OPINION

Douter, la voie noble de sortie de la crise?

AFP

Alors que le gouvernement s’est fixé toute une série d’objectifs en termes de taux de vaccination pour nous “libérer”, force est de constater que les citoyens sont, en partie, certes, mais pas de manière anecdotique, remplis de doutes par rapport à l’idée de recevoir un vaccin. Or, le vaccin nous est “vendu” comme seule solution possible pour sortir de cette crise qui dure depuis près d’un an et demi. Paradoxe? Nous voulons retrouver la vie d’avant, mais nous ne voulons pas ce qui nous est présenté comme la solution pour y arriver. Comment l’expliquer?

L’information n’a pas à soutenir  (…) un positionnement, c’est faire état de la complexité du monde, avec pédagogie et vulgarisation, et donner à chacun les clés pour se forger sa propre opinion

“Le monde est volatil, incertain, complexe et ambigüe”. Ce concept de VUCA est en vogue dans de nombreuses entreprises, pour rappeler à quel point il est compliqué de déterminer aujourd’hui, ce qui est bon et qui le restera. Et, ne serait-ce que de manière inconsciente, nous l’avons tous perçu. Qui pense encore aujourd’hui que les choses sont blanches ou noires, que c’est de gauche ou de droite, que ce qui est bon aujourd’hui l’est pour toujours ? Des années de sur information, mais aussi de mal information, nous ont définitivement rendus anxieux, et en besoin de rassurance.

Hésitation vaccinale

Certains la trouvent dans un “dieu”: une personnalité qu’ils vont croire sur parole, y compris quand elle s’exprime en dehors de son champ d’expertise, une information qu’ils vont ériger comme seule vérité possible, en ignorant toute information contradictoire. Une forme d’entre-soi, entre religion et idéologie. D’autres, vont avoir besoin de décrypter à l’envi ce qui est proposé comme posture, comme évangile. Peut-être par besoin de sens, ou de congruence, peut-être aussi car ils se sentent écrasés par la responsabilité des décisions qui sont entre leurs mains. Il y va de leur santé, de celles de leurs proches. Aussi, il y va de leur rôle de citoyen: ces actes à poser, sont-ils contraires au bon fonctionnement de la société?

Excusez du peu. “C’est du lourd”, comme on dit. Voilà pourquoi l’hésitation vaccinale mérite qu’on s’y attarde. Elle parle de difficultés majeures à exercer son rôle de citoyen, à être pleinement un citoyen, capable de donner un consentement éclairé. Elle dit qu’il est aujourd’hui compliqué d’accéder à la bonne information, mais aussi à l’ensemble des informations pertinentes. Elle interroge sur la possibilité (ou pas) de synthétiser les questions de santé publique, de santé personnelle, mais aussi de solidarité, de droit, d’économie, les questions sociales, sociétales, que contient l’invitation à aller se faire vacciner.

Outre l’aspect “Sysiphique” du travail à entreprendre, il faut entendre que le mépris qui est témoigné à l’égard de ceux qui doutent ne permet pas ce travail. Douter est une valeur, normalement, dans notre société, notamment parce qu’il permet de sortir du dogme et qu’il est la base du raisonnement scientifique. Or, aujourd’hui, douter et interroger par exemple le discours et la posture gouvernementale, ou demander des explications rationnelles, sur les errances du droit (validité de la manière dont les choses sont menées en regard de la loi de 2002 sur le consentement du patient, ou plus fondamentalement sur la question des droits humains quant aux restrictions ou aux discriminations en germes) ou sur les alternatives médicales face à ce qui reste des molécules en phase d’études cliniques, tout cela est présenté comme faire partie d’une bande de joyeux zozos.

La liberté oui mais non

Le mépris ne mène pourtant à rien, si ce n’est à renforcer chacun dans la stratégie de réassurance qu’il s’est choisie (croyances VS doutes). Et mène probablement au sentiment de certains citoyens d’être isolés du groupe, au point de n’avoir plus comme alternative que se considérer comme hors société, hors institutions, hors “mainstream” et d’entreprendre alors le choix de comportements plus radicaux. Paradoxe à nouveau: alors que certains doutent “sainement”, les voilà amenés à douter des autorités, des “pouvoirs”, et à se refermer sur eux-mêmes, à devenir probablement plus égoïstes, là où la crise nous menait tous à vivre les mêmes choses au même moment, et à retrouver l’idée de société, à réexpérimenter l’idée de communauté.

Plus que jamais, ceux qui exercent la possibilité d’informer devraient faire preuve d’empathie, au sens premier: pouvoir se mettre à la place de l’autre. Pour, de son point de vue, lui apporter les réponses dont il a besoin, pour faire progresser son raisonnement. L’information n’a pas à soutenir un discours ou un positionnement, c’est faire état de la complexité du monde, avec pédagogie et vulgarisation, et donner à chacun les clés pour se forger sa propre opinion, et non pour adhérer à une position “prête à l’emploi”. C’est au coeur de l’idée de consentement.

Dans cette crise, il s’agit de réinventer l’éducation citoyenne, dans un monde devenu absurde à force de complexité et d’instabilité. Continuer à édicter des slogans du haut d’une Chaire de Vérité s’apparente à du « platisme », continuer à dire que tout va bien, c’est ignorer à quel point des citoyens sont perdus et se sentent abandonnés.

Dans une démocratie, où chacun vote, il s’agit d’une prise de risque colossale qui, au lieu de combattre l’obscurité, choisit de la maintenir. Ce choix nourrit les extrêmes qui, demain, feront la peau à nos idéaux. A l’heure du vote sur le projet de loi pandémie, comprenant une promesse d’évaluation de ce qui se joue maintenant, sans définir précisément quand, comment, et avec quels éléments contraignants, il serait bon d’ouvrir les yeux à temps, pour que le doute démocratique, demain, ne mène pas à une voie sans issue.

 

Fanny CHARPENTIER

Fondatrice de Shiny Agency (conseils et communication pour entreprises en début d’activité)