LITTERATURE

Chronique: Le voyant d’Etampes, d’Abel Quentin


Abel Quentin, 36 ans et avocat de profession trace ici le portrait de Jean Roscoff (personnage imaginaire), maître de conférences à l’Université de Paris VIII, retraité, lequel publie une biographie de Robert Willow, poète américain du début de la seconde moitié du 20ème siècle. Communiste et existentialiste, Willow passa en Europe, se lia avec Jean-Paul Sartre, se détacha de lui pour des raisons « doctrinales » et se retira en Essonne, à Etampes, où il écrivit des poèmes en français, inspirés de Charles Péguy. Il y mourut comme suite à un accident de voiture. Les principaux personnages sont, outre Jean Roscoff, son ex-femme Agnès, sa fille Léonie et la compagne de celle-ci, Jeanne, l’éditeur Paulin Michel, l’ami Marc. Découvrez ici, Le voyant d’Etampes, la récente publication d’un auteur qui marque de sa griffe cette rentrée littéraire.

On connaît le goût des grands auteurs français (Rabelais, Molière, Voltaire, Gide parfois…) pour la dénonciation des ridicules de la morale sociale ; Abel Quentin s’inscrit dans cette lignée.

L’histoire

Alors que, dans sa jeunesse, Jean Roscoff était militant de SOS Racisme, ami de Harlem Désir et de Julien Dray et avait écrit un livre défendant l’innocence des Rosenberg, le nouveau livre va faire l’objet de violentes attaques : son auteur n’avait pas évolué dans son antiracisme ni attaché l’importance requise aujourd’hui au simple fait (existentiel) que Robert Willow était noir. Il s’est ainsi livré à de la « prédation identitaire » (p. 191), à de l’« appropriation culturelle », seul un Noir peut, en effet, raconter, sans la déformer, la vie d’un Noir, pas un Blanc (p. 189), les droits de l’homme ne sont que la continuation de la domination blanche par d’autres moyens (p.190), ce n’est pas parce qu’on décrète l’égalité que cessera la vieille domination (blanche) ; il faut traquer les lapsus et les gestes manqués, l’inconscient raciste (p.171). Sans oublier la domination des mâles : Jeanne, la compagne (lesbienne) de Léonie, se dit à la fois agent d’oppression (parce que blanche) et victime d’oppression (parce que femme et homosexuelle), non seulement la société est structurée par des rapports invisibles d’oppression, mais cet enchevêtrement coexiste parfois au sein d’un même individu (p.99), Jeanne en l’espèce. Et c’est à tort que, pour défendre Polanski, on se cache derrière le problème des générations : la génération actuelle peut demander des comptes aux générations antérieures (p. 189) (et détruire les statues, brûler Tintin au Congo…).

Bigre. On devine toutefois qu’Abel Quentin ne partage pas de telles analyses mais entend les dénoncer en usant de la voie de l’humour. Tous les discours de l’un ou l’autre extrémiste, souvent cités mot à mot ci-dessus, sont proférés de manière à faire ressortir leur caractère délirant, le livre est une comédie, une satire, un pamphlet contre les excès du « politiquement correct ». Le dénouement (que nous ne révélerons pas) est d’ailleurs un pied de nez à tous les commentateurs malveillants de Jean Roscoff.

Au point de vue de la forme, le livre contient malheureusement pas mal de coquilles et quelques fautes de français ; l’auteur eût dû davantage se relire ; le style manque, en outre, un peu d’élan.

Malgré ces légères réserves, nous pensons que cet ouvrage mériterait un des prix de l’automne. Un jury osera-t-il le consacrer ? On sait qu’il est parfois bien difficile d’échapper à la dictature du « politiquement correct ».

 

Jacques MELON

Aben Quentin, “Le Voyage d’Etampes, Ed. l’Observatoire, 379 p., (20,00 €)