Société

Les révélations des Pandora Papers ébranlent le Parti conservateur et le Premier ministre Boris Johnson

D.R.

Les documents décortiqués par les journalistes révèlent des noms de donateurs importants du parti conservateur. Les révélations font grand bruit au Royaume-Uni et pourrait fragiliser le Premier ministre britannique. Après les Panama Papers (2016) et les Paradise Papers (2017), « la dernière série de révélations baptisée Pandora Papers expose la face sombre de l’économie mondiale qui permet à de riches autocrates », aux responsables politiques et aux milliardaires de soustraire leurs avoirs aux yeux du grand public. Au fond de cette boîte de Pandore, le nom d’une ville revient avec insistance : Londres. Les révélations des journalistes d’investigation (ICIJ) sont publiées depuis dimanche 3 octobre. Elles sont les résultats d’une grande enquête menée grâce à une gigantesque fuite de documents provenant de quatorze cabinets spécialisés dans les paradis fiscaux.

La capitale britannique, citée à de nombreuses reprises dans les documents analysés par le Consortium international des journalistes d’investigation, joue un rôle essentiel dans la face sombre de l’économie mondiale. Quelque 300 responsables publics, 35 chefs d’État et 130 milliardaires y figurent. Comme le roi Abdallah II de Jordanie, l’entourage du président kényan Uhuru Kenyatta, des oligarques russes proches de Vladimir Poutine et du dictateur biélorusse Alexandre Loukachenko, tous ont bâti à Londres un patrimoine immobilier avec l’aide de sociétés-écrans sises dans les paradis fiscaux. Plus de 600 journalistes dans 117 pays ont parcouru les fichiers de 14 sources pendant des mois. Les données ont été obtenues par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) à Washington DC, qui a travaillé avec plusieurs groupes de médias dont Le Soir, De Tijd en Belgique. C’est BBC Panorama et le Guardian qui ont mené l’enquête au Royaume-Uni.  L’investigation des deux médias a révélé comment l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair et sa femme ont économisé £312,000 en droits de timbre lorsqu’ils ont acheté un bureau à Londres. L’enquête a mis en évidence l’échec du Gouvernement britannique à introduire un registre des propriétaires fonciers offshore, malgré les promesses répétées de le faire. Alors que certains acheteurs de propriété pourraient cacher des activités de blanchiment d’argent.

De généreux donateurs étrangers du parti conservateurs…

Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et sa famille, qui ont été accusés de piller leur propre pays, en sont un exemple. L’enquête a révélé que les Aliyev et leurs proches collaborateurs ont été secrètement impliqués dans des transactions immobilières au Royaume-Uni d’une valeur de plus de 400 millions de livres sterling. Et, l’une des plus grandes donatrices du Parti conservateur tire sa richesse personnelle de son mari, un ancien ministre russe, a-t-on affirmé. Lubov Chernukhin, qui a donné près de 2 millions de livres sterling aux conservateurs depuis 2012, est décrite comme « une femme au foyer » qui est « financièrement soutenue par son mari Vladimir », selon des documents des Pandora Papers divulgués à la BBC. Chernukhin a eu l’occasion de jouer au tennis avec Boris Johnson lors d’un événement de collecte de fonds l’année dernière et a dîné avec Theresa May lorsqu’elle était Première ministre.

Dans une autre révélation, un homme d’affaires dont les entreprises ont soutenu des dizaines de députés conservateurs a gagné des millions grâce à un accord sur un pipeline russe accusé de fraude massive, a-t-on affirmé. Viktor Fedotov, un ancien cadre pétrolier, est copropriétaire d’Aquind, une société qui cherche à obtenir l’approbation du gouvernement pour un lien énergétique controversé entre le Royaume-Uni et la France. Ainsi M. Fedotov a investi dans l’immobilier au Royaume-Uni et sa fortune est également impliquée dans le financement du Parti conservateur.

Son lien avec Aquind a été caché en profitant d’une exemption aux lois britanniques sur les sociétés accordées aux personnes ayant des problèmes de sécurité personnelle. Fedotov est désormais identifié dans les archives publiques de la société, aux côtés d’Alexander Temerko, le visage public né en Ukraine et copropriétaire d’Aquind. Temerko est un militant du Parti conservateur et un ami personnel du Premier ministre Boris Johnson. Il est un habitué des collectes de fonds du Parti conservateur et a personnellement fait un don de plus de £700,000 au parti. Les enquêtes de la BBC ont établi qu’en plus des dons de M. Temerko au Parti conservateur, les entreprises de M. Fedotov ont fait un don de £700.000 supplémentaires à 34 députés et à leurs partis locaux depuis le début du projet Aquind.

Et depuis 2018, Mohamed Amersi a également donné près de £525 000 au parti conservateur. Les documents divulgués ont révélé comment il a travaillé sur une série d’accords controversés pour une société de télécommunications suédoise qui a ensuite été condamnée à une amende de 965 millions de dollars (700 millions de livres sterling) dans le cadre d’une poursuite aux États-Unis. Les questions sur les sources de la richesse de M. Amersi surviennent alors que la conférence annuelle du Parti conservateur se déroule actuellement à Manchester. Ses dons comprenaient plus de £100,000 pour la campagne électorale générale de 2019 et £10,000 pour la candidature à la direction du Premier ministre. La partenaire d’origine russe de M. Amersi, Nadezhda Rodicheva, a également fait un don aux conservateurs (plus de £250,000 en 2017 et 2018).

Le Premier ministre Boris Johnson est poussé vers la sortie. AFP

Le Premier ministre Boris Johnson lors de son discours au congrès du Parti conservateur à Manchester.

Pressions sur Boris Johnson

Boris Johnson a subi des pressions pour retourner l’argent au donateur du parti conservateur Mohamed Amersi, après que l’homme d’affaires ait révélé avoir donné des conseils sur la structure d’un accord qui s’est avéré plus tard être un pot-de-vin de 220 millions de dollars (162 millions de livres sterling) pour la fille du président de l’Ouzbékistan.

Fait surprenant: la famille régnante du Qatar a acheté deux des maisons les plus chères du Royaume-Uni dans le cadre d’un accord qui leur a permis d’éviter 18,5 millions de livres sterling de droits de timbre, selon des documents divulgués. En 2013, les médias britanniques ont rapporté que Sheikha Mozah Bint Nasser, épouse de l’émir du Qatar de l’époque, avait acheté 1 Cornwall Terrace à Londres pour 80 millions de livres sterling, ce qui en fait la propriété en terrasse la plus chère jamais vendue au Royaume-Uni. Le voisin 2-3 Cornwall Terrace a été acheté pour 40 millions de livres sterling. Suite à ses acquisitions, la famille régnante a ensuite tenté en 2015 de regrouper les deux propriétés en un seul « super-manoir », avec 17 chambres, 14 salons, un cinéma, un bar à jus et une piscine. Au préalable, leur demande a été rejetée par le conseil de Westminster sur la base d’un manque de logements résidentiels dans l’arrondissement, mais une deuxième demande en 2020 semble avoir été acceptée.

Cependant, les nouveaux documents divulgués révèlent que les propriétés ont été achetées via des sociétés-écrans basées dans des paradis fiscaux offshore et, ce faisant, la famille dirigeante a évité une taxe foncière estimée à 18,5 millions de livres sterling lorsque les baux ont changé de mains.

La boîte de Pandore est ouverte

Le rapport accuse aussi ces personnalités d’avoir créé près de 1.000 sociétés offshore, dont plus des deux tiers aux Iles Vierges britanniques. Les Iles Vierges se sont spécialisées dans l’enregistrement rapide et pas cher de sociétés, assure le directeur de l’ONG britannique Tax Justice Network, Alex Cobham. Londres demande à ses territoires d’outre-mer (de publier des registres publics de bénéficiaires) quand il pourrait tout simplement légiférer.

Pour l’ONG, le Gouvernement britannique traîne des pieds sur la transparence fiscale de ses territoires d’outre-mer et aux dépendances de la Couronne britannique (qui comptent aussi les Bermudes, Jersey, Guernesey ou l’Ile de Man). Quelle est la responsabilité du Royaume-Uni dans l’évitement fiscal massif dévoilé par les Pandora Papers ? Le gouvernement britannique, particulièrement l’actuel, traînaille sur la transparence fiscale. Il y a même un vrai danger que le Royaume-Uni, à l’heure du Brexit, retourne vers le vieux modèle postcolonial de juridictions fiscales avec la City au centre. Cette enquête n’a pas fini de faire du bruit au Royaume-Uni. Est-ce que d’autres noms seront révélés ainsi que d’autres scandales financiers ?

Alexander SEALE (à Londres)