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France : le procès d’un pouvoir (de Nicolas Sarkozy) en quête permanente d’opinion…

L'ancien président Nicolas Sarkozy, bénéficie de l'immunité présidentielle et présent au procès comme témoin. AFP

Pas moins de quatre semaines… Voilà le temps que, à partir de ce lundi 18 octobre 2021, la 32ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris va passer pour instruire le procès dit « des sondages de l’Elysée » sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Le procès d’un pouvoir en quête permanente d’opinion…

Pendant quatre semaines, le tribunal va donc décortiquer le fonctionnement du pouvoir tel que pratiqué par Nicolas Sarkozy, président de la République de 2007 à 2012- bénéficiant de l’immunité liée à la fonction, condamné récemment à un an de prison ferme dans le dossier Bygmalion ainsi que dans l’affaire dite « des écoutes » (peines dont il a fait appel), il a été cité comme témoin mais a, par courrier, fait savoir qu’il ne viendrait pas à la barre. L’absence de l’ex-président a fait dire à l’avocat d’Anticor, une association qui avait porté plainte près de la justice : « Ce dossier pose, entre autres, la question de la manière dont Nicolas Sarkozy a exercé le pouvoir, utilisant l’Élysée et les moyens de l’État dans son intérêt personnel, se souciant avant tout de son image et de son éventuelle élection au mépris des règles de droit ».

Patrick Buisson, conseiller à 10.000 euros/mois de Sarkozy

Donc, le Tribunal correctionnel de Paris va, pendant quatre semaines, entendre et juger cinq personnes et quatre sociétés (parmi lesquelles Ipsos, un des poids des instituts français de sondage). Parmi les cinq personnes, deux retiennent plus particulièrement l’attention pour avoir été au cœur du réacteur lors de la présidence Sarkozy : le journaliste- historien Patrick Buisson et le politique Claude Guéant. Venu des rangs de l’extrême-droite, ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire « Minute », il a été conseiller politique de Nicolas Sarkozy pour un salaire mensuel de 10.000 euros. A travers sa société, il fournissait, à la commande ou de sa propre initiative, des sondages à l’Elysée. A chaque sondage, il prenait sa commission : entre 2007 et 2009, l’accusation en a compté 235, achetés puis revendus avec des marges de 65 à 71%, pour un bénéfice d’1,4 million d’€uros !, etc.

Claude Guéant, déjà condamné en 2019 dans un autre dossier

L’autre personnage en vue dans cette affaire : Claude Guéant, un proche historique de Nicolas Sarkozy. D’allure austère, ancien préfet, surnommé dans le microcosme politico-parisien « le moine » ou encore « le curé », il a d’abord été secrétaire général de l’Elysée (2007- 2011) puis ministre de l’Intérieur (2011- 2012). Au « Palais », tout passait par lui. De Nicolas Sarkozy, il y était l’homme de confiance- certains glissent avec une once de perfidie « plutôt l’homme de main ». En 2019, il sera condamné à un an de prison ferme dans l’affaire « des primes du ministère de l’Intérieur », … Aujourd’hui, dans cette affaire traitée par la 32ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris, il est soupçonné d’avoir « organisé » la signature des contrats avec les sociétés de Patrick Buisson et du politologue Pierre Giacometti- ancien patron d’Ipsos, et aussi d’avoir « ordonné » et « validé » d’autres sondages commandés directement par un membre du cabinet auprès d’Ipsos, de l’Ifop, d’Opinionway et de TNS.

AFP

Patrick Buisson (à gauche) et Claude Guéant (à droite), respectivement ex-conseiller et ex-ministre de Sarkozy.

Des sondages sans appels d’offres

Ainsi, à Buisson, il commandait les sondages. Encore et encore- à l’époque de la présidence Sarkozy, un sondage à peine bouclé, les instituts travaillaient déjà sur un autre- entre 2007 et 2012, il y aurait eu plus de 300 sondages pour l’Elysée. Après tout, pourquoi pas- il y eut même un sondage confidentiel pour savoir, alors que son épouse Cécilia venait de le quitter, qui de Carla Bruni ou Carole Bouquet ferait la meilleure « première dame » aux côtés du Président ! Un autre sondage portait sur la grossesse de Rachida Dati, alors ministre de la Justice ; un autre sur une possible candidature de Dominique Strauss-Kahn à la présidentielle de 2012…

Mais, comme le rappelle avec une pointe de nostalgie l’avocate de Patrick Buisson, « à l’époque, il était établi, selon une coutume qui vaut loi, que depuis des décennies, l’Élysée n’était pas soumis au code des marchés publics ». Décodé, cela veut dire que le locataire de l’Elysée et ses collaborateurs pouvaient faire qu’ils voulaient… Sauf que, en 2008, la Cour des Comptes, surnommée « le gendarme financier », a examiné les comptes et bilans financiers de l’Elysée, mis à jour « l’affaire des sondages » et une façon étrange de faire : jamais, le « Palais » ne lançait un appel d’offre pour effectuer ces études d’opinion- ces commandes directes représentent au total 7,5 millions d’€uros. Et surtout pointer que lesdits sondages étaient toujours réalisés par les mêmes instituts. Avec tout ce que cela peut sous-entendre- ce que le Parquet national financier (PNF) qualifie tout simplement de « favoritisme ».

Soupçonné de favoritisme et détournement de fonds publics par négligence, Claude Guéant risque une peine maximale de deux ans de prison et 30.000 euros d’amende. Quant à Patrick Buisson, il encourt la peine maximale de sept ans de prison et 375 000 euros d’amende…

Serge BRESSAN (à Paris)