Société

Après 100 ans de présence féminine au barreau, les inégalités subsistent entre avocates et avocats


Qui pourrait imaginer lorsqu’il voit se côtoyer au Palais de justice les avocates et avocats que cette situation est relativement récente ? Ce n’est qu’en 1922, en effet, grâce au combat de Marie Popelin et d’âpres polémiques, qu’une loi belge autorisera les femmes à exercer la profession d’avocat. Cent ans après la loi du 7 avril 1922, comment le barreau vit-il la diversité ? Si les femmes sont plus nombreuses que les hommes à s’inscrire au barreau, dans sa dernière analyse publiée en 2019, l’Observatoire du Barreau de Bruxelles constate que des disparités persistent tant en termes de perspectives de carrière que de rémunération.

Les effets de l’affaire Popelin

Pendant très longtemps, les femmes n’ont pas eu accès aux études. Ce n’est qu’en 1880 que les femmes purent étudier à l’université en Belgique, d’abord à l’ULB et un an plus tard à Liège. Elles eurent d’abord accès aux professions médicales, jugées plus féminines. La sœur de Marie Popelin, une pionnière du mouvement féministe qui mena la bataille, et qui permit l’accessibilité des femmes avocates au barreau, fut d’ailleurs la première pharmacienne de Belgique.

Marie Popelin entreprit, à l’âge de trente-sept ans, des études de droit à l’Université Libre de Bruxelles, qu’elle termine avec distinction en 1888. C’était la première femme à s’inscrire dans cette filière d’étude. Fort logiquement, comme le font tous ses collègues masculins désireux d’embrasser la profession, elle demande son inscription au tableau de l’ordre des avocats mais son inscription fait débat. Dans un arrêt du 12 décembre 1888, la cour d’Appel de Bruxelles refuse d’admettre Marie Popelin à prêter le serment préalable à l’exercice de la profession d’avocat.
« Attendu que la nature particulière de la femme, la faiblesse relative de sa constitution, la réserve inhérente à son sexe, la protection qui est nécessaire, sa mission spéciale dans l’humanité, les exigences et les suggestions de la maternité, l’éducation qu’elle doit à ses enfants, la direction du ménage et du foyer domestique confiée à ses soins, la place dans des conditions peu conciliables avec les devoirs de la profession d’avocat et ne lui donne ni les loisirs, ni la force, ni les aptitudes nécessaires aux luttes et aux fatigues du barreau ».

La loi du 7 avril 1922

Refusant de baisser pavillon, Marie Popelin décide de se pourvoir en cassation. En vain. La Cour rejette également sa requête. Aucune loi n’ayant prévu cet accès, les tribunaux estimèrent qu’il appartenait au législateur de trouver une solution. Ce procès eut néanmoins un effet positif non négligeable. L’émotion consécutive au scandale du verdict judiciaire se mua en une action politique précise qui donnera naissance, en 1892, à la Ligue belge du droit des femmes. La Ligue déposera en 1901, une proposition de loi à la Chambre pour que les femmes puissent exercer la profession d’avocat. Après moultes rejets, elle sera finalement adoptée le 7 avril 1922.

Les avocats perçoivent en moyenne annuelle une rémunération double ou quasiment double de celle perçue par les avocates.

Les avocates quittent la profession à 30 ans

L’accès des femmes à l’exercice de l’avocature marque un moment important dans le mouvement d’émancipation des femmes. C’était une première brèche qui s’élargira progressivement. En 1945, la carrière diplomatique et consulaire leur est ouverte. A partir du 21 février 1948, les femmes accèdent à toutes les fonctions de l’ordre judiciaire et deux ans plus tard, elles accèdent au notariat. Mais, cent ans plus tard, même s’il existe un mouvement général de féminisation du barreau, force est de constater que des inégalités persistent.

Copyright – Radiographie du barreau de Bruxelles 1018 – Publication 2019 – Distribution par genre

Selon la radiographie (Link : https://barreaubruxelles.be/images/documents/radiographie_2018.pdf), publié par  Gregory Lewkowicz, directeur de la Société de droit global et transnational et président, avec Maître Vinciane Gillet, de l’Incubateur européen du barreau de Bruxelles, l’on dénombre au sein des avocats stagiaires, beaucoup plus de femmes que d’hommes (65-35%). Or, si les femmes sont majoritaires dans les classes d’âges inférieures. la pyramide des âges en fonction du genre met en évidence un barreau largement masculin à partir de la classe d’âges 40-49 .
Cette situation s’explique par le fait que les avocates quittent le barreau pour exercer une autre profession à partir de 30 ans. Le phénomène trouve son explication dans un manque de perspectives de carrière et dans une inégalité en termes de rémunération.

Toujours une forte disparité de revenus

Toujours selon cette étude, les avocats perçoivent en moyenne annuelle une rémunération double ou quasiment double de celle perçue par les avocates. En retenant l’hypothèse moyenne médiane, les avocates ont ainsi perçu en 2017 56% du revenu annuel semi-brut moyen médian perçu par les avocats, soit un écart de 44%.

Alors que les avocates sont majoritaires pour les tranches de revenus comprises entre 1 et 75. 000 euros, elles sont ensuite rapidement distancées par leurs confrères. Les hommes comptent en effet pour plus de 70% des avocats qui déclarent des revenus situés entre 150. 000 euros et plus de 500. 000 euros. Cette inégalité a été confirmée pour toute la Belgique, la France et d’autres pays européens.

Aujourd’hui encore, il existe un plafond de verre que les femmes n’arrivent toujours pas à franchir. Cela pourrait partiellement s’expliquer selon Gregory Lewkowicz par le fait que les avocates arrivent plus difficilement au statut d’associé ou equity partner dans leur association. Les femmes sont aussi toujours également moins présentes, voire inexistantes, à certaines fonctions plus politiques ou de représentation au sein des Ordres communautaires ou encore dans certains tribunaux et généralement les plus hautes juridictions de notre pays.

 

 


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