Une semaine après le début de l’offensive russe en Ukraine, la plupart des analystes militaires et observateurs politiques s’accordent à dire que les choses ne tournent pas exactement comme l’avait, sans doute, imaginé Vladimir Poutine dans ses certitudes affichées. A-t-il surestimé les capacités des forces armées de la Fédération de Russie, la deuxième plus puissante armée mondiale ? Stratégiquement, le maître du Kremlin a-t-il déjà perdu la guerre ? On fait le point avec Claude Moniquet, ancien agent de la DGSE, le service de renseignement français au sein duquel il a passé vingt ans, aujourd’hui cofondateur de l’ESISC, une société d’analyse stratégique et de conseil en sûreté.
Claude Moniquet est surtout connu pour ses travaux sur la menace terroriste. Mais il connait très bien aussi la Russie. Formé pendant la guerre froide, il a commencé sa carrière de l’autre côté de l’ancien « Rideau de fer ». Il a rencontré de nombreux officiers du KGB puis du SVR (Service des renseignements extérieurs de la Fédération de Russie) et du FSB (Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie) qui lui ont succédé à la chute de l’URSS, mais aussi de nombreux cadres supérieurs de l’armée et de proches conseillers des présidents Gorbatchev, Eltsine et Poutine. Il a, enfin pu observer l’armée russe dans les Balkans. Il nous explique pourquoi l’armée russe rencontre aujourd’hui des difficultés face aux opérations qu’elle conduit en Ukraine.
L-Post: Selon certains experts en stratégie militaire, il fallait vraiment être aveugle pour ne pas voir que Poutine ne souhaitait pas négocier. Se serait-il surestimé ?
Avec environ 900.000 soldats, dont la moitié de professionnels, deux millions de réservistes, 12.000 blindés et 4.000 avions, l’armée russe est toujours dans cette culture de « l’effet de masse » héritée de l’ère soviétique. La stratégie de Vladimir Poutine est donc celle du rouleau compresseur. Mais quand on regarde les choses de plus près, sa force de frappe est sensiblement moindre. Au moins la moitié des blindés sont hors d’usage et servent de réservoir de pièces détachées et seuls 30% des avions de chasse sont de nouvelle génération pour affronter les F35 américains ou les Rafale français. Et si on en vient au facteur humain, l’armée russe rencontre les mêmes problèmes que les armées occidentales. A titre d’exemple, 20% des pilotes de chasse russes ne sont pas aptes aux missions de guerre faute d’expérience et d’un nombre d’heures de vol suffisant.
Si les morts civils se comptaient demain par milliers, Pékin devrait sortir de sa réserve et n’aurait d’autre choix que de condamner Moscou.
L-Post : L’armée russe ne serait-elle donc qu’un tigre de papier, une illusion ? Ce qui expliquerait les problèmes qu’elle rencontre à maîtriser plus rapidement qu’elle ne l’aurait imaginé le conflit en Ukraine ?
La réponse est plus complexe. Malgré certaines faiblesses avérées, l’armée russe est, en tout état de cause, infiniment plus puissante que l’armée ukrainienne. Et malgré certains problèmes auxquels Vladimir Poutine ne s’attendait pas à rencontrer sur le terrain, il est évident que les Russes retiennent actuellement leurs forces. A cela, s’additionne aussi une réalité du côté ukrainien où les problèmes sont de deux ordres : logistiques d’abord, et ensuite humains et relatifs au moral et à la combativité de la troupe. S’y ajoute, probablement, un certain flottement au niveau du commandement supérieur.
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L-Post : Vous dites que l’armée russe « retient sa force », pourtant les morts civils s’accumulent du côté ukrainien au point que des poursuites sont envisagées pour crimes de guerre. En quoi Vladimir Poutine retient-il ses forces ?
La guerre n’a malheureusement jamais été une promenade de santé. Et le slogan « guerre zéro mort » que les Etats-Unis nous ont vendu en Irak est un mythe. On ne fait, bien évidemment, plus la guerre comme en 40-45, où l’on rasait des villes entières en une nuit dans l’indifférence générale, mais les Russes ont aujourd’hui clairement la supériorité par rapport à l’Ukraine. A coups de bombardements et de tirs de missiles ou autres bombes dites « thermo-bariques », ils pourraient raser des quartiers entiers et les morts se compteraient pour le coup, par milliers.
L-Post : Pourquoi Vladimir Poutine ne frappe-t-il dès lors pas « plus fort » ? Par « humanisme » ?
Certainement pas. C’est un calcul purement politique. La Russie est aujourd’hui isolée de la plus grande partie du monde et ne jouit que de quelques soutiens : Biélorussie, Birmanie, Cuba et Venezuela. Sans leur faire injure, ces pays-là, stratégiquement, n’ont aucune importance. Mais il y a un pays qui compte particulièrement: la Chine. Or, elle reste dans une prudente neutralité. Et là, les choses sont différentes : si les morts civils se comptaient demain par milliers, Pékin devrait sortir de sa réserve et n’aurait d’autre choix que de condamner Moscou. Or, face aux sanctions internationales qui vont continuer à s’accumuler et à monter en puissance, Moscou a besoin de la Chine pour rompre son isolement et relancer, demain, son économie.
L-Post : Connaît-on le but véritable recherché aujourd’hui par Vladimir Poutine ?
Connaître le but d’une guerre, c’est connaître « l’effet Final Recherché » (EFR). Si l’EFR est de contrôler totalement l’Ukraine et de décapiter sa direction, la prise de Kiev est un objectif tactique majeur, et dans ce cas, tout retard de la chute de la capitale est un problème réel. Mais, si l’EFR est une partition du pays, avec la Russie qui contrôlerait le Donbass et établirait une continuité territoriale avec la Crimée en prenant possession du sud-est ou si le but est plus large et de pousser, toujours dans le sud, jusqu’à la frontière moldave pour faire la jonction avec la Transnistrie et couper le reste de l’Ukraine non seulement de son accès à la Mer d’Azov, mais surtout à la mer Noire et d’en faire un pays enclavé, alors la prise de Kiev n’est pas nécessaire. Or, actuellement, c’est l’inconnue. Ce n’est que le développement des opérations sur le terrain qui nous montrera quel est le lieu d’application de l’effort principal et qui nous permettra d’en déduire quel est l’EFR réel du Kremlin.
L-Post : La Russie peut-elle gagner cette guerre ? Et plus politiquement parlant, en la gagnant Vladimir Poutine ne signe-t-il pas aussi sa fin ?
Militairement oui, politiquement, clairement, non. Sa victoire militaire est possible, mais elle aura un prix, avec de lourdes pertes de chaque côté, y compris civiles du côté ukrainien. Mais, même cette victoire militaire remportée, l’armée russe devra alors faire face à une guerre « du faible au fort » dans laquelle les Ukrainiens utiliseront la guérilla et pourront même infliger des coups sévères aux Russes en utilisant les armements que nous sommes en train de leur livrer, entre autres les missiles « blindicides » et anti-aériens.
Nous sommes quelque part en train d’alimenter ce qui va suivre. Quant à son image, Vladimir Poutine a sans doute fait le pas de trop. Cette déclaration de guerre a signé la fin de l’ère Poutine et son narratif médiatique ne valide aucunement sa décision. Sa suprématie militaire ne suffit plus à elle seule à convaincre. C’est un homme de 69 ans qui rêve encore de la Grande Russie, mais qui a tiré sa dernière cartouche.
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on se console comme on peut...