Meurtres de Nathalie Maillet et Ann Lawrence Durviaux: Quel est le profil de Franz Dubois ?


Que s’est-il vraiment passé le soir du 14 août en province du Luxembourg ? Pour rappel, deux femmes, Nathalie Maillet, la directrice du circuit de Spa-Francorchamps, et Ann Lawrence Durviaux, professeure à l’université de Liège et avocate namuroise, ont été retrouvées mortes dans la maison de la première. Elles ont été tuées par Franz Dubois, préparateur automobile très connu dans la région de Mons-Borinage, le mari de Nathalie Maillet. Un drame qui secoue bien plus que les seuls amateurs de sport automobile. Les extrapolations les plus folles font bon train. Est-ce un crime passionnel ? Est-ce un féminicide lesbophobe ? Profiler la psyché de l’auteur des faits apporte peut-être des éléments de réponse. Notre entretien avec Sophie Buyse, psychothérapeute d’orientation analytique, sexologue et spécialiste de l’univers carcéral.

Dans la nuit du samedi 14 au dimanche 15 août, les corps de 3 personnes sont découverts dans une habitation de Gouvy. Ceux de Nathalie Maillet (51) et Ann Lawrence Durviaux (53) et celui de Franz Dubois (75), père de trois enfants. D’après les premiers éléments de l’enquête, après avoir tué les deux premières par balles, le troisième cité a appelé la police avant de retourner l’arme contre lui. Nathalie Maillet et Franz Dubois, mariés, étaient séparés depuis 15 jours. Le soir du drame, ils se sont retrouvés à trois dans un restaurant à Bastogne. Le trio a quitté l’établissement sur le coup des 23H00. Le drame, qui est survenu un peu avant minuit, interroge sur son mobile.

Un crime passionnel ?

 Ce que l’on sait : Nathalie Maillet et Ann Lawrence Durviaux étaient tombées amoureuses. Un mois plus tôt, elles avaient officialisé leur union auprès de Franz Dubois qui semblait l’avoir accepté. Selon l’entourage du couple, le fondateur de la VW Fun-Cup était bien au courant de l’attirance de son épouse pour les femmes. Sa bisexualité n’était pas un secret. Même après son mariage, Nathalie Maillet aurait continué à avoir des relations amoureuses avec des femmes. Comment ces trois personnes ont-elles pu être se retrouver au cœur d’un tel drame ? D’aucuns évoquent un crime passionnel.

« Quoiqu’on en dise, l’infidélité et sa découverte quand elle est avérée, est toujours un traumatisme pour la personne trompée. Il est donc plus évident d’expliquer ce qui se produit psychologiquement dans le cadre d’un meurtre commis par un amoureux déçu qui explose d’un coup, sans violence annonciatrice, que celui commis par un homme reconnu habituellement violent. Cependant, tous les êtres éconduits n’en viennent pas au meurtre. Il y a donc autre chose qui se joue dans la tête de l’auteur du crime, soit un choc. Et lorsque survient un choc traumatique qui mène au passage à l’acte, plusieurs épreuves sont d’abord à passer. Tuer n’est que l’aboutissement d’une chaîne de détresse qui fait que l’individu s’effondre », nous explique Sophie Buyse. « C’est l’infidélité émotionnelle qui est au cœur de la souffrance de l’individu, plus que l’acte en lui-même. Cela ravive très certainement chez l’auteur une blessure originelle ou ancienne, l’idée qu’il n’est pas l’objet d’un amour unique. Cela peut renvoyer aux rapports aux parents ou à des relations affectives précédentes. On est à tout le moins dans un schéma de répétition qui vient réactualiser des frustrations, comme le manque d’amour, d’affection ou d’attention. Cela va au-delà d’une tromperie dans un lien sexuel ».

Ann Lawrence Durviaux, injustement volée à la vie, lit-on sur son faire-part de décès. Image Facebook

Un double féminicide lesbophobe ?

Ce crime s’il ne devait pas être passionnel, pourrait-il être un féminicide ? Jacqueline Sauvage, Valérie Bacot, les expertises réalisées dans plusieurs grandes affaires criminelles récentes confirment qu’une mécanique commune est à l’œuvre de manière récurrente dans ce contexte : un homme veut posséder « sa » femme, contrôler ses moindres faits et gestes. Quand la victime parvient à se libérer de l’emprise de son compagnon, ce dernier vit cet affranchissement comme une dépossession intolérable. La séparation est l’élément déclencheur le plus fréquent des meurtres. L’homme tue celle qui tente de lui échapper, souvent après des années d’un déchainement de violences en escalade.

Nathalie Maillet, Ann Lawrence Durviaux et Franz Dubois présentaient, chacun dans leur domaine respectif, un parcours professionnel admirable. Ils avaient tous les trois une vie lisse, confortable et sans histoire. Ils étaient aussi tous les trois appréciés de tous. Rien ne pouvait a priori laisser présager le pire dans une telle configuration. « Une personne en souffrance peut pendant des années porter un masque social qui vient couvrir ses fêlures », nous précise Sophie Buyse. « Mais la trahison émotionnelle ou physique, selon les cas, peut être catalyseur. C’est la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà bien rempli et parfois depuis longtemps. L’infidélité fait alors écho avec un sentiment nourri de rejet ou d’humiliation selon les situations. L’abandon de l’autre provoque une décompensation. C’est là que survient la fracture avec le réel, entre ce que je sais, ce que je vois et ce que je crois accepter et que je n’accepte pas en fait. Ce pourquoi, si Ann-Lawrence Durviaux avait été un homme, cela n’aurait probablement rien changé à l’issue tragique ».

Pourquoi se suicider ?

Selon la littérature criminelle, l’homicide-suicide est un acte dans lequel un individu tue une ou plusieurs autres personnes, avant de mettre fin à ses jours. Le suicide (ou la tentative de suicide) de l’auteur des faits survient dans un délai court, souvent inférieur à vingt-quatre heures.

Les approches psychopathologiques précisent que dans 85% des cas, les meurtriers sont de sexe masculin et plus âgés que leur(s) victime(s) ; 80% des victimes sont de sexe féminin et sont souvent des femmes qui sont les (ex) conjointes du meurtrier. De manière générale, il existe un lien privilégié entre tous les protagonistes. L’ensemble des études américaines et la majorité des études européennes rapportent aussi que l’arme à feu est la méthode la plus utilisée. Dans la majorité des cas, le passage à l’acte a lieu au domicile de l’auteur et/ou de la (des) victime(s). Quand il se produit au domicile, c’est dans la chambre qu’il a lieu le plus souvent.

Les homicides-suicides entre conjoints sous-tendent deux types de profil : le sous-type « possessif » – c’est typiquement l’homme qui tue son (ex-)conjointe dans un contexte de rupture sentimentale – et le sous-type « conjoint âgé et souffrant ». Dans ce dernier cas, l’auteur rencontre souvent des problèmes de santé ou des difficultés financières. Le trouble le plus fréquemment retrouvé chez l’auteur d’un acte homicide-suicide est la dépression, ce pourquoi dans un grand nombre de cas l’impulsion suicidaire préexiste au passage à l’acte. « Le suicide dans ce cadre peut être considéré comme le meurtre de soi-même. C’est le point final mis à la  remise en question d’une identité. Dans son inconscient, l’individu a le sentiment qu’il ne peut plus s’appuyer sur personne. Avec la rupture affective, le sujet éprouve la crainte de perdre un équilibre. Du ressentiment, de la colère ou de la haine, en même temps qu’un profond désarroi se mettent en place. Le fait pour Franz Dubois d’être beaucoup plus âgée que Nathalie Maillet a sans doute alimenté en lui l’idée d’être en bout de course », ponctue Sophie Buyse.

De nombreuses questions sans réponses

L’action publique est éteinte sur le plan pénal à la suite du décès de l’auteur présumé. Mais cela ne signifie pas pour autant la clôture de ce dossier. Franz Dubois était-il déprimé ? Était-il malade ? Avait-il des difficultés financières ? Quelle est son histoire familiale ? Comment a-t-il construit sa vie amoureuse passée et sa relation affective avec Nathalie Maillet ? Il appartient à présent à l’enquête en cours de le définir. Le juge d’instruction en charge de cette affaire peut à cet effet poser tous les actes et devoirs nécessaires à la manifestation de la vérité. Les proches des victimes attendent tout le moins des réponses légitimes à leurs questions.

 


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