDS, ce manque de perspective d’avenir est plus difficile à intégrer et donc à accepter et à vivre.

N’avez-vous jamais eu peur ou appréhendé ces rencontres ?

Non, je ne me suis jamais senti en insécurité. Les détenus ne sont pas des bêtes sauvages. Ils portent leur croix d’être là. J’ai déjà eu un peu peur, par contre, du comportement ou de la virulence de certains membres du personnel mais c’est autre chose. Comme ailleurs, on est souvent mieux accueillis par les femmes que par les hommes, d’ailleurs.  Mais on sait que le quotidien des agents est difficile. Ce sont les aléas du boulot… Mais non, les détenus ne sont pas effrayants, au contraire.

Dans le cadre de vos visites, avez-vous déjà été confronté aux confidences de certains agents?

Pas vraiment. On échange parfois mais on parle rarement de ce qui se passe dans la prison. Vous savez, c’est un milieu de vie où il existe une tension permanente, comme dans quasi n’importe quel milieu professionnel. Certains agents sont faits pour ce métier, ils le font avec cœur et bienveillance ; d’autres éprouvent plus de difficultés et ça se ressent sur les détenus aussi, surtout en période de confinement. La vie du gardien n’est pas simple non plus. Que l’on soit d’un côté ou de l’autre des barreaux, on est un homme, une femme avec ses peines et ses joies, ses peurs, ses propres questions que l’on porte plus ou moins bien. Mais, selon moi, d’un côté comme de l’autre, la compassion est essentielle. On n’est pas là pour juger, ni condamner, mais on est là juste pour essayer d’accompagner les détenus, les aider à de l’avant.