Culture

Chronique: « Temps sauvages », de Mario Vargas Llosa


A quatre-vingt-cinq ans, Mario Vargas Llosa, selon nous, l’un des deux plus grands écrivains actuels, l’autre étant Milan Kundera, publie un nouveau roman. Le Péruvien fait partie de ces auteurs qui ont porté la littérature hispanique à son plus haut période au 20ème siècle  au même titre que Jorge Luis Borges (Argentine), Octavio Paz (Mexique), Carlos Fuentes (Mexique), Gabriel Garcia Marquez (Colombie), Julio Cortazar (Argentine), Pablo Neruda (Chili)… Ayant obtenu le prix Nobel de littérature en 2010 et vu son oeuvre consacrée par une publication dans la prestigieuse collection de la Pléiade en 2016, on pouvait penser qu’il avait cessé d’écrire. Pour notre plus grand plaisir, il sort ce jeudi 9 septembre, Temps sauvages,  un nouveau roman, publié en 2019 dans sa version espagnole et désormais traduit en français par Albert Bensoussan (son traducteur « historique ») et Daniel Lefort. Un petit régal.

Comme dans nombre de livres antérieurs, l’auteur mêle ici fiction et réalité, faits imaginaires et faits réels, « il prend des libertés avec la réalité historique pour mieux faire jaillir l’esprit d’une époque ou d’un système » (Stéphane Michaud), dans le cas présent l’histoire du Guatemala entre les années trente et le début des années soixante à titre d’illustration de l’évolution des régimes latino-américains au vingtième siècle, penchant tantôt vers la dictature, tantôt vers la démocratie, et du rôle pour le moins ambigu des Etats-Unis la plupart du temps.

Une autre vision des Gringos

On comprend, en le lisant, pour quelles raisons « les gringos » sont mal considérés des populations locales dans ces régions…Un lien se noue avec un précédent roman de Vargas Llosa, La fête au bouc, se déroulant, quant à lui, en République dominicaine : même genre d’intrigue et personnages récurrents (le dictateur Trujillo et son homme de main, Johnny Abbes Garcia, lequel est même un des principaux acteurs des Temps sauvages).

Pour requérir du lecteur moins d’efforts de concentration que certains de ses romans antérieurs, les techniques d’écriture restent similaires : absence de narrateur omniscient, points de vue multiples entrecroisés, va-et-vient entre les époques, non-respect d’une chronologie linéaire et surtout (au chapitre VII) dialogues enchevêtrés de quatre protagonistes, ce qui nous renvoie à La ville et les chiens, à La maison verte…, romans où cette technique était mise en œuvre plus sytématiquement, comme si l’auteur avait voulu nous signifier : « Voyez, si je voulais, de quoi je suis encore capable malgré mon âge ».

Le récit illustre notamment la thèse selon laquelle « le XXème siècle serait celui de l’avènement de la publicité comme outil principal du pouvoir et de la manipulation de l’opinion publique dans les sociétés aussi bien démocratiques qu’autoritaires. » (p.30) ; en l’espèce, c’est la multinationale United Fruit qui, pour des raisons économico-financières, manipule l’opinion mondiale et contribue au renversement du président démocratiquement élu Jacobo Arbenz, le faisant passer pour un agent du communisme et de l’Union soviétique.

Sortie prévue ce 9 septembre

Pense-t-il à lui lorsqu’il fait dire à un de ses personnages : « Athée, non, seulement agnostique. Voilà ce que je suis dorénavant : un homme perplexe. Ni croyant, ni non croyant. Un indécis » (p.305-307). « Je suis arrivé (…) à une misérable conception de l’être humain. On dirait qu’au fond de nous tous il y a un monstre. Qui n’attend que le moment propice pour sortir en plein jour et provoquer des ravages. » ?

On aura constaté que nous avons pris le parti de ne rendre compte que d’ouvrages rédigés en français dans ces chroniques littéraires, considérant qu’une appréciation du style d’un auteur ne pouvait se faire que dans la langue de l’écriture. Nous avons excepté de cette règle Mario Vargas Llosa, l’un des deux plus grands écrivains vivants : il fallait légitimement attirer l’attention du lecteur sur son (peut-être) dernier livre. Découvrez donc ces Temps sauvages.

Mario Vargas Llosa, Temps Sauvage, Ed.Gallimard, 383 p., 23 €.

 

Jacques MELON

 

 


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