ENQUETE

« Un des meilleurs « sniper » de sa génération est entré en résistance

BELGA

Depuis quelques jours, la province du Limbourg est en ébullition. La chasse à l’homme lancée mardi 20 mai pour retrouver le militaire Jürgen Conings n’a jusqu’ici pas permis de mettre la main sur l’individu lourdement armé, suspecté de vouloir s’en prendre au virologue Marc Van Ranst. Dans des écrits pour le moins inquiétants, l’homme pointe du doigt les structures de l’Etat, les virologues et leurs décisions. Fiché par l’OCAM (l’Organe de Coordination pour l’Analyse de la Menace) pour ses idées d’extrême-droite, l’homme avait déjà été sanctionné par la Défense, ce qui ne l’a cependant pas empêché d’avoir accès à des armes lourdes. Question : à quel point cet homme est-il dangereux et pourquoi ?

Ce lundi 19 mai, la police fédérale lance un avis de recherche pour retrouver Jürgen C., un militaire âgé de 46 ans. Quelques heures suffisent aux médias à hisser l’homme au rang d’ « ennemi public N°1 ». Jürgen C. a quitté son domicile de Dilsen-Stokkem, dans le Limbourg, le jour-même. Il s’est rendu à son travail et ne s’est plus manifesté depuis. Sa voiture est retrouvée le lendemain dans un bois situé à proximité de la chaussée de Lanklaar. A son bord : quatre lance-missiles antichars. L’intervention du service de déminage est requise, le véhicule ayant été piégé par une grenade à main. Un important déploiement des forces militaires, de la police et des unités spéciales fédérales sont depuis à l’œuvre pour retrouver le fugitif. Il serait retranché dans le parc national de la Haute Campine. La zone dans laquelle se déroulent les recherches s’étend sur quelque 12.000 hectares et est accidentée, avec notamment d’anciens bunkers. Un balayage complet du site demeure compliqué pour retrouver un homme à la personnalité nébuleuse.

 

Un des meilleurs « sniper » de sa génération

Jurgen C., a d’abord travaillé en début de carrière dans la sécurité rapprochée, avant d’entrée en 1992 à la Défense. De 1993 à 2019, l’homme acquiert une solide expérience des théâtres d’opération. Il est envoyé en mission en ex-Yougoslavie, en Bosnie, au Kosovo, au Liban, en Irak et en Afghanistan. Son CV affiche : instructeur, armurier et tireur d’élite. L’homme maîtrise parfaitement les instruments de tir à longue distance. Mais, le métier de sniper ne se limite pas à appuyer sur la gâchette pour atteindre des cibles. Les entraînements pointus permettent de se mettre dans des conditions de tir extrêmes. Un franc-tireur sait parfaitement évaluer les différents paramètres extérieurs, tels que la force du vent, la température, la pression atmosphérique, l’humidité, le positionnement du soleil et même la rotation de la terre pour les tirs à très longue distance (plus de 1000 mètres). Il a la capacité d’analyser ces paramètres à la fois dans le « temps long » (préparation du poste de tir) et dans « le temps court » (prise en compte immédiate au moment d’exécuter le tir). Il sait également brouiller son odeur pour semer des chiens pisteurs éventuels. Les techniques de camouflage qu’il connaît sont multiples.

De sources militaires proches du dossier, Jürgen C. est considéré comme « l’un des meilleurs snipers de sa génération ». Mais en 2019, l’homme dérape. Il tient des propos qualifiés extrémistes, notamment sur les réseaux sociaux. La Défense porte plainte pour comportement violent mais le parquet classe l’affaire sans suite. A l’été 2020, Jürgen C. est toutefois mis à pied quatre jours par l’armée et réaffecté ensuite au service logistique en charge des pré-opérations. Cette rétrogradation lui offre un accès royal aux armes.

 Un syndrome de stress post-traumatique ?

Toujours selon nos sources militaires, Jürgen C. est en excellente forme physique. Il est doté d’un mental puissant et sait faire preuve d’une grande patience. Autre caractéristique : la capacité à maîtriser sa respiration et son propre rythme cardiaque, des aptitudes utiles avant le tir. Formé à l’endurance extrême, il est d’un tempérament froid et méthodique. Comme tous les tireurs d’élite, il présente un profil psychologique propre à la fonction. Le sniper ne tue pas sous l’effet de l’adrénaline. Il planifie et exécute. Tuer est un acte purement technique.

En retour de mission, les tireurs d’élite présentent toutefois souvent des syndromes cognitifs et d’humeur post-traumatiques. S’ils ne sont pas suivis, ils ont tendance à développer des désordres mentaux. De manière générale, leur état émotionnel est négatif. Il est accompagné d’un profond sentiment de détachement à tout, avec une difficulté à tisser des liens aux autres et une indifférence à la mort. « Fragilisés, s’ils se sentent humiliés par d’autres personnes, par leur environnement ou dans leur situation personnelle, ils peuvent nourrir une vive colère qu’ils cherchent alors à compenser par un fait qui leur donnera de la notoriété devant les médias et la société. Dans un contexte particulièrement anxiogène, comme celui de la crise sanitaire que nous traversons, la moindre étincelle peut tout déclencher, comme le tweet d’un virologue », nous explique Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques, chercheur, spécialiste en terrorisme et radicalisation.

 Entré en résistance contre l’Etat

Des décorations militaires ont été retrouvées sur la tombe des parents de Jürgen C. Se défaire de ses décorations revêt une signification spéciale pour un militaire. Il s’agit généralement d’une marque d’abandon. « C’est un signal inquiétant », ont confirmé des experts de La Défense. Remettre ses décorations signifie généralement qu’on tourne le dos à la Défense et qu’on ne croit plus à rien. Jürgen C. l’a d’ailleurs écrit à sa compagne, Gwendy : il va « entrer en résistance et il ne se soucie pas de mourir ». Une déclaration d’autant plus inquiétante que l’homme serait en possession d’un petit arsenal de guerre, dont certainement une arme de poing automatique, un pistolet mitrailleur, des grenades à main et un  nombre indéterminé de munitions.

Jürgen C. semble en vouloir particulièrement aux mesures sanitaires qui nous sont imposées depuis près de 15 mois. Selon ses propres termes, il ne « peut pas vivre dans un monde dans lequel d’autres déterminent ce qui lui est permis et ce qui ne lui est pas permis ». « Ce type de profil d’extrême droite aime l’autorité et l’ordre, même si c’est leur vision de l’ordre. Or, et je me mets dans sa tête, il se retrouve plongé depuis des mois dans un chaos qui lui renvoie le manque de droiture d’une armée et d’une organisation stricte dont il vient face à une classe politique qui ne parvient pas à mener son combat », nous précise Sébastien Boussois. « Du coup, une personnalité incarnée comme le virologue Marc Van Ranst représente à ses yeux le candidat acheté par le système et pas prêt à sauver le monde. Jurgen C. s’attribue en quelque sorte une mission de justicier. En revanche, désigner des personnes très clairement identifiées comme cibles est plutôt rare. Le basculement dans l’acte terroriste est plus spontané et anonyme, mais cette anticipation de la cible est sans doute dû à sa formation première ».

Rappelons également que Jürgen C. était affecté à la caserne de Peutie, la caserne où sont entreposés les millions de masques qui se sont avérés inutiles parce que non adaptés et achetés par la Défense à la société luxembourgeoise AVROX. Ce contexte supplémentaire a-t-il attisé la rancœur de Jürgen C. vis-à-vis de l’Etat belge ?

Des têtes brûlées dans l’armée, une nécessité

Si Jürgen C. figure sur la liste des terroristes et extrémistes de l’OCAM, il était aussi fiché depuis plusieurs années par les militaires du SGRS (NDLR : le Service Général du Renseignement et de la Sécurité qui dépend du ministère de la Défense – Son homologue civil est la Sûreté de l’Etat).
Une enquête interne a été lancée au sein de la Défense pour mettre en évidences d’éventuelles « lacunes » dans le fonctionnement de ses services : y-a-t-il eu défaillance dans le « screening » des effectifs ? Un récent rapport du Comité R pointe à tout le moins les déficits du SGRS en la matière.

Bémol de taille, nos sources militaires nous expliquent que les profils « têtes brûlées » sont une nécessité dans l’armée, justement parce qu’ils n’ont pas froid aux yeux. (NDLR : Les « têtes brûlées » était le nom d’une unité spéciale de pilotes aux CV particulièrement indisciplinés durant la Second Guerre Mondiale, mais d’une efficacité redoutable). « Les snipers qui partent en mission ont un peu le même profil que ceux qui s’engagent dans la légion étrangère, l’unité combattante française à l’étranger. Ces légionnaires ont longtemps été considérés comme des mercenaires, soit des individus sans émotions qui ne vont au combat que parce qu’ils sont rémunérés pour tuer. » Faisceaux d’indices convergents, Jürgen C. était visiblement frustré de ne plus partir en mission. Peut-être a-t-il décidé de nous livrer avec frasques son dernier combat dans une forêt du Limbourg…