LITTERATURE

Danièle Zucker: « Un violeur est un criminel en série. Il reste un violeur »


Dans une société où chacune « balance son porc », la sexualité non consentie entre un homme et une femme s’expose et se dénonce. Malgré les campagnes de sensibilisation, 23% des jeunes hommes pensent toujours que les femmes aiment être forcées. C’est au cœur de cette actualité que s’inscrit la réforme du code pénal sur les crimes sexuels et la notion de consentement. Mais, le viol est-il une affaire de sexualité ou de pulsions soudaines ? La profileuse criminelle, Danièle Zucker publie « Le viol au-delà des idées reçues », chez Plon, un ouvrage qui déconstruit les lieux-communs sur le mode de fonctionnement des violeurs.

Docteure en psychologie clinique, licenciée en philosophie et spécialiste en analyse du comportement criminel auprès des tribunaux, Danièle Zucker fait partie des rares experts européens formés aux méthodes du FBI. Après avoir été responsable du service des urgences psychiatriques de l’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles, elle s’est envolée vers les Etats-Unis pour y suivre une formation en profilage criminel. De l’affaire des Tueurs du Brabant à l’affaire Dutroux, elle a mis son sens inné de l’observation au service de nombreuses affaire criminelles. Dans, « Le viol au-delà des idées reçues », publié chez PLON, elle nous explique pourquoi le viol n’est pas le résultat d’une attirance physique irrépressible, ni d’une pulsion sauvage.

L-Post : Plusieurs jeunes femmes ont, récemment, été violées dans des bars à Bruxelles, ce qui a d’ailleurs libéré la parole d’autres jeunes femmes pour les mêmes faits, notamment dans des salons de tatouages. Cela vous inspire quoi ?

Danièle Zucker : Le violeur est aujourd’hui un criminel en série banalisé. Le viol est encore considéré comme un dérapage, un accident, un jeu qui a mal tourné. La justice en est devenue, depuis des années, laxiste. Les tribunaux sermonnent, invitent à ne pas recommencer sur fond de cette banalisation liée à une méconnaissance non assumée du profil d’un violeur. Un violeur est un véritable criminel en série et il est ignoré par la Justice. Ce n’est pas un crime de seconde zone. Et, lorsqu’il y a viol avec drogue, il y a en outre préméditation.

L-Post : Qu’est-ce qui motive chez un violeur le passage à l’acte ?

Cela n’a rien de sexuel. Un viol est la manifestation d’un besoin de pouvoir et de puissance sur l’autre. Un violeur n’est pas dans le partage, mais dans la domination, ce pourquoi d’ailleurs le fait qu’une victime soit inconsciente lui renvoie le sentiment qu’il domine d’autant plus.

L-Post : Cet argument est souvent évoqué devant les tribunaux. Un type de vêtement porté par une femme peut-il être considéré comme l’expression d’une incitation au viol?

Les idées fausses qui circulent sur les auteurs, comme sur les victimes sont persistantes. Non, ce n’est pas parce qu’une femme porte une jupe courte ou qu’elle se promène seule à une heure tardive qu’elle est responsable de son agression. Un violeur n’est pas dans l’attraction sexuelle, ce pourquoi, il peut violer de manière indifférenciée des bébés, des enfants, des jeunes femmes, des femmes plus âgées comme de vieilles personnes.

Faire changer un violeur est excessivement compliqué. De mon expertise scientifique, sa meilleure place est en prison.

L-Post : Est-ce que l’on naît violeur ou est-ce qu’on le devient ?

On ne naît pas violeur, mais on ne devient pas non plus violeur du jour au lendemain. L’acte de violer est la résultante d’une lente et longue progression qui remonte le plus souvent à l’enfance. Cela s’inscrit dans une continuité et souvent les premiers actes remontent à l’adolescence, vers 13-14 ans.

L-Post : On est en pleine réforme du Code pénal. Est-ce que punir les violeurs bien plus sévèrement permettrait-il de réduire le nombre d’agressions ?

Je n’ignore pas la lourdeur d’un procès d’assises, mais la correctionnalisation du crime de viol atténue la gravité des faits, elle allège les peines et favorise la récidive. 70% des violeurs en prison sont des récidivistes. Donc, oui, il faut alourdir les peines.

L-Post : On parle essentiellement de femmes violées. Existe-t-il aussi des hommes violés ?

Les statistiques sont peu nombreuses. Certaines études considèrent néanmoins qu’un homme sur 6 a subi une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans.

L-Post : Lorsque l’on est victime d’un viol, se pose aussi la question de la charge de la preuve. N’est-ce pas une véritable course contre la montre ?

La première chose à faire est de porter plainte le plus rapidement possible car les preuves physiques s’effacent au-delà de 72 heures. Mais, une preuve matérielle ne suffit pas, il faut encore que la victime prouve qu’il s’agit bien d’un viol et non d’un acte consenti. Et c’est là que cela coince lez plus souvent. Depuis le dépôt de plainte jusqu’aux cours et tribunaux, une suspicion pèse sur les victimes. Or, les études démontrent que dans 96% des cas, ce qui est énorme, les faits dénoncés sont fondés.

L-Post : Vous dites que les violeurs sont des multirécidivistes. Guérit-on de cette déviance ? Et si oui quels sont les outils aujourd’hui disponibles ?

La mécanique qui est à l’œuvre est puissante. Le viol est un acte criminel caractérisé par deux choses : l’intentionnalité et la récidive. L’auteur viole pour des raisons qui sont le plus souvent liées à un traumatisme d’enfance, lequel génère une souffrance qui le détruit. Violer contribue à sa réparation par un retournement de la destruction. Ce pourquoi, faire changer un violeur est excessivement compliqué. De mon expertise scientifique, sa meilleure place est en prison.

 

Propos recueillis par : Alessandra d’Angelo