OPINION

L’Afghanistan des Talibans ou l’honneur perdu de l’occident

REUTERS

Rome, 12 octobre 2021 : ce jour-là, dans la capitale italienne, l’Union Européenne, flanquée des Etats-Unis d’Amérique, a rencontré les nouveaux maîtres de l’Afghanistan, les talibans, afin de discuter de l’aide humanitaire à apporter, précisément, au peuple afghan, dont les conditions d’existence versent  de plus en plus, aujourd’hui, dans une pauvreté croissante, une misère alarmante, au seuil même d’une très meurtrière famine, après que l’armée américaine ait quitté, dans les déplorables conditions que l’on sait, ce malheureux pays.

Les Talibans: un sommet de barbarie

Certes, l’Europe était-elle mue là, tant sur le plan moral que social, des meilleures intentions : preuve en est qu’elle n’a pas hésité, pour ce faire, à débourser un chèque d’un milliard d’euros afin de venir en aide, donc, à ce même peuple afghan. S’est-elle cependant rendue compte, cette Europe ainsi apparemment aussi généreuse, qu’elle parlait en réalité là, même si elle prétendait ne pas toutefois les reconnaître officiellement, ni sur le plan diplomatique ni sur le plan politique, avec des gens – les talibans – qui, par leur inconcevable niveau de barbarie, auraient naguère même fait probablement tressaillir, de sinistre mémoire, les plus enthousiastes des sympathisants de l’horreur nazie ?

Car dans les faits, par-delà même leurs discours de façade, destinés seulement à amadouer les démocraties modernes afin d’en retirer tous les possibles profits, surtout financiers, que font-ils donc de si différent, ces talibans sévissant aujourd’hui en Afghanistan, que les nazis hier en Allemagne ? Ils massacrent, de la même, violente et impitoyable façon, leurs opposants. Ils persécutent et tuent, à tours de bras, les intellectuels. Ils trucident et pendent en place publique les homosexuels, exhibant ensuite sans vergogne leurs corps mutilés sous la torture. Ils violent, hilares ou hallucinés sous les mortifères effets de la drogue, les adolescents ou, pis encore, de jeunes garçons. Ils brûlent en masse, comme autant d’honteux autodafés, les livres, les bibliothèques et les musées. Ils interdisent toute forme d’art au prétexte que les artistes sont, face aux prétendues injonctions d’une tout aussi fallacieuse charia, des « dégénérés ». Ils brandissent leurs fusils comme Goebbels, l’odieux théoricien de la propagande nazie, sortait autrefois son revolver lorsque, de son propre et infâme aveu, il entendait le mot « culture » ! Et j’en passe, et des pires !

Les Talibans d’aujourd’hui pires, encore que les Nazis d’hier

Certes, me rétorqueront les divers fonctionnaires de nos chancelleries, lesquelles ne sont manifestement plus à une hypocrisie près, les talibans n’ont-ils pas encore inventé  à l’heure actuelle, comme le firent au contraire jadis les nazis, ce crime abominable entre tous qu’est celui du camp de concentration, voire d’extermination, où, dans la plus obscure des nuits de l’(in)humanité, ont péri, gazés puis brûlés, six millions de juifs. Soit ! Mais il n’empêche, leur répondrai-je alors, à mon tour, que, à y regarder d’un peu plus près, sans certes vouloir comparer là l’incomparable ni verser en un révisionnisme historique de mauvais aloi, ce sont les femmes, y compris les jeunes filles, qui, pour les talibans, ont aujourd’hui quasiment le même statut anthropologique – celui d’une population réputée inférieure, dangereuse, méprisable et, comme telle, à effacer de toute société  – que celui, hier, des juifs au regard des nazis.

L’Afghanistan des Talibans: un vaste camp de concentration pour les femmes qui ne dit pas son nom 

Ainsi, est-ce rien moins que la moitié de la population totale afghane – 20 millions de femmes, environ – qui se trouve aujourd’hui enfermée, sans même avoir le droit de parler, d’aller à l’école pour s’instruire ou de simplement montrer son visage, sous ces prisons ambulantes que sont les burkas. C’est dire si, pour ces femmes, sans même évoquer ici les intellectuels, artistes et autres dissidents, l’Afghanistan tout entier ressemble, de fait, sinon encore à un immense Auschwitz, du moins à un vaste camp de concentration qui ne dit pas son nom !

D’où, aussi nécessaire qu’urgente, cette interrogation : comment donc l’Occident, pour qui les droits de l’homme et de la femme sont censés représenter, à ses dires, une valeur inaliénable tout autant qu’un principe universel, peut-il parler en âme et conscience, fût-ce sous couvert d’aide humanitaire et croyant diminuer ainsi les souffrances du peuple afghan, avec ces tortionnaires, barbares d’un autre âge, que sont, en effet, les talibans ? Pis : comment même, en plus de se taire face à d’aussi innommables cruautés, oser s’asseoir, sous les ors d’un hôtel de luxe romain, aux côtés de gens à ce point infréquentables, monstrueux à tous égards ?

Le complice et lâche « esprit de Munich »

Mais il est vrai, hélas, que notre bonne, vieille et chère Europe a déjà connu, par le passé, ce genre, particulièrement lâche, sinon abject, de compromission, voire de collaboration. Cela se passa, de sinistre mémoire là encore, les 29 et 30 septembre 1938, à Munich, lors d’une conférence réputée, là aussi, historique, fût-ce, en cette triste circonstance, pour le pire ! Ces deux jours-là ; les dirigeants de l’Italie (un certain Mussolini), de la France (Daladier), de la Grande-Bretagne (Chamberlain) et de l’Allemagne (Hitler en personne !) discutèrent du sort de la Tchécoslovaquie, que les nazis s’apprêtaient à envahir, sans que ces mêmes dirigeants européens ne trouvèrent rien – ou si peu – à redire.  On appelle cela – cette inqualifiable et vile capitulation de l’Europe d’alors face à l’Allemagne triomphante – l’ « esprit de Munich », dont on connaît, surtout, l’effroyable suite : la Seconde Guerre mondiale, avec ses 50 millions de morts et ses deux bombes atomiques larguées, consécutivement, sur Hiroshima et Nagasaki !

Certes y eut-il bien alors un homme – Winston Churchill, mais qui n’avait pas encore le pouvoir à cette époque – pour, lucide et courageux, s’élever, contre vents et marées, et mettre en garde le monde contre pareille forfaiture. Ses paroles, aussi sages que prémonitoires, résonnent, par ailleurs, encore aujourd’hui, passées désormais à la postérité, au sein des consciences les plus braves et éclairées : « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre. » Mais, solitaire dans l’adversité, personne, hélas, ne l’écouta, jusqu’à ce qu’un jour, la catastrophe advenue, un général de l’armée française, le grand Charles de Gaulle, le rejoignit à Londres pour y créer, de glorieuse mémoire, la Résistance !

Pour la résistance d’Ahmad Massoud !

D’où, précisément, cette amère conclusion : l’Afghanistan des talibans n’est certes pas encore l’Allemagne des nazis, quoique il y ait fort à parier que le funeste mais conquérant Etat Islamique, dont on sait que le terrorisme international est son arme de prédilection, y déploie quelque arrière-base afin de s’en prendre à l’Occident ; mais il n’empêche que cette conférence de Rome, en ce 12 octobre 2021, ressemble à s’y méprendre, dans ses fétides relents de compromission, avec le nauséabond esprit de Munich !

Car, hormis le fait que ce milliard d’euros, que l’Union Européenne vient donc de dégager, sur le dos des contribuables que nous sommes de surcroît, pour venir prétendument en aide au peuple afghan, ira presque exclusivement dans les poches des talibans, renforçant davantage encore ainsi leur pouvoir tout autant que leur emprise, c’est à l’héroïque Résistance du jeune mais vaillant fils du légendaire Commandant Massoud, Ahmad Massoud, qui se bat aujourd’hui dans la vallée du Panjshir, au nord de Kaboul, que cette masse d’argent devait normalement, aux yeux de tout démocrate digne de ce nom, aller : lui, homme juste et droit, honnête et intègre, l’aurait, sans aucun doute, redistribuer, comme il se doit, à son peuple, qui, en outre, le soutient, en grande majorité, contre les talibans.

La trahison de l’occident face au peuple afghan

Autant dire que là, en n’obéissant ni à ses valeurs morales ni à ses principes universels, mais en trahissant au contraire ainsi sa propre conscience, ses lois démocratiques comme sons sens de la liberté, l’Occident aura, une fois de plus, failli ! L’Histoire jugera…

                                                                DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

 

*Philosophe, auteur, notamment, de « Requiem pour l’Europe – Zagreb, Belgrade, Sarajevo » (Ed. L’Âge d’Homme »), « La Philosophie d’Emmanuel Levinas – Métaphysique, esthétique, éthique » (Presses Universitaires de France), « Lord Byron » (Gallimard-Folio Biographies), « Le Testament du Kosovo – Journal de guerre » (Editions du Rocher), « Traité de la mort sublime – L’art de mourir, de Socrate à David Bowie » (Alma Editeur), « Divin Vinci – Léonard de Vinci, l’Ange incarné », « Gratia Mundi – Raphaël, la Grâce de l’Art » et « La constellation Dante – Le chant du Sublime » (publiés aux Editions Erick Bonnier), « L’Ivresse artiste – Double portrait : Baudelaire-Flaubert » et « Le meilleur des mondes possibles » (publiés chez Samsa Editions et coécrit avec Robert Redeker, Elsa Godart et Luc Ferry).