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Décès de Michel Fourniret : itinéraire mystère d’un prédateur

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Le tueur en série est mort ce lundi 10 mai, à l’âge de 79 ans, à l’unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) de la Pitié-Salpêtrière à Paris, une unité dépendante du centre pénitentiaire de Fresne où il était hospitalisé depuis le 28 avril dernier. En 2008, celui que l’on surnommera « l’Ogre des Ardennes » avait été condamné à la perpétuité incompressible pour les meurtres de sept jeunes femmes, commis entre 1987 et 2001, avant d’être à nouveau condamné à la perpétuité en 2018 pour un assassinat crapuleux.

En quarante ans de crimes, l’homme aura souvent dérouté la justice. Son nom est toujours évoqué dans plusieurs dossiers de disparitions non élucidées. Retour sur des aveux, des rétractations, des silences et peut-être même encore, des secrets. Michel Fourniret est né le 4 avril 1942 dans un milieu ouvrier à Sedan (Ardennes). On sait très peu de choses au sujet de son enfance si ce n’est qu’il affirmera aux psychiatres qui l’interrogeront dans plusieurs affaires, avoir eu un père alcoolique et absent et avoir fait l’objet d’inceste du fait de sa mère dès l’âge de 4 ans. Joueur d’échecs et passionné de littérature, il est décrit comme intelligent, citant Dostoïevski et Camus, mais aussi fourbe et menteur. Marié trois fois et père de cinq enfants, il se serait peu à peu transformé en prédateur sexuel après avoir découvert que sa première épouse n’était pas vierge. De ses propres aveux, l’ajusteur et dessinateur en mécanique, père de famille discret le jour, se serait alors mué en « braconnier » à ses heures les plus sombres, pour assouvir ses déviances : il devait, selon ses propres termes, « chasser au moins deux vierges par an ».

Tueur et multirécidiviste

C’est en 1967 que commence le parcours du serial killer. Michel Fourniret a 25 ans lorsqu’il est condamné pour la première fois à huit mois de prison avec sursis et obligation de soins pour l’agression d’une fillette. Il sera à nouveau condamné en 1984 pour des agressions sexuelles répétées  sur une douzaine de jeunes femmes depuis 1981. En détention, il entame une correspondance avec une certaine Monique Olivier, séparée et mère de deux enfants, rencontrée par voie de petites annonces. A sa sortie de prison, en 1987, il s’installe dans l’Yonne avec celle qui deviendra sa troisième épouse et il en fait sa complice. Alliance diabolique, entre 1987 et 2003, Monique Olivier « rabat », pour le compte de son mari, sept jeunes filles âgées de 12 à 21 ans, qu’il séquestre, viole et tue. Ses victimes s’appellent Isabelle Laville (17 ans), Fabienne Leroy (20 ans), Jeanne-Marie Desramault (22 ans), Élisabeth Brichet (12 ans), Natacha Danais (13 ans), Céline Saison (18 ans) et Mananya Thumpong (13 ans). En 2003, une huitième victime leur échappe et met la police sur leurs traces. Ce sera la fin d’une macabre épopée. Après quelque 120 interrogatoires, Monique Olivier craque et révèle aux enquêteurs une partie du parcours criminel de son mari. Le 29 juin 2004, elle est placée sous mandat d’arrêt pour non-assistance à personnes en danger et le 30 juin 2004, son mari confesse les assassinats, lors d’aveux filmés.

Dahina Le Guennan, la seule survivante

Le 4 septembre 1982, Dahina Le Guennan (49) n’a que 14 ans lorsqu’elle croise la route de son agresseur. Ce soir-là, après avoir dîné chez une amie, elle rentre seule, à pied, chez elle. En chemin, Michel Fourniret l’accoste, l’intime de le suivre en la menaçant avec une bouteille de vitriol et la viole, mais la laisse en vie. Après une descente aux enfers et trois tentatives de suicide, elle refait surface. Seule rescapée du tueur, son témoignage aux assises sera capital. Le 28 mai 2008, Michel Fourniret est condamné à la réclusion criminelle à vie incompressible. Le même verdict tombe pour son épouse, considérée comme complice. Alors qu’elle avait pleinement conscience de ses déviances, elle épaulera son époux dans tous ses crimes, estimera le tribunal. « Ces femmes transforment leur victimisation en une forme de perversité. En acceptant de se soumettre aux pulsions de son mari, elle avait obtenu qu’il s’intéresse à elle », expliquera lors de son procès, Daniel Zagury, l’expert-psychiatre.

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Monique Olivier, Photo François Nascimbeni

Farida Hammiche et le « gang des postiches »

Le 16 novembre 2018, Michel Fourniret est à nouveau condamné à perpétuité pour un assassinat crapuleux lié au trésor du « gang des postiches », des malfrats qui avaient écumé les banques parisiennes entre 1981 à 1986 et amassé un butin faramineux. Sa victime : l’épouse d’un ancien codétenu, le braqueur Jean-Pierre Hellegouarch, partie civile au procès aux côtés de deux sœurs et d’un amant de la victime. Selon les propres aveux du tueur en série, Farida Hammiche est morte étranglée et à coups de baïonnette près de Clairefontaine. Le mobile du meurtre : une caisse recelant 20 kg de lingots et pièces d’or, une partie du magot amassé par la célèbre entreprise criminelle que Fourniret souhait récupérer. Le corps de la jeune femme qu’il aurait enterré n’a jamais été retrouvé. Le reste du butin a en revanche été découvert par les enquêteurs dans le jardin de sa maison de Sart-Custine.

Coup de théâtre judiciaire

Le 8 juillet 1988, Marie-Angèle Domece, une jeune handicapée mentale, disparaît à Saint-Cyr-les-Colons, dans l’Yonne. Malgré d’intenses recherches, elle ne sera jamais retrouvée. Le 17 mai 1990, le corps sans vie de Joanna Parrish, assistante d’anglais, est retrouvé dans la même région. L’autopsie de la victime révèle qu’elle a été violée et battue à mort. Lors de son arrestation en 2004, Monique Olivier fait une série d’aveux. Elle attribue aussi les meurtres de ces jeunes femmes à son mari, avant de rapidement se rétracter. Michel Fourniret quant à lui nie toute implication : « c’est ma signature, mais ce n’est pas moi ». Malgré ses contestations, le 11 mars 2008, il est inculpé d’enlèvements et assassinats pour ces faits. Mais, il bénéficie d’un non-lieu le 14 septembre 2011. Suscitant l’espoir des parties civiles, en juin 2012, la cour d’appel de Paris annule l’ordonnance de non-lieu et demande aux enquêteurs de rouvrir l’instruction sur la base de pistes nouvelles. Lieux des crimes, mode opératoire, beaucoup d’indices convergents pointent vers le tueur pédophile. Joanna Parrish porte, notamment, les mêmes traces de piqûre au bras que celles infligées à d’autres victimes. Coup de théâtre, le 16 février 2018, le tueur en série avoue les deux meurtres..

Déception des familles

En mars 2020, le serial killer reconnaît aussi sa responsabilité dans la mort d’Estelle Mouzin, une fillette de 9 ans disparue en 2003 à Guermantes (Seine-et-Marne) devant la juge d’instruction Sabine Kheris qui avait repris les investigations en 2019. Les fouilles menées dans un bois des Ardennes françaises, sur base de ses indications, n’ont pas permis à ce jour de retrouver le corps de la fillette, mais les aveux permettent la tenue d’un procès.

Son visage lui « dit quelque chose » lorsqu’on lui présente une photographie de Lydie Logé (29 ans), mystérieusement disparue le 18 décembre 1993 près d’Argentan, dans l’Orne. L’affaire avait rebondi en mai 2019 alors qu’une correspondance avait été trouvée entre une trace ADN relevée dans la camionnette du tueur en série et le profil génétique des proches de la jeune femme. Le 22 décembre 2020, Michel Fourniret est mis en examen pour « enlèvement et séquestration suivis de mort ». Au total, ce sont donc quatre nouvelles affaires qui devaient prochainement traduire Michel Fourniret à nouveau devant les tribunaux. La déception des familles est immense. Si l’ « Ogre des Ardennes » ne sera donc jamais jugé, il ne serait pas impossible toutefois de voir Monique Olivier comparaître pour complicité.

L’itinéraire du prédateur s’arrête-t-il là ? La justice s’interroge toujours. Plusieurs disparitions de jeunes filles, à la même époque, n’ont jamais été élucidées. Le mystère sur le nombre total des victimes de celui qui disait de lui-même vouloir « être pire que Marc Dutroux » restera probablement entier.