LITTERATURE

Rentrée littéraire : les 10 romans indispensables


C’est une grande tradition en France : chaque année, à la mi-août, c’est donc la rentrée littéraire. Une rentrée qui connaît son apothéose avec la distribution fin octobre- début novembre… Cette année, l’édition française a baissé la cadence, ne publiant jusque fin septembre « que » 521 romans ! On trouve de tout, du très bon, du bon, du moins bon… même du calamiteux dont, charitables, nous passerons sous silence. Et, en toute subjectivité, j’ai sélectionné pour « L-Post.be » 10 romans indispensables en cette rentrée. Bonne lecture !

Côté francophone, premier indispensable : « Le Voyage dans l’Est » de Christine Angot (Flammarion). On a là l’un des événements, si ce n’est l’événement de cette rentrée littéraire d’été 2021. Romancière de l’autofiction, l’écrivaine propose une nouvelle variation sur le drame de sa vie, un drame qui a commencé alors qu’elle avait tout juste 13 ans. Drame qu’elle a rapporté et exploré dans deux précédents livres, avec pour personnage principal le père dans l’un, la mère dans l’autre. Drame de l’inceste que, là, Christine Angot ausculte, décrypte avec ses yeux et ses mots d’adolescente puis de femme. Et toujours l’écriture brillante, brûlante, perturbante, quasiment étouffante…

Des voyages, des histoires de familles, des parcours de vie

On continue en francophonie avec « L’arbre ou la maison » d’Azouz Begag (Julliard). Deux frères vivent à Lyon. Quelque temps après la mort de leur mère, ils décident d’un voyage à Sétif, en Algérie- dans un double but : nettoyer les tombes de leurs parents et s’enquérir de l’état de la maison familiale. Arrivés à destination, c’est la déception : les deux frères ne reconnaissent plus rien. Une seule chose est toujours là, le peuplier planté tout près de la maison par le père un demi-siècle plus tôt- mais il a tellement poussé qu’il menace les fondations. Se pose alors un cruel dilemme : l’arbre ou la maison ? C’est ensoleillé et émouvant…
Changement de décor avec « Son empire » de Claire Castillon (Gallimard). Une fillette de 7 ans vit avec sa mère. Un jour, surgit un homme, le nouvel ami de la mère. « C’est une femme sous influence, confie la romancière. C’est l’histoire d’une destruction en marche ». La petite fille voit sa mère plonger. Et aussi l’ami manipuler sa mère. Femme faible ? follement amoureuse à en être aveuglée ? Lui, l’homme présente les tendances du pervers narcissique. Que peut faire la fillette ? Jusqu’où ira cette relation toxique, forcément toxique ?

Avec « La porte du voyage sans retour » de David Diop (Seuil), on glisse dans le sillage d’un botaniste, d’un « voyageur scientifique », jeune homme venu de France au Sénégal. Il débarque Il y débarque pour étudier la flore. Il souhaite rédiger une encyclopédie universelle du vivant. Durant ce séjour, il apprend qu’une jeune femme africaine promise à l’esclavage a réussi à s’enfuir, à se réfugier quelque part aux confins du Sénégal. Dès lors, le botaniste n’aura plus qu’une idée fixe : retrouver cette jeune femme qu’on dit aussi belle que rebelle. Problème : dans sa fuite, elle a laissé mille pistes et pour le moins tout autant de légendes…

Enfin, le meilleur livre de cette rentrée, version ruralité : « Pleine terre » de Corinne Royer (Actes Sud). Neuf jours, huit nuits… Le temps d’une cavale. Les gendarmes pourchassent, traquent. Un criminel ? Non, un éleveur qui n’a pas rempli les obligations administratives. Neuf jours, huit nuits contés en neuf chapitres pour un roman qui n’est pas seulement le récit d’une cavale mais aussi, à travers les témoignages des voisins, de la sœur ou encore des amis du héros, les tourments d’un monde paysan, l’aveuglement de l’administration, la solitude, les regrets, les souvenirs. Neuf jours, huit nuits, une cavale dans les forêts… et une fin que l’on sait inéluctable…

Echos venus d’ailleurs

Dans le domaine étranger, on plonge dans « Notre part de nuit » de Mariana Enríquez (Editions du Sous-sol). Un roman phénomène, selon l’éditeur français. Selon d’autres, un « grand roman gothique » ou encore un OLNI- objet littéraire non identifié. Gros pavé (près de 800 pages !) de l’écrivaine argentine Mariana Enríquez, « Notre part de nuit » est un road book avec un père et son fils Gaspar qui vont traverser l’Argentine par la route après la disparition étrange de la mère du gamin. Celui-ci a le même don que son père : plus tard, il sera médium pour le compte d’une mystérieuse société secrète qui entre en contact avec les Ténèbres pour percer les mystères de la vie éternelle. Au hasard du voyage, c’est la dictature militaire argentine dans les années 1970-80, le psychédélisme dans le Londres des seventies, les années Sida… on croise aussi David Bowie et des monstres, effrayants bien sûr, sans oublier des sacrifices humains !

On enchaîne avec « Poussière dans le vent » de Leonardo Padura (Métailié). Dans ce roman de l’auteur cubain, tout commence avec une photo. Elle arrive de New York, lui vient de Cuba. Ils ont 20 ans, ils s’aiment, il lui montre la photo de groupe- elle a été prise dans le jardin de sa mère. La jeune femme est intriguée, elle se met en quête de savoir qui sont ces jeunes gens. Au fil des pages, on apprend qu’ils étaient huit amis, très liés depuis la fin des études au lycée. Il y a eu la grande espérance de la Révolution cubaine, les pénuries de la « Période spéciale » dans années 1990… De ce groupe de huit, certains ont disparu, d’autres sont restés au pays, d’autres sont ou vont partir…

Ensuite, un premier roman : « True Story » de Kate Reed Petty (Gallmeister). Solitaire, Alice Lovett prête sa plume pour écrire les histoires des autres. Une histoire, une seule, lui échappe encore et encore. En été 1999, deux ados légèrement alcoolisés ont lancé une rumeur qui a bouleversé toute la communauté. Que s’est-il vraiment passé ce soir-là sur la banquette arrière de la voiture quand les deux ados l’ont ramenée chez elle, endormie ? Tout y passe, tout est dit, où est le vrai, où est le faux dans toutes ces accusations, rejets, dénis, faux-semblants… Un roman entre fiction et réalité.

De nouveaux « classiques» 

On retrouve aussi une « vieille connaissance » avec « Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes » de Lionel Shriver (Belfond). L’auteure est toujours aussi acerbe et fine observatrice de l’aujourd’hui. Un matin, Remington, la soixantaine, annonce à sa femme Serenata son intention de courir prochainement un marathon et, plus tard, prendre part à un triathlon. Ils sont mariés depuis trente-cinq ans, elle désapprouve son mari dans son projet et le lui indique. Il s’adjoint les services d’une coach- ultra-sexy, détestée par sa femme… Un grand et implacable roman qui démonte le culte du corps et les dangers de la pratique sportive à outrance.

Ultime bonheur de lecture en cette rentrée : « Memorial Drive » de Natasha Trethewey (Editions de l’Olivier). La narratrice se l’était juré : ne jamais revenir à Atlanta. Pourtant, pour des raisons professionnelles, la jeune femme doit s’y rendre. Et elle raconte. C’est le grand roman de l’Américaine Natasha Trethewey, enseignante, écrivaine et surtout poétesse de grand renom outre-Atlantique. Donc, retour à Atlanta en prenant soin d’éviter Memorial Drive, l’autoroute qu’empruntait sa mère Gwendolyn Ann Turnbough. D’un premier mariage interracial est née Natasha. Quand ils se séparent, la mère refait sa vie avec Joe, un « vétéran » du Vietnam surnommé « Big Joe ». En 1985, celui-ci tue Gwendolyn- Natasha a tout juste 19 ans… Le roman étourdissant de deux trajectoires : celle d’une femme noire mariée à un homme blanc à une époque où une telle situation était pour le moins mal acceptée, et celle d’une Amérique des années 1960-70 en proie à ses (éternels) démons…

Serge BRESSAN (à Paris)