LITTERATURE

Chronique: “La vie en relief” de Philippe Delerm

AFP

Je me revois chez mon libraire, ce livre à la main. L’acheter ou pas ? Il faut savoir que, bien que connaissant de longue date son œuvre, je n’ai jamais lu Philippe Delerm. « Ce livre est un aboutissement, celui d’une carrière, celui d’une vie d’homme. Certainement un des plus grands livres de Philippe Delerm » est-il noté sur la quatrième de couverture. Aussi l’ai-je acheté.

“Être riche, à chaque époque de notre existence, de tous les moments qu’on a vécus, qu’on vit, qu’on vivra encore : c’est cela, la vie en relief.” Vivre comme si c’était la première fois. Trouver de la beauté dans l’ordinaire des choses. Aimer vieillir, écouter le bruit du temps qui passe. Voilà ce à quoi nous invite Philippe Delerm dans son dernier opus. Cet enfant du Val d’Oise et fils de profs, enseigna d’abord les lettres avant de les coucher sur le papier. Ce touche-à-tout de l’écriture à qui l’on doit depuis trente ans et plus, poésies, nouvelles, essais, récits, romans et même des livres pour enfants, signe ici un ouvrage qui résonne avec “aboutissement”.  Celui d’une carrière, celui d’une vie d’homme. Certainement un des plus grands livres de cet auteur à qui l’on devait en 2014, “Elle marchait sur un fil”, aux éditions du Seuil. A noter qu’il dirige, depuis 2006, « Le goût des mots » (éditions Points/Seuil). Un personnage, Philippe Delerm.

Le livre

Quelques révélations préliminaires que nous voulons souligner : « mon vrai métier : bouilleur de cru du temps qui m’est donné » (p. 43) ; « écrire, c’est la vie en relief » (p.72) ; « je suis à la fois enfant, adolescent, homme d’âge mûr, et vieux » (p.232).

Ce sont des miscellanées composées de chapitres très courts sur les sujets les plus variés :  l’enfance (p.54 et s.) : « C’est fort de sentir chez les enfants la force des choses » ; le cirque (p.50) ; les moments parfaits de l’existence (p. 77) : « Au jardin, il fait encore chaud. Pour une fois, on a pu dîner à la lumière des photophores (…). On est avec de vieux amis, on se connaît par cœur. Pas d’enjeu, pas de séduction, pas d’épate. On a remisé de plein accord tacite les sujets brûlants. Les assiettes à dessert sont restées sur la table, et la bouteille de mercurey. On hésite à reprendre un verre, et puis oui. Tous les rites qui peuvent allonger le soir sont bienvenus » …

Le seul écrivain auquel  Philippe Delerm consacre un chapitre entier est Paul Léautaud, peut-être un peu oublié aujourd’hui, injustement, nous partageons son avis. Comme il le relève, un écrivain incapable de fiction, dont toute l’œuvre est une littérature du « je », auteur notamment d’un gigantesque journal, Paul Léautaud, vieux misanthrope employé au Mercure de France, y rencontrant les écrivains de son temps, se vouant à la protection des chats errants, qu’il recueille et soigne, à qui nous avons emprunté une de nos maximes : « Ma patrie, c’est la langue française » ; combien nous sentons-nous proches de l’affection littéraire que lui porte Philippe Delerm.

Autre satisfaction : nous lisons que, « malgré toute la place que le numérique a prise dans notre vie, la proportion des lecteurs sur tablette reste dérisoire. Le rapport sensuel, palpable avec le volume demeure essentiel » (p.65).

Une très légère réserve : il écrit que, « coincés dans une souricière, les hommes jouent jusqu’au bonheur l’héroïsme de la légèreté. Et c’est tellement plus fort et plus subtil que la mort » (p. 223). N’est-il pas quelque peu prisonnier de ce ton de légèreté, d’optimisme ? Ne joue-t-il pas un personnage, celant délibérément la part de noirceur inhérente à la nature humaine ? Tout est question d’expérience de la vie et peut-être descendons-nous trop profond dans les souterrains de la personnalité.

Quoi qu’il en soit, nous avons découvert un écrivain non encore lu et nous ne regrettons pas notre achat…

Jacques MELON