FRANCE/ROYAUME-UNI

Migrants : la traversée meurtrière attise le différend entre Paris et Londres

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Malgré la dureté de l’hiver, les migrants tentent le tout pour le tout au péril de leur vie pour rejoindre le Royaume-Uni considéré comme une terre d’Eldorado et d’espérance pour une vie meilleure. C’est pourquoi Maryam Nuri Mohamed Amin, 24 ans, d’origine kurde d’Irak est partie ce mercredi pour traverser la Manche. Elle est la première des 27 migrants morts noyés dans la Manche à être identifiée. Elle cherchait à rejoindre son fiancé qui vit au Royaume-Uni. Et, ils échangeaient des messages au moment du drame. Le drame survenu le 24 novembre vient s’ajouter à d’autres sujets de discorde entre les dirigeants français et britanniques.

Son fiancé a déclaré à la BBC qu’elle lui envoyait un message alors que le canot du groupe commençait à se dégonfler. Elle a essayé de le rassurer et lui écrivait qu’ils seraient sauvés.

Mais l’aide est arrivée trop tard. Et, leur bateau pneumatique a coulé alors qu’il naviguait en mer au large de Calais emportant dans son sillage Maryam, 17 hommes, ainsi que six autres femmes, dont une femme enceinte et trois enfants.

Le fiancé de Maryam a déclaré qu’il n’était pas au courant de la tentative de traversée de la Manche, car son arrivée au Royaume-Uni était censée être une surprise.

Enquête de la police

Les seuls survivants, un Irakien et un Somalien, sont sortis de l’hôpital de Calais et seront interrogés sur le déroulement des faits.

À ce stade de l’enquête, la police pense que le bateau était parti de la région de Dunkerque à l’est de Calais. De ce fait, les autorités françaises ont arrêté cinq trafiquants d’êtres humains présumés en lien avec l’incident.

Aujourd’hui ce drame est le plus meurtrier depuis l’augmentation des traversées de la Manche en 2018. Chaque année, les migrants essayent par tous les moyens de contourner les contrôles renforcés au port de Calais et sous le tunnel ferroviaire.

C’est pourquoi Boris Johnson a demandé jeudi soir à Emmanuel Macron de reprendre tous les migrants arrivant en Angleterre depuis la France.

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Un homme tient une pancarte sur laquelle on peut lire « frontières mortelles » alors qu’il participe à un rassemblement de soutien aux migrants et aux grévistes de la faim à Calais Lors d’une manifestation.

Une joute verbale Franco-Britanniques électrique

Moins de 48 heures après la mort par noyade de 27 migrants, les relations entre les deux pays se sont de nouveau refroidies. En effet, le Président français, Emmanuel Macron a critiqué le Premier ministre Britannique, Boris Johnson, vendredi, pour avoir publié la lettre sur Twitter, et lui a demandé de devenir “sérieux”. Dans ce courrier Boris Johnson proposait de mettre en place un accord bilatéral permettant le retour des migrants illégaux qui ont traversé la Manche. Comme les accords qui ont été signés par l’Union européenne avec la Russie et la Biélorussie.

Le porte-parole officiel du gouvernement français, Gabriel Attal, a accusé le Premier ministre de « double langage » et d’« externalisation des problèmes », qualifiant les propositions de « médiocres ». Il a déclaré que Boris Johnson doit regretter le Brexit, car « chaque fois qu’il y a un problème, il considère que l’Europe doit le gérer. Vous ne communiquez pas d’un dirigeant à un autre sur ces questions par le biais d’un tweet et d’une lettre que vous rendez publique ». De son côté, le président français, Emmanuel Macron, a vivement critiqué Boris Johnson après que le Premier ministre britannique eut formulé des demandes sur la crise des migrants.

L’opposition britannique charge Boris Johnson

Après la lettre de Boris Johnson à Emmanuel Macron publiée sur Twitter, le ministre français de l’Intérieur a annulé l’invitation faite à son homologue britannique, Priti Patel de participer à la réunion des ministres de l’Intérieur à Calais ce week-end.

Depuis, l’ambiance politique et diplomatique sont sous tension. En ce moment, le Premier ministre britannique est aussi critiqué par l’opposition au Royaume-Uni. Car la lettre de Boris Johnson au président français Macron était une « grave erreur de jugement », a déclaré Nick Thomas-Symonds, ministre de l’Intérieur du cabinet fantôme. « Cela s’est terminé en quelques heures, le gouvernement étant exclu de ces pourparlers vitaux ».

Malgré, la détermination de la France de bannir la ministre en charge de l’immigration, Londres tente de redemander l’invitation de Priti Patel à la réunion prévue dimanche à Calais avec les ministres chargés de l’immigration belge, allemand, néerlandais et la Commission européenne. « Aucune nation ne peut s’attaquer à (ce problème) seule. J’espère que les Français vont reconsidérer (leur décision). C’est dans notre intérêt. C’est dans leur intérêt », a déclaré le ministre des Transports, Grant Shapps, sur la BBC.

« Malheureusement, le gouvernement (français) a réaffirmé que la réunion serait maintenue sans les Britanniques : le gouvernement français choisit de faire de la politique intérieure à un moment où notre seule priorité devrait être d’éviter de nouveaux drames dans la Manche. Nous le regrettons », a déclaré l’entourage du ministre.

Patrouilles britanniques sur les plages françaises ?

La ministre britannique de l’Intérieur, Priti Patel, propose d’envoyer la police britannique sur les plages françaises. Emmanuel Macron et Gérald Darmanin vont-ils accepter cette proposition ? Ce vendredi sur la BBC, le député de Calais, Pierre-Henri Dumont a appelé le Royaume-Uni à cesser d’agir comme « l’Eldorado » pour les migrants.

Il a déclaré que le Royaume-Uni offrait une « attraction magnétique » aux migrants. Mais pour lui, l’idée que la police britannique patrouille sur les plages françaises serait une « folie ». « Je ne suis pas sûr qu’avoir plus de policiers ou plus de matériel sur la rive française va permettre d’arrêter ces traversées, car nous avons 200 ou 300 kilomètres de rive à surveiller 24h/24 et 7 j/7 », a jouté Pierre-Henri Dumont.

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Le ministre français de l’Intérieur Gerald Darmanin s’adresse à la presse devant l’hôpital de Calais, dans le nord de la France, après la mort d’au moins 27 migrants dans le naufrage de leur bateau au large des côtes de la ville.

Les migrants, un problème de l’Europe

Harjap Bhangal, un avocat d’immigration qui travaille à Londres et à Birmingham nous a confié qu’il s’occupe souvent de migrants. « Je m’occupe de leurs cas, je les vois dès leur arrivée, je me rends dans des centres de rétention, et je les aide à en sortir. Je traite leurs cas dossier par dossier ».

Concernant la tragédie de mercredi, Harjap Bhangal nous a confié que « cela attendait juste d’arriver. Le fait est que les migrants ne sont pas traités comme des humains. Ils sont traités comme une patate chaude. Avec la France qui dit « oh, attendez, nous ne pouvons pas les contrôler, c’est à vous le Royaume-Uni de le faire ». Le Royaume-Uni dit « non ce n’est pas notre problème, c’est le vôtre à vous la France ».

Entre tout ce positionnement politique, les migrants souffrent, car il n’y a pas de routes sûres pour se rendre au Royaume-Uni. Ils ne peuvent pas demander l’asile au Royaume-Uni sans être réellement au Royaume-Uni. Comment la France peut-elle empêcher les gens de monter sur des bateaux sur un si grand littoral ? Les gangs ont toujours 3-4 longueurs d’avance sur les deux gouvernements. Toutes ces années d’inaction ont juste permis aux gangs d’être très forts, très organisés. Il y a plus d’argent gagné avec le trafic d’êtres humains qu’avec le trafic de drogue.

Pour Harjap Bhangal, « c’est un problème pour l’UE et pas seulement pour l’UE. N’oubliez pas que le Royaume-Uni a peut-être quitté l’Union européenne, mais qu’il fait toujours partie de l’Europe et que beaucoup de gens ne semblent pas comprendre cela des deux côtés du continent. Le Royaume-Uni doit absolument avoir une sorte de centre en France où ils peuvent dire que si vous voulez demander l’asile au Royaume-Uni, vous pouvez venir dans notre centre et demander l’asile ici. Les gens s’y sentiront beaucoup plus en sécurité pour demander l’asile. Et ils diront que si nous n’obtenons pas l’asile, nous pouvons rester en France ou en Europe continentale et ils n’ont pas à prendre le risque. Si le fait est que pour demander l’asile, ils doivent arriver au Royaume-Uni, c’est l’argument de vente pour les gangs et ils disent que vous devez être au Royaume-Uni et que la seule façon de le faire est sur ces bateaux ou sur ces camions ».

 Des agents aux frontières corrompus ?

Pour cet avocat d’immigration, ces migrants arrivent de partout. « Les demandeurs d’asile en provenance d’Asie arrivent via Moscou de l’autre côté de la frontière vers la République slovaque, puis y sont dispersés depuis l’Autriche. Ils sont dispersés dans toute l’UE. Les Africains viennent des côtes italiennes et espagnoles donc, ce sont toujours les gangs qui opèrent. Ce sont donc les gangs qui emmènent ces migrants d’un endroit à un autre. Les gangs leur diront, regardez, vous allez ici. Ce n’est pas un menu ou une carte d’achat. Ils ne choisissent pas d’aller au Royaume-Uni. Vous allez là où les gangs vous disent d’aller ».

Il y a des agents de sécurité frontalière et des policiers dans la plupart des pays qui sont à la solde de ces gangs.

Harjap Bhangal ajoute que « les gangs trafiquent des groupes de 30 à 40 personnes. Il y a des agents de sécurité frontalière et des policiers dans la plupart des pays qui sont à la solde de ces gangs. Sinon, comment quelqu’un dans un groupe de 30 personnes sans passeport peut-il voyager de Moscou jusqu’à Paris sans être arrêté une seule fois ? Ce n’est pas possible. Vous ne pouvez pas le faire, je ne peux pas le faire. Comment font ces gangs ? C’est l’ampleur de la corruption qui est impliquée. Les gangs ont une longueur d’avance et nous leur avons permis d’aller de l’avant parce que pendant 20 à 30 ans, personne n’a rien fait à ce sujet. »

 Réactions des élus des Français au Royaume-Uni

Dans son communiqué de presse, le parti EELV (Europe Ecologie Les Verts) au Royaume-Uni a réagi. « Aujourd’hui, les Français.es et les Britanniques sont uni.es dans ce deuil et nos deux gouvernements ont leur part de responsabilités ». L’élu des des Français de l’étranger, Remi Vazeille (EELV) au Conseil consulaire de Londres, a appelé les autres conseillers et conseillères à avoir une pensée pour les 27 migrants qui ont péri hier. « Nous avons une responsabilité commune avec le Royaume-Uni pour empêcher ces drames et veiller à un meilleur traitement des migrants. Cette nouvelle tragédie est insupportable et nous appelons notre député des Français de l’étranger, Alexandre Holroyd membre du parti du président français, La République en marche, NDLR), à utiliser son rôle pour demander plus de moyens des deux côtés de la Manche pour le sauvetage en mer, un accueil et un traitement digne des migrants à Calais, l’arrêt des confiscations par les forces de l’ordre de tentes et d’effets personnels, et un soutien aux associations qui leur viennent en aide ».

Depuis le Brexit, les tensions n’ont cessé de croître entre Paris et Londres.

Depuis le Brexit, les tensions n’ont cessé de croître entre Paris et Londres. Tout d’abord, avec les contrats des sous-marins australiens qui ont été annulés au dernier moment, entraînant une nouvelle alliance avec les États-Unis et le Royaume-Uni. Les deux pays se disputent au sujet des licences de pêche dans les eaux territoriales britanniques et n’arrivent toujours pas à trouver un accord. Le drame de Calais a ravivé les braises entre les deux pays. La question est de savoir si la rupture entre les deux pays est définitivement consommée.

Alexander SEALE (à Londres)