ROYAUME-UNI

Citoyenneté : des manifestants « Kill the Bill » contre une loi draconienne et répressive

Des manifestants manifestent pour leurs droits et appellent la démission de Boris Johnson. Photo Alexander SEALE

Ce samedi 15 janvier 2022, des manifestants de la campagne « Kill The Bill » sont descendus dans les rues de Londres pour exprimer clairement leur opposition au projet de loi sur la police, la criminalité, la détermination de la peine et les tribunaux. La plupart étaient des jeunes, des activistes du climat (Extinction Rebellion) et des activistes du Parti Travailliste. Ils ont traversé les grandes artères de la capitale britannique pour dire non au projet de loi « Nationalité et Frontières » (Nationality and Borders Bill). Le projet est en phase finale et sera voté ce lundi à la Chambre des Lords.

À Londres, des centaines de personnes ont défilé avec d’énormes banderoles, certaines d’entre elles agitaient des drapeaux et scandaient « Kill The Bill! ». De jeunes activistes battaient des tambours près de Trafalgar Square et au Parliament Square. C’était comme si nous assistions à un carnaval, mais le contexte est très grave. La manifestation « Kill The Bill » précède le vote à la Chambre des Lords la semaine prochaine sur le projet de loi relatif à la police, la criminalité, les peines et les tribunaux. Actuellement, le gouvernement poursuit le processus de promulgation de la législation, votée à la Chambre des communes britannique le 9 décembre 2021.

Les manifestants sont préoccupés par de nombreux aspects du nouveau projet de loi, en particulier par les mesures anti-manifestations qui pourraient permettre à la police de disperser les manifestants si elle considère que la manifestation est trop bruyante ou perturbatrice. Pour les militants, cette future loi est une atteinte aux droits de manifester. C’est pourquoi des manifestations se sont déroulées à travers tout le Royaume-Uni contre ce projet de loi.

Manifestation à Bath

Véronique Martin, de l’In Limbo Project, témoigne que des citoyens européens vivant au Royaume-Uni sont inquiets par l’impact du Brexit. D’après elle, il y avait beaucoup de monde à la manifestation à Bath, tout comme celle de Bristol. « De nombreuses personnes ont pris la parole, dont Ken Loach, et la foule était composée d’un bon mélange de personnes, en ce qui concerne les tranches d’âges, de milieux et de partis politiques. La police était adorable et très compréhensive. J’étais là, car je suis extrêmement inquiète des nouveaux projets de loi draconiens que ce gouvernement veut faire adopter. Ils menacent nos libertés, les droits de l’homme et détruiront notre démocratie. C’est extrêmement sérieux. De plus, ce projet de loi sur la nationalité et les frontières est une monstruosité qui menace le droit humain international, les demandeurs d’asile ainsi que l’équilibre de la stabilité de la citoyenneté et son statut. J’ai la double nationalité, je trouve cela profondément inquiétant ».

Le Royaume-Uni glisse-t-il vers une loi dictatoriale ?

Cette loi, décrite par le Green Party, comme « criminalisant des personnes les plus vulnérables de la planète notamment celles qui fuient les Talibans en Afghanistan ». Cette loi prévoit de déclarer irrecevable toute demande d’asile d’une personne qui arriverait par une voie illégale. Elle criminaliserait également ces demandeurs d’asile et quiconque tenterait de leur sauver la vie. Elle donnerait aussi une immunité à la police des frontières dans le cas où des personnes décèderaient lors de leurs interventions, ce qui constitue, selon des avocats, une atteinte au droit national et international. Par ailleurs, le processus de demande d’asile ne sera plus lié à une période de résolution de 6 mois et les demandeurs d’asile pourront être déportés dans des centres de traitement off-shore comme en Australie.

La déchéance de nationalité sans préavis (clause 9) pour les binationaux constituerait « une menace ». C’est un autre aspect de cette loi, jugée abjecte, qui suppose qu’il y aurait des Britanniques plus Britanniques que d’autres. En début de semaine prochaine, la population attend que les Lords rejettent cette loi ou fassent des amendements.

Photo Alexander SEALE

Effervescence à la Chambre des Lords

Sir Peter Ricketts, ancien Ambassadeur de la Grande-Bretagne en France de 2012 à 2016 et Lord aujourd’hui désapprouve le texte. « Les Lords examinent ce projet de loi sur la police et la détermination de la peine depuis des semaines et cela a entraîné plus de correspondance de la part des membres du public que tout autre problème. Il y a une inquiétude généralisée, en particulier au sujet des nouvelles restrictions au droit de manifester dans les clauses 53-59. Mes propres préoccupations sont bien résumées dans le rapport présenté ici par le Joint Comittee sur les Droits Humains. Les votes sur ces clauses auront lieu demain à la Chambre des Lords. J’espère qu’il y aura des majorités pour plusieurs amendements modifiant ce projet de loi dans le sens proposé par le Comité mixte et soutenu par les militants des droits de l’homme. J’ai l’intention d’être là pour voter dans ce sens », nous a-t-il confié.

Parmi les manifestants des femmes déguisées en Suffragettes

Charlotte Minvielle, Co-Secrétaire d’EELV au Royaume-Uni nous a dit que « c’était important pour nous d’être présents à cette manifestation aux côtés de notre parti frère le Green Party. Le gouvernement britannique souhaite autoriser la police à suspendre des manifestations qu’elle considérerait comme sérieusement perturbatrices. C’est en étant sérieusement perturbatrices que les suffragettes ont obtenu le droit de vote des femmes. Aujourd’hui, les manifestations pour la justice climatique jouent un rôle essentiel pour pousser nos gouvernements à agir maintenant ».

Manifester fait partie de la démocratie

Dans la foule, on peut apercevoir de nombreuses pancartes où il est inscrit « Lords, aidez-nous ! », ou « Si je manifeste pacifiquement comme ça, j’irai en prison » ou encore « cette loi est une attaque contre la démocratie ». Dans la manifestation, une personne, prénommée Ferret nous a expliqué qu’il participe aux manifestations à Londres parce que « manifester est une partie importante de notre démocratie à laquelle nous devons nous accrocher ».

Il estime que « ces manifestations sont les plus importantes, car ce nouveau projet de loi sur la police et la criminalité combine de nombreuses mesures qui porteront atteinte à nos libertés. Certains des articles ajoutés après la rédaction du projet de loi criminaliseront les gens avant même qu’ils aient commis un crime. Ils vont trop loin et doivent être remis en question. Les Lords doivent savoir que nous, le peuple, c’est notre volonté ».

Une loi qui emprunte à des régimes dictatoriaux. Photo Alexander SEALE

Menace sur les Européens au Royaume-Uni

Selon EELV UK, cette loi prévoit que les Français, comme tous les 2,3 millions de citoyens européens ayant obtenu le « pre-settled status », devront désormais présenter une nouvelle demande afin d’obtenir le « settled status » à la fin de la période de cinq ans pour laquelle ils ont obtenu un droit de rester. Outre le fait que cette clause constitue une rupture des termes de l’accord du Brexit, elle a aussi des conséquences négatives sur le marché du travail britannique. EELV ajoute que ce projet de loi est dangereux et régressif à plusieurs niveaux, notamment en matière de protection des personnes migrantes et des associations qui les soutiennent ainsi qu’en ce qui concerne l’égalité des ressortissants français, européens, et internationaux sur le territoire britannique.

« Regardez ce qui se passe au Kazakhstan »

En allant vers Parliament Square, leur destination finale, les manifestants sont passés par le 10 Downing Street. Devant la résidence du Premier ministre, Boris Johnson, des personnes ont crié « Johnson dehors ! » Sans doute à cause des scandales de ces dernières semaines.

Elliott était dans la foule. Il a assisté à la manifestation pour une raison précise : « je crois fermement en notre démocratie. Pour moi, y assister visait à protéger certains des principes les plus fondamentaux de notre société. La manifestation est une partie si sacrée des personnes montrant une idée générale comme le mécontentement au sein de leur société, ce privilège que nous détenons dans notre État occidental doit être si soigneusement pris en compte, nous n’avons qu’à regarder le Kazakhstan ces dernières semaines (et ailleurs) pour voir à quoi peut ressembler l’avenir quand cette liberté nous est dépouillée. J’ai participé à cette manifestation, car manifester n’est pas un crime, aucune loi ne changera cet acquis fondamental. Qu’il s’agisse d’une manifestation locale contre la pollution de l’air ou d’une manifestation nationale contre la politique étrangère, personne n’est en sécurité ».

Priti Patel, une ministre dangereuse ?

Ce projet de loi sur la nationalité et les frontières, portée par la ministre de l’Intérieur Priti Patel, « réparera le système d’asile brisé du Royaume-Uni » selon le gouvernement. Il a été validé par la Chambre des communes en décembre 2021. D’où la consternation des militants et des experts qui se demandent comment un tel texte a pu être adopté. Ils préviennent que les solutions proposées telles que les refoulements dans la Manche et le traitement offshore auraient un impact « catastrophique ».

Alexander SEALE (à Londres)