POLITIQUE

Plongée dans l’histoire tragique des Ouïghours

Le travail forcé des Ouïghours profite-t-il à des enseignes en Europe?

Le 12 novembre 2021 marque l’anniversaire de l’indépendance du premier Turkestan oriental, plus communément appelé la république de l’Ouïghourstan, proclamée en 1933 et officiellement disparue en 1934. Elle couvre en partie le territoire du Xinjiang de la Chine actuelle. Une seconde république du Turkestan oriental voit le jour de 1944 à 1949. En 1955, cette région devient la région autonome ouïghour du Xinjiang. C’est l’occasion de revenir sur la répression des Ouïghours par la Chine et les différentes réponses apportées par la communauté internationale.

Depuis plusieurs années, différentes ONG font état d’une répression de la communauté Ouïghours par le régime communiste chinois. En 2019, diverses vidéos ou témoignages de réfugiés émergent. Ceux-ci sont glaçants. Il est question de stérilisation forcée des femmes, de camps de concentration, de violences et de tortures. Le mot génocide est cité.

Les Ouïghours

La Chine est peuplée de 56 minorités ethniques, comprenant notamment pour ne citer qu’elles, les Ouïghours, les Huis, les Kazakhs, les Kirghizes, les Hans. Parmi celles-ci, les Hans représentent l’écrasante majorité de la population chinoise (plus de 90%) et incarnent le pouvoir à Pékin.

Ce pays est constitué notamment de cinq régions autonomes : le Guangxi, la Mongolie-intérieure, la région autonome du Ningxia, la région autonome du Tibet et enfin, celle qui nous préoccupe, la région autonome ouïghour du Xinjiang.

Majoritaire dans la région du Xinjiang, les Ouïghours sont une ethnie minoritaire turcophone, musulmane, essentiellement sunnite. Affichant des velléités autonomes, ils souhaitent la création d’un Turkestan oriental indépendant de la Chine. Ces dernières années, la représentation des Hans dans cette région, a fortement augmenté. Les Ouïghours subissant des pressions grandissantes du pouvoir politique ces dernières année.

En 2010, une infime partie d’Ouïghours et d’autres minorités intègrent un parti qui se réclame d’Al-Qaïda. Face à l’oppression grandissante des Hans représentant le pouvoir à Pékin, une vague d’attentats est menée à l’intérieur et à l’extérieur de la région du Xinjiang. En 2014, le président Xi Jinping est visé.

La répression chinoise

Ces évènements ont été une aubaine pour le parti communiste chinois qui y trouve un prétexte pour régler la problématique de cette minorité ethnique ouïghour.

Il met ainsi en place une surveillance des membres de cette communauté, un contrôle des naissances, des actes de stérilisation forcée. On contrôle les vêtements portés, l’éducation dispensée aux enfants, etc. Le pouvoir ouvre aussi des camps où sont incarcérées des personnes qui déplaisent à l’athéisme d’état prôné par la Chine. Des Ouïghours libérés de ces camps font état des maltraitances, de viols, de ventes d’organes, etc.

Officiellement – la Chine est très claire sur le sujet – il s’agit de camps de rééducation permettant de faire face à la menace du terrorisme et de l’extrémisme. Les Chinois réfutent par ailleurs toute accusation d’arrestations arbitraires, justifiant ces dernières par des éléments interprétés comme des signes sérieux de radicalisation : port d’une longue barbe, pas de consommation d’alcool, ni de cigarettes ; fréquentation de la mosquée, lecture du Coran. Tout cela suffit à envoyer des millions de personnes dans des camps, sans aucune forme de procès ni défense possible.

Le député Ecolo Samuel Cogolati demande d'interdire l'importation en Europe de produits issus du travail forcé. BELGA

Le député Ecolo Samuel Cogolati est un grand défenseur de la cause des Ouïghours.

Le positionnement international

En 2019 éclate au grand jour l’affaire dite des Xinjiang Papers. Il s’agit de plus de 400 pages de documents chinois envoyés au New York Times.

Ceux-ci viennent corroborer les inquiétudes de la communauté internationale. Il y est fait mention de la répression contre les minorités musulmanes dans la région autonome du Xinjiang et des camps de rééducation.

Diverses personnalités politiques dans le monde s’érigent en défenseur de cette minorité musulmane et du respect des droits fondamentaux. Le député européen français Raphaël Glucksmann en est d’ailleurs un fer de lance. Il partage très régulièrement des témoignages de ces camps et dénonce les grandes marques internationales qui bénéficient du travail forcé des différentes minorités. L’Europe prend des sanctions européennes à l’encontre de certaines personnalités chinoises. Les Etats-Unis, le Canada font de même.

En Belgique, deux députés, Samuel Cogolati (Ecolo) et Wouter De Vriendt (Groen), incarnent cette prise de conscience et cette volonté de garantir le respect des droits humains. Ils ont, en mars 2021, déposé une proposition de résolution parlementaire afin de reconnaître le crime de génocide perpétré par le gouvernement de la République populaire de Chine contre les Ouïghours. Malgré certaines pressions venues tout droit de Pékin, le parlement belge a ratifié cette résolution, préférant parler d’un risque sérieux de génocide des Ouïghours. Ce texte a été voté à l’unanimité en juillet, avec l’abstention notable du PTB. Le député Ecolo figure désormais, tout comme son collègue français Glucksmann sur la liste des personnalités visées par des sanctions du régime communiste chinois. Mais le courage politique est à ce prix et ils poursuivent leur combat.

AFP

Le député européen Raphaël Glucksmann, un autre défenseur du combat des Ouïghours.

Marche contre le génocide

Le 2 octobre, une marche contre le génocide Ouïghour a rassemblé plus de 2.000 personnes sous l’égide de Dilnur Reyhan, présidente de l’Institut ouïghour d’Europe. Plusieurs personnalités européennes se joignent à la marche dont le président du Parti socialiste Paul Magnette.

Dernièrement, la Commission européenne a annoncé qu’elle envisage de proposer que soit interdite toute vente de produits provenant de travail forcé. Il y a peu de doute que cette proposition ne soit une réponse à l’exploitation des Ouïghours.

Une déclaration commune signée par 43 pays a été lue le 21 octobre 2021 à l’ONU, réclamant de la Chine qu’elle garantisse le plein respect de l’Etat de droit à l’égard des Ouïghours au Xinjiang.

La Chine, de son côté, reste silencieuse et rétorque à qui veut l’entendre qu’il ne s’agit que de camps de rééducation. Elle continue, malgré les preuves de plus en plus accablantes, à nier toute détention inhumaine.

Elle semble profiter de la faiblesse du droit international face à une grande puissance qui refuse de jouer le jeu. La Chine n’a en effet pas ratifié le statut de Rome ayant fondé la Cour pénale internationale, et est en plus, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle dispose dès lors d’un droit de véto. Il semble donc difficilement concevable de voir les dirigeants chinois amenés à répondre de leurs actes devant la Cour Pénale Internationale.

Les pressions économiques et internationales semblent être pour le moment les meilleures armes face à la grande puissance asiatique. Plus que jamais, en ce 12 novembre, élevons nos voix pour la sauvegarde des droits humains. L’Histoire nous a démontré à quel point le silence pouvait être complice des plus grands crimes contre l’Humanité.

E.C.