Politique

Climat : la transition énergétique est-elle réaliste exclusivement en renouvelables ?


La COP26 a fermé ses portes. Le sommet mondial s’est clôturé sur un bilan mitigé. Sortie du nucléaire et énergies renouvelables, les enjeux demeurent rythmés par des souhaits d’indépendance énergétique, des contraintes de coûts et un agenda serré. Pourra-t-il être respecté, et surtout comment ? Produire de l’énergie tue l’environnement et le développement économique a besoin de manger de l’énergie pour produire. C’est un drôle de cercle vicieux avec des règles du jeu qui ne sont pas forcément les mêmes pour tout le monde. Comment trouver un juste équilibre ? On fait le point avec Damien Ernst, professeur à la faculté des Sciences appliquées de Liège, département d’électricité, électronique et informatique (Institut Montefiore).

Fini le pétrole ? Exit le charbon ? Les énergies renouvelables et décarbonées se développent. Pour 2030, les émissions de gaz à effet de serre (GES), principales responsables du réchauffement climatique, doivent être réduites de 55% à l’échelle européenne par rapport à leur niveau de 1990. La neutralité carbone doit être atteinte pour 2050. Mais, alors que le temps presse, comment atteindre ces objectifs ? Le 28 août dernier, une centaine de personnes issues des milieux académique, de l’industrie et d’ONG, rassemblées autour du Think-Tank Horizon 238 (Lien vers : https://horizon238.org/), écrivaient une lettre ouverte au premier ministre, Alexander De Croo. « Il est impossible de fermer les centrales nucléaires en 2025 », argumentent-ils. Ils sont en revanche convaincus par les promesses de l’énergie nucléaire au service de la transition énergétique et d’un monde décarboné. Un avis partagé par Damien Ernst.

Un 100% renouvelable utopique

Le Pacte énergétique prévoit un développement massif d’énergies renouvelables. Mais dans le scénario d’une sortie du nucléaire, il y aura également un recours important au gaz naturel. Or, plusieurs études le confirment, dont le sixième rapport d’évaluation du GIEC 2021-2022 (Lien vers : https://climat.be/changements-climatiques/changements-observes/rapports-du-giec), « le gaz produit plus de CO2 que le nucléaire. A l’inverse, le nucléaire est avec l’éolien, l’énergie qui produit le moins de CO2. Les données sur l’impact carbone de la filière nucléaire, l’estiment en moyenne à 12g CO2/kWh au plan international et à 400g CO2/kWh pour le gaz. En outre, au vu de la situation structurelle du renouvelable celui-ci ne peut pas produire l’équivalent consommé actuellement. Enfin, la construction de nouvelles centrales au gaz et des importations plus importantes se répercuteront immanquablement sur la facture d’électricité du consommateur. L’équation est donc simple : envisager un 100% renouvelable dans les vingt prochaines années, c’est de l’utopie. C’est même suicidaire en période de relance économique. En prolongeant les centrales nucléaires belges au-delà de 2025, le prix de l’électricité sera moins élevé qu’en cas de sortie du nucléaire et nous préserverons notre indépendance énergétique », nous explique Damien Ernst.

La facture énergétique est la plus chère est en Allemagne (30,9 euros pour 100 kWh), devant le Danemark (29,8 euros) et la Belgique (28,4 euros).

Rappelons en effet, que selon les dernières données de l’office statistique européen Eurostat, seules les familles allemandes et danoises paient davantage que les Belges pour leur électricité au sein de l’Union européenne. Si le prix de l’électricité pour les familles européennes s’élève en moyenne à 21 euros pour 100 kWh, la facture est la plus chère est en Allemagne (30,9 euros pour 100 kWh), devant le Danemark (29,8 euros) et la Belgique (28,4 euros).

Les Suisses ont également décidé de maintenir leurs centrales 20 ans de plus.

Des centrales Long Term Operation (LTO) fiables

En 2015, le gouvernement belge a décidé d’autoriser l’exploitation à long terme de trois réacteurs nucléaires : Tihange 1, Doel 1 et Doel 2. L’Agence fédérale de Contrôle nucléaire (AFCN) a effectué une analyse de sûreté pour cette période d’exploitation prolongée et a ensuite imposé des travaux à l’exploitant, ENGIE Electrabel, afin de s’assurer que ces trois réacteurs soient conformes aux dernières normes de sûreté. Ces travaux portent le nom de Long Term Operation (LTO). Les centrales nucléaires sont-elles dès lors sûres aujourd’hui ? Et si oui, y-a-t-il des raisons de les arrêter après 40 ans? « Le standard européen est de les faire passer à 60 ans. En Suisse, ils ont également décidé de maintenir leurs centrales 20 ans de plus. Et aux Etats-Unis, ils veulent même les faire passer à 80, voire 100 ans, avec des conditions de sécurité qui se veulent optimales suite aux nombreuses mesures prises post-Fukushima », nous précise Damien Ernst.

La Commission européenne estime que d’ici 2035 plus de la moitié de toutes les centrales nucléaires en Europe seront des Long Term Operation. Leur intérêt principal ?: les centrales nucléaires n’ont pas de date de fin technique, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas de durée d’exploitation fixe, déterminée à l’avance. Elles peuvent donc, à tout moment, voir leur durée d’exploitation augmentée pour autant qu’elles répondent aux critères de sûreté. Sur les 448 réacteurs actuellement en exploitation dans le monde, plus de 75, soit une capacité de 38 730 MW, ont atteint l’âge de 41 ans ou plus.

Le temps des moteurs thermiques compté ?

La Commission européenne a décidé qu’aucune nouvelle voiture à essence ou au diesel ne pourra être vendue dans l’UE à partir de 2035. Même les véhicules hybrides seront interdits. Le consommateur ne pourra plus acheter qu’une voiture électrique ou un modèle fonctionnant à l’hydrogène. Est-ce réaliste ? « Si rouler à l’électrique aura un impact écologique positif, la question est plus complexe. C’est l’impact de toute la chaîne qu’il faut prendre en considération. Actuellement, les batteries des véhicules électriques sont lourdes, coûteuses et composées de métaux rares (nickel, lithium, cobalt) dont la production est encore souvent trop malencontreusement associée à une violation des droits humains, comme par exemple le travail des enfants. Il faut aussi prendre en compte les déchets que cela produit. En résumé, la fabrication d’une voiture électrique émet plus de CO2 que celle d’une voiture à essence ou au diesel. En outre, ce n’est souvent qu’après 60 à 100.000 km qu’un véhicule électrique avec une autonomie d’environ 400 km va émettre moins de CO2 qu’un moteur thermique. Dans des pays comme la Pologne ou la Chine où le mix électrique est fortement carboné, c’est encore bien pire.  Il ne faut donc à tout le moins pas voir la voiture électrique comme l’élément magique pour devenir neutre en matière d’émission de CO2. Rouler à l’électrique ne va pas sauver la planète sans avoir décarboné massivement la production d’électricité ainsi que les chaînes minières et manufacturières ».

Le dogme anti-nucléaire d’Ecolo, qui s’effondre en rationalité face aux enjeux liés aux changements climatiques, a malheureusement pris le pli sur la lutte pour le climat.

Un mix nécessaire pour décarboner

Le PS vente l’écologisme, le MR devient durable, les Vert porte un message essentiellement sous un prisme « culpabilisant et moralisateur ». Où mettre le juste curseur ? « La responsabilité de Groen-Ecolo est historique dans la sortie du nucléaire. Cette dernière gomme complétement tous les efforts qui ont été faits ces dix dernières années, et à grand coût, pour décarboner notre économie. Le dogme anti-nucléaire d’Ecolo, qui s’effondre en rationalité face aux enjeux liés aux changements climatiques, a malheureusement pris le pli sur la lutte pour le climat. Il nous faut, bien entendu, plutôt développer un mix énergétique basé sur le renouvelable et le nucléaire pour remplacer le plus rapidement possible les combustibles fossiles. N’en déplaise aux décideurs dont les connaissances en matière d’énergie sont souvent très faibles, cet état de fait s’impose. La sortie du nucléaire est une erreur qui va inévitablement heurter fortement notre économie et la classe moyenne, surtout si l’on maintient nos objectifs climatiques qui vont sans nucléaire ‘affamer énergétiquement un pays ou un continent’. Cela va se manifester par une augmentation des prix de l’énergie et un appauvrissement massif de notre société ».


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  • ENFIN!!! La presse se fait un écho clair du désastre annoncé mais dénié par d'aucuns avec l'arrêt envisagé du nucléaire. C'est la plus grosse des conneries que la Belgique risque de subir. Un ingénieur civil qui se réjouit des propos de Professeur D. Ernst

  • Merci à L Post de se distinguer! Et les propos du Pr Ernst sont ici encore très "soft". Il faut lire rapport Eia," adequacy flexibility study 2022-2032" commandé par T Vander Straeten qui part de ses exigences d'un ambitieux et irréaliste déploiment d'éoliennes, PV, batteries industrielles, voitures electriques et délestages contractuel. Elia calcule les limtes de ces ambitions délirantes.S'il faut 4600 MW de nouvelles capacités en support palliatif aux énergies "renouvelable" l'étude avertit très sérieusement sur les risques de blackouts (500 h/an), les importations à partir de nos voisins qui auront les mêmes problèmes que nous en même temps (2000 h/an ou 23 TWh ou 24% des besoins), les difficultés matérielles du déploiement imaginé par Mme la ministre. Le cout dont parlent les anti nucléaires ne comporte que le cout des CRM (230 Mio€/an). Si l'on tient compte de tout ce sera plus de 9 Mia€/an. L'économiser permettrait d'aider les soins de santé, la police et la justice. Trouvera-t-on assez de députés sensés pour abriger la loi de 2003?

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