Mathieu Savary : « il est peu probable que les sanctions financières soient suffisantes pour arrêter Vladimir Poutine »
La guerre continue en Ukraine où la Russie poursuit l'escalade militaire. AFP Mathieu Savary est stratégiste en chef pour l’Europe chez BCA Research. Il vient de publier une note au sujet des retombées du conflit en Ukraine sur l’économie européenne. Il y décrit entre autres, les conséquences à plus long terme du conflit qui laisse présager l’augmentation des dépenses d’investissement et des déficits publics en Europe. Cela stimulera le taux d’intérêt neutre et les rendements européens. Les valeurs industrielles et de défense sont également des bénéficiaires structurels. D’après lui, certes les sanctions économiques feront du trot à l’économie russe, mais elles ne feront pas fléchir le maître du Kremlin. Nous l’avons rencontré.
Pourquoi les sanctions financières imposées au régime russe côté du Royaume-Uni tardent-elles ? Boris Johnson est très critiqué en ce moment à ce sujet.
Il est difficile de comprendre pourquoi le gouvernement Johnson est si lent pour imposer des sanctions financières à la Russie, surtout si nous tenons compte de la rhétorique belliqueuse du Royaume-Uni durant les semaines précédant le conflit.
Quels types de sanctions financières seront efficaces et faudrait-il plus de sanctions contre la Russie, selon vous ?
Le gel des réserves est une mesure particulièrement douloureuse pour la Russie. Techniquement, son exclusion du système bancaire SWIFT est aussi très difficile. Cependant, cette mesure est partielle, donc la Russie peut continuer à recevoir des fonds en échange de gaz naturel et de pétrole. Dès lors, elle perd du mordant. Par contre, les besoins énergétiques européens expliquent cette décision. Il est possible que l’Europe choisisse de fermer SWIFT complètement à la Russie, ce qui serait très difficile pour le régime de Poutine ; mais cela reste peu probable tant que le conflit sera limité à l’Ukraine. À long terme, l’embargo sur les exportations de semi-conducteurs aura un effet important, car il nuit au développement de l’économie russe. Cela étant dit, il est peu probable que les sanctions financières soient suffisantes pour arrêter Moscou, qui perçoit une Ukraine, alliée à l’Ouest comme un risque existentiel.
Le gel des réserves est une mesure douloureuse pour la Russie, d'après l'expert Mathieu Savary. D.R. La manne financière que représentent les oligarques russes au Royaume uni peut-elle mettre le pays en difficulté, à la suite des sanctions décrétées par l’occident contre la Russie ?
Le départ de l’argent russe nuira à l’économie britannique, mais cet ennui sera mineur en comparaison aux maux créés par l’augmentation des prix de l’énergie et des matières premières dans l’Europe de l’Ouest. Les sanctions entraineront aussi une forte diminution des échanges commerciaux avec la Russie, mais aussi une vague de pertes pour les banques européennes ayant prêté des fonds aux entreprises russes. La situation au Royaume-Uni est particulièrement difficile, car ce printemps, les impôts devraient augmenter et les subventions énergétiques aux ménages finissent. De plus, la Banque d’Angleterre augmente les taux d’intérêts, chose que la BCE ne fera probablement plus cette année. Donc, les conjonctures économiques britanniques seront laborieuses durant les mois à venir.
Les sanctions entraineront une forte diminution des échanges commerciaux avec la Russie, mais aussi une vague de pertes pour les banques européennes ayant prêté des fonds aux entreprises russes.
Nous nous approchons d’une élection présidentielle en France. Ces sanctions et leurs impacts économiques pourraient-ils exercer une influence sur le résultat des élections ?
Pour le moment, il semble que non. Oui, les sanctions et la remontée rapide du prix des matières premières nuisent à l’économie française. Cependant, la popularité d’Emmanuel Macron monte, un exemple typique de l’effet « ralliement au drapeau ». De plus, ses annonces de coupures d’impôts, ses efforts diplomatiques avec la Russie et l’Ukraine, ainsi que son activisme en ce qui a trait aux plans européens de renouvellement énergétique et militaire sont des atouts importants. Sous ce contexte, il n’est pas surprenant qu’il remonte dans les sondages. Donc nous continuons à attendre un second mandat pour Macron, une attente que nous avons étayée l’été dernier.
Les candidats Zemmour, Le Pen et Mélenchon pourraient-ils baisser dans les sondages à cause de leurs positions pro-Poutine selon vous ?
Probablement oui. L’optique est terriblement pauvre. Nous remarquons déjà qu’ils baissent dans les sondages, mais il est difficile de déterminer si cet affaiblissement reflète plus leurs positions envers Poutine ou bien la remontée de la popularité de Macron. En fait, c’est vraisemblablement les deux.
Alexander SEALE (à Londres)
