LITTERATURE

“L’après littérature” par Alain Finkielkraut


Pour une fois, il s’agit d’un essai que nous commenterons dans cette chronique en tant qu’il s’attache à la littérature. L’œuvre de Finkielkraut, dans son ensemble, entend, en effet, dénoncer de nouveaux dogmatismes contemporains résumés dans l’introduction en trois propositions : tout est culturel, un idéal égalitaire, le nihilisme compassionnel. L’objet du livre est donc plus large que ce que laisse supposer le titre. Alain Finkielkraut n’écrit pas autre chose qu’Abel Quentin (Le voyant d’Etampes) mais l’un écrit un essai, l’autre un roman, un conte, presque une sotie.

Tout d’abord, l’auteur condamne l’écriture inclusive censée restituer aux femmes la place qui leur est due (p.21) mais, en réalité, instaurant un sabir affreux, rendant illisible et imparlable la langue française (« Cher.e.s étudiant.e.s, vous êtes convoqué.e.s pour venir rencontrer vos interlocuteur.trice.s pour l’année »), insondable bêtise d’un bégaiement obligatoire (p.52), alors qu’il suffit d’évoquer les noms de Louise Labé, Colette, Nathalie Sarraute, Marguerite Yourcenar et de bien d’autres pour constater que les femmes n’ont pas attendu cette réforme pour magnifier la langue française. Malheureusement, il ne se fait pas d’illusions, « l’art est toujours vaincu par l’idéologie » (p.66).

Ensuite, il s’interroge : va-t-on, comme aux Etats-Unis, nettoyer les textes anciens et les corriger pour les rendre conformes aux valeurs (à l’idéologie) actuelles ? On a déjà commencé : le titre du roman d’Agatha Christie (Les Dix Petits Nègres) a été modifié spontanément par les héritiers de la grande Agatha (p. 159), Leo Muscato fait assassiner Don José par Carmen dans sa récente mise en scène, avec l’approbation de certains critiques (p.43) (qu’en eussent pensé Mérimée et Bizet ?), à quand l’autodafé de Lolita ?

Dans le même sens, nous nous permettons de corriger une partie du célèbre monologue d’Alceste :

…et je hais tous les hommes. toutes les femmes.
Les un.e.s parce qu’ils.elles sont méchant.e.s et malfaisant.e.s
Et les autres pour être aux méchant.e.s complaisant.e.s…

La littérature, écrit Alain Finkielkraut, est l’un des deux « antidotes à la disparition du particulier dans le général » (p.77), l’autre étant le droit. Et, dans la même ligne, il cite Philip Roth : « Quand on généralise la souffrance, on a le communisme. Quand on particularise la souffrance, on a la littérature » (p.90). Nous avons relevé avec satisfaction qu’Alain Finkielkraut fait également de Milan Kundera un des plus grands écrivains encore vivants, tout en soulignant que, jugé trop sexiste par l’académie suédoise, il n’a aucune chance d’obtenir jamais le Nobel.

Nous achèverons cette courte recension d’un livre qui mérite d’être lu en entier, qu’on l’approuve ou non, par une citation qui sort un peu du cadre que nous nous sommes imposé : « l’incendie de Notre-Dame n’est ni un attentat ni un accident, c’est un suicide. Epuisée par le surtourisme, déprimée par les milliards de selfies dont elle constitue l’arrière-fond et encerclée par la laideur, la cathédrale a voulu mettre fin à ses jours » (p.156).

Jacques MELON

Finkielkraut Alain, L’après littérature, Ed. Stock, 228 p., 19,50 €