POLITIQUE

Imposer le Covid Safe Ticket en entreprise : Stop ou encore ?


La justice américaine vient de suspendre l’obligation vaccinale voulue par Joe Biden dans les entreprises. Est-ce une sage décision politique et une absurdité scientifique ou l’inverse ? Notre pays est en l’espèce divisé. Présenter un Covid Safe Ticket (CST) pour passer les portes d’une entreprise, c’est la proposition émise par Agoria, la fédération de l’industrie technologique. Elle souhaite qu’on permette aux entreprises qui le souhaitent de l’utiliser. 

Elle estime que les employeurs doivent avoir la possibilité d’imposer le pass sanitaire aux employés sur leur lieu de travail pour leur assurer des conditions de travail sûres. A l’inverse, la Fédération des entreprises belges (FEB) estime que c’est une atteinte à la vie privée du personnel. Le ministre du Travail se veut prudent sur la question. La Vivaldi temporise. Et le comité de bioéthique du Conseil de l’Europe, comme certains experts, questionne sur la pertinence du passeport vaccinal. Cadre légal Vs pertinence médicale, on fait le point.

Conditions de travail sûres

Pour l’heure, le patron d’une entreprise de plus de 50 travailleurs peut uniquement connaître le taux de vaccination de son personnel, sans que l’anonymat des employés ne soit brisé. La demande peut être faite par le responsable lui-même ou le médecin du travail qui peut prendre l’initiative d’informer l’entreprise. Mais, devra-t-on bientôt également montrer patte blanche pour aller au bureau ? La fédération de l’industrie technologique le souhaite. « Les employeurs ont l’obligation de créer des conditions de travail sûres. Qui ne se fait pas vacciner ou tester, présente une menace pour ses collègues (…) S’il y a des travailleurs qui refusent d’être vaccinés et veulent se faire tester tous les jours, alors qu’ils le fassent (…) Mais, ceux qui refusent catégoriquement devraient être renvoyés chez eux sans être rémunérés (…) Selon moi, c’est déjà une base juridique pour un licenciement », a affirmé par voie de presse, Bart Steukers, le CEO d’Agoria. Une idée à laquelle s’oppose fermement certains syndicats.

Respect de la vie privée

Pour les interlocuteurs sociaux, FGTB et CSC en tête, le CST est une atteinte à la vie privée. Selon l’autorité de protection des données, le statut vaccinal d’une personne est une donnée de santé, et demander cette donnée est déjà un traitement de données de santé en soi, pour lequel une base légale doit être disponible. En termes de droit du travail, un employeur ne peut donc pas exiger l’installation ou l’utilisation de l’application COVIDSafe pour contrôler les travailleurs et travailleuses (vaccination et CST) de l’entreprise. Il ne peut pas, non plus, y associer des avantages ou des désavantages, comme des primes ou l’interdiction d’accès à des locaux.

Quant au fédéral, la position du ministre du Travail, Pierre-Yves Dermagne (PS), qui annonçait fin août être pour une généralisation du Covid Safe Ticket, est aujourd’hui celle de prudence pour le monde du travail. « Si on veut mettre en place le CST en entreprise, il faudra modifier la loi sur la protection des données et modifier aussi l’accord de coopération entre les différents niveaux de pouvoir, qui aujourd’hui exclut explicitement l’utilisation du CST en entreprise pour les travailleurs », a-t-il récemment déclaré.

Une question de proportionnalité

Entre la liberté de soin et les dispositifs à devoir mettre en place pour lutter contre le Covid-19, le passeport vaccinal, comme le CST, sont des mesures controversées. C’est ainsi que depuis le mois de mai 2021 dernier (https://www.coe.int/en/web/human-rights-rule-of-law/-/-vaccine-pass-a-new-statement-of-the-committee-on-bioethics-underlined-the-human-rights-challenges), le Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe appelle à une réflexion plus approfondie sur les défis posés par les mesures prises pour garantir la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales de tous les individus.

Le Comité invite ainsi à faire la distinction entre les objectifs médicaux et ceux non médicaux de l’utilisation de ces « laissez-passer », en tenant compte des connaissances scientifiques encore limitées sur le virus et ses variants. Une position que partage maître Etienne Wery, avocat spécialisé en droit de l’innovation et des nouvelles technologies. « le droit est porteur de principes. La proportionnalité en est un. Tout est donc, en l’espèce, une question de proportionnalité entre la restriction imposée et le but à atteindre, soit la limitation de la propagation du virus », nous confirme-t-il. « Mais, le problème premier auquel nous sommes confrontés, depuis le début de cette pandémie, c’est que l’on travaille essentiellement avec des hypothèses épidémiologiques. Il est donc difficile d’apprécier le critère de proportionnalité ».

Une démarche politique

Du côté scientifique, pour l’épidémiologiste Yves Coppieters, « l’extension d’un CST à l’HoReCa et aux salles de sport est une erreur et cela le serait à l’identique pour le monde de l’entreprise. La population pense, à tort, être à l’abris du virus grâce à ce sésame. Cela crée un faux sentiment de sécurité », nous explique-t-il.
« Après 20 mois de recul, on sait à présent qu’être vacciné n’empêche ni d’être contaminant ni de tomber malade, même si avec des formes moins graves. Il faut donc continuer, même vaccinés, à sensibiliser au respect des mesures sanitaires. On manque d’évidence scientifique sur la stratégie du pass sanitaire, alors qu’il y a une évidence scientifique sur l’efficacité des protocoles sanitaires existants, masques, distanciation sociale et ventilation. Le CST est selon moi une démarche purement politique pour augmenter la couverture vaccinale, mais ce n’est pas une démarche sanitaire. On se détourne des priorités. Tous à la vaccination n’est pas la solution miracle ».

Si en Italie, l’introduction du pass sanitaire obligatoire au travail a, dans un premier temps, donné un coup d’accélérateur au rythme des vaccinations. Depuis, les injections des premières doses commencent à ralentir et les secondes doses ne suivent pas.