BRUXELLES. Ce jeudi 10 février, avait lieu la plus grande manifestation de l’enseignement depuis 2011. Les revendications sont multiples. Selon une enquête menée par des chercheurs l’UMons sur le ressenti et les pratiques de la profession depuis le début de la crise sanitaire, et dont les résultats sont parus ce 8 février dans Le Soir, pas moins de 34 % des enseignants francophones ont pensé quitter le métier en 2020-2021. Alors ce matin, face à un ras-le-bol global des politiques mises en place depuis trop longtemps, épuisés par deux années d’enseignement hybride imposé, de va-et-vient et d’adaptation constantes souvent surréalistes, les enseignants se sont déplacés en masse pour dire leur détresse aux ministres concernés. A 11 h, le cortège, parti de la gare de Bruxelles-Central, est arrivé telle une vague humaine place Surlet de Chokier. Nous étions sur place pour recueillir le témoignage des plus de 8.000 manifestants présents. Pourquoi sont-ils venus ? Quel est leur état d’esprit ? Compte-rendu.
Dès 10h, place Surlet de Chokier, certains enseignants sont déjà là. Le ciel gris et la bruine qui trempe les premiers arrivés n’a pas réussi à les démotiver. Le personnel enseignant répond à l’appel à la grève lancé par les principaux syndicats du secteur de l’enseignement. L’objectif ? Être sous les fenêtres de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour être sûr que les ministres de l’Education, Caroline Désir (PS) et la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Glatigny (MR) entendent bien les revendications de la foule.
On nous noie (…) sous le travail administratif. (…) ça nous empêche de rencontrer les élèves, de nous consacrer à eux, de faire notre métier
« On est venu pour exprimer un ras-le-bol. J’espère que ça va être le début d’un mouvement pour agir comme en 90. On veut que les conditions soient bonnes que ce soit pour les enfants et les enseignants. On se demande parfois si le gouvernement nous entend », explique Gérard, enseignant avec à son actif 35 ans de métier; il est aussi délégué syndical CGSP-Enseignement.
La place Surlet de Chokier se remplit peu à peu. Au coeur du site, un bus immobile a été transformé en tribune d’où les représentants régionaux des syndicats viendront s’exprimer tout au long de la journée. Ils sont tous là : CGSP-Enseignement, Setca-SEL, CGSP- AMIO, CSC-Enseignement, CSC Services Publics, CSC Alimentation et Services, CNE, APPEL et SLFP.
Sur le coup de 11 h, le cortège, démarré à la Bruxelles -Centrale un peu plus tôt, rejoint la place telle une vague implacable. Le bâtiment de la Fédération Wallonie-Bruxelles fait désormais face à une mer multicolore d’enseignants bien décidés à se faire entendre.
« On parle beaucoup des enseignants, mais ce ne sont pas les seuls à être là », interpelle Nathalie, éducatrice dans une école primaire. « J’ai 25 ans d’expériences et je remarque qu’on nous noie de plus en plus sous le travail administratif. Le problème, c’est que ça nous empêche de rencontrer les élèves, de nous consacrer à eux. Parfois, certains conflits restent en suspens à cause de ça, du manque de temps. C’est le temps qu’il nous manque. Le temps de rencontrer et de travailler avec les élèves, de faire notre métier en somme », termine-t-elle.
En tendant l’oreille et en discutant avec les gens, on se rend bien vite compte qu’ils viennent de tous les corps de métiers du milieu scolaire. Parmi les drapeaux rouges, verts et bleu, on aperçoit même des étudiants portant un panneau expliquant leur présence : « Solidarité avec nos enseignants ».
Leurs panneaux traduisent les inquiétudes du corps enseignant
« On veut plus de moyens pas forcément plus de salaire. On est venu, car on est tous solidaires », confie Yoann, enseignant d’histoire et de géographie à Etterbeek. « Je suis également motivé à agir quand je vois la détresse de nos élèves. Les protocoles sanitaires ont été compliqués à vivre pour eux. Les mesures ont rendu le suivi individuel compliqué. Il y a aussi eu beaucoup de décrochages. Lorsqu’on a annoncé à certains élèves qu’on allait devoir recommencer une formule d’enseignement hybride ( à savoir mi présentiel mi école à distance), certains m’ont dit que ce ne serait pas possible pour eux », poursuit-il.
Le cabinet Désir a émis 500 circulaires en 2 ans et demie (…) Nous demandons que de véritables moyens soient mis en place (…) L’enseignement se sent méprisé et le mépris, ça se combat dans la rue.
Les heures passent et le site est noir de monde, à un point tel, qu’à la demande de la police, les manifestants reculent pour permettre à tous de tenir sur la petite esplanade. « Il n’y a jamais eu autant d’écoles fermées en Belgique. Vous êtes plus de 10.000 », clame une voix retransmise par les énormes baffles du bus-tribune. Les chiffres de la Police indiqueront 2.000 de moins.
Les représentants syndicaux prennent ensuite la parole : « Vous avez subi des mesures sanitaires qui changeaient constamment. Pendant cette période compliquée, les réformes ne se sont pas stoppées. Depuis le début de la législature, le cabinet Désir a émis 500 circulaires en 2 ans et demie. Faites vous-même le calcul », clament-ils. « Nous demandons que l’on diminue la taille des classes et que de véritables moyens soient mis en place pour lutter véritablement contre la pénurie des enseignants. L’enseignement se sent méprisé et le mépris, ça se combat dans la rue. » C’est sur ces mots que les syndicats concluent leur introduction.
La foule présente était à l’image du front commun : multicolore
« Ce sont les conditions de travail dégradées qui m’ont fait venir : l’état des bâtiments est parfois déplorable, on manque d’effectif pour pouvoir faire face. La pénurie est toujours bien présente. Si je devais donner un conseil à un jeune qui veut devenir enseignant : réfléchissez-y bien à deux fois, allez sur le terrain avant de vous lancer dans cette carrière », renchérit Barbara, institutrice maternelle depuis plus de 20 ans.
Enseignant, c’est un métier pénible. Il faut aussi améliorer les conditions de travail
Le ministre-président Pierre-Yves Jeholet (MR) cristallise également l’ire de certains des grévistes entres très remontés contre la possible suppression de la DPPR. La disponibilité précédant l’âge de la retraite (DPPR) est une mesure mise en place dans les années 80 qui permet à un enseignant en fin de carrière d’avoir certains aménagements. Ils diminuent leur temps de travail et permettent ainsi à de jeunes enseignants d’être engagés. Cette mesure vise les enseignants nommés ou membre du PMS âgé d’au moins 55 ans.
« Les DPPR sont également menacés. Pourtant, cela permet à des enseignants qui n’en peuvent plus et qui se disent qu’ils n’arriveront pas à tenir jusqu’à 65 ans d’aménager leur fin de carrière. Monsieur Jeholet trouve que ça coûte trop cher voire que c’est impayable. Il a parlé de les supprimer. En Flandre, ce système a déjà disparu. Enseignant, c’est un métier pénible. Il faut aussi améliorer les conditions de travail », s’insurge Julien, délégué syndical CSC.
Dans la foule, on réagit, on parle fort, on agite les banderoles dénonciatrices du ras-le-bol global du secteur, toutes professions confondues.
« Caroline Désir n’a pas cessé de dire que nous étions des héros du quotidien. On aimerait bien le sentir. 30 ans de coupes budgétaires dans un secteur qui n’est pas valorisé. On cherche aussi un meilleur accompagnement et un meilleur soutien. En gros plus d’investissements. Pendant la pandémie, on a dû payer nos masques et nos gels hydroalcooliques. Pour travailler, on doit utiliser des ordinateurs, mais c’est nous qui devons les payer aussi», ajoute encore Laura, institutrice primaire.
La tribune se vide et les représentants syndicaux pénètrent dans les bâtiments de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ils vont rencontrer certains membres du gouvernement dont le ministre-président, Pierre-Yves Jeholet et la ministre de l’Education, Caroline Désir surtout et leur dire leur façon de penser et leur volonté de voir enfin changer les choses pour de bon et dans le bon sens.
« Nous voulons juste enseigner dans de bonnes conditions », est la dernière petite phrase qui retentit dans la foule.
Maxime KLASSEN (st)
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