Politique

Les crèches non subventionnées ne décolèrent pas face à une réforme qui pénalise les familles et les enfants


En Belgique, le taux de couverture en places d’accueil est toujours insuffisant. En Wallonie, il est de 38%. Autrement dit, il y a en Wallonie 38 places pour 100 enfants âgés de 0 à 2 ans et demi ou 3 ans. Et contrairement à ce qu’estime l’ONE, satisfaite de sa réforme entrée en vigueur en janvier 2020, le secteur des crèches non subventionnées crie au loup. « Nous sommes nombreuses à penser quitter un secteur dictatorial qui dévalorise notre diplôme, qui méprise la qualité de notre encadrement et souhaite interférer dans notre fonctionnement et hélas, ce seront les familles qui en payeront le prix ». Selon un recensement non officiel effectué par une accueillante en partance, 1 000 familles seraient déjà impactées à court terme.

À Bruxelles où le taux de couverture en terme de place d’accueil n’atteint que 33% (soit de la place que pour un tiers des enfants qui ne sont pas encore en âge d’entrer en maternelle), 2.100 nouvelles places d’accueil ont été promise d’ici 2026. L’ouverture de ces places a nécessité, de la par des autorités communautaires et régionales, un effort financier substantiel. La région bruxelloise a déjà dégagé un montant additionnel de 2.000.000 d’euros pour financer des postes ACS dans les structures qui ouvriront cette année.

Des promesses et du mépris

La COCOF a prévu un budget global de 6.750.000 en 2022 pour financer les infrastructures d’accueil publiques parmi lesquelles des crèches communales. De son côté, la Fédération Wallonie-Bruxelles, dans le cadre de son nouveau contrat de gestion adopté en juin dernier, a déjà majoré la dotation de base de l’ONE de 60 millions d’ici 2024. Elle prévoit l’ouverture de 4.000 places supplémentaires.

En s’appuyant sur une partie des fonds du Plan de relance européen au financement de nouvelles places dans les crèches, la Région a rentré une demande pour 90 millions d’euros afin de construire 5.400 places d’accueil et d’en rénover 6.000. De quoi, espère-t-on, augmenter le taux de couverture. L’objectif est d’atteindre 50 places d’accueil subsidié pour 100 enfants, ce qui est un peu la norme européenne idéale.

La grogne du secteur non subventionné

Mais dans le secteur non subventionné ou privé, ces annonces ne sont pas véritablement prises au sérieux. En effet, depuis l’entrée en vigueur de la réforme des milieux d’accueil de la petite enfance de l’ONE (MILAC) en janvier 2020, nombreuses sont les accueillantes qui songent véritablement à quitter la profession. Elles sont même de plus en plus nombreuses. Des conséquences dramatiques de la réforme auxquelles l’ONE n’avait vraisemblablement pas pensé.

En quoi restons-nous indépendantes si l’ONE décide de tout : de nos contrats avec les parents, de nos horaires, de nos « bonus »

« Comment voulez-vous qu’on continue. Enfin si, on pourrait mais dans les conditions actuelles, si on se respecte un minimum, on ne peut pas », confie Stéphanie Nollomont, directrice d’une maison d’enfants à Amay (Liège). « On dévalorise notre diplôme, on nous prend pour des moins que rien. Nous sommes toutes dans le même état. Sans compter que cette réforme que l’ONE considère comme une avancée sociale et une bonne chose pour tout le monde va complètement à l’encontre des droits des femmes, je rappelle que le secteur est à 99 % féminin ».

Elle s’explique : « La réforme vise à éradiquer le secteur non subventionné tout simplement. Notre salaire moyen oscille entre 1.100 et  1.300 euros pour plus de 50 heures de travail par semaine. On ne les a pas attendu, nous, pour travailler plus ! Faites le calcul, ça nous revient à combien, 4- 5 € de l’heure ? Mais si on continue, qu’on respecte les demandes imposées par l’ONE, comme par exemple l’envoi d’une copie des contrats passés avec les parents, copie des heures de prestations des accueillantes, qu’on ouvre 5 jours semaine… bref qu’on respecte leurs nouvelles demandes, on a droit à un mini bonus de près de 1.000€ par an ! Vous appelez ça une avancée sociale pour les femmes ?! »

On peut toujours devenir subventionnée, rentrer dans le rang et disparaitre ou tout arrêter, changer de métier

Et la directrice de cette maison d’enfants depuis quinze ans de continuer: « Mais on est là pour le moment mais cela ne durera pas. On le fait car on aime notre métier, les enfants et on exerce notre profession avec passion mais c’est devenu insoutenable. La Réforme est bonne pour nous, selon l’ONE, car on peut recevoir un bonus de 250 € par ETP par an.  Notons en passant que ce bonus ne concerne pas les maisons d’enfants mais seules les accueillantes autonomes! Face à la crise que nous traversons, ce sont des miettes qu’on nous jette à la figure, et encore, pour cela il nous faudra nous soustraire à travailler 5 jours semaine à leurs conditions et respecter un horaire et subir leurs évaluation qui, si elles sont légitimes, sont toujours négatives ! Je travaille depuis 15 ans, je n’ai jamais rencontré de problème, ni reçu de plainte. De quoi se mêle l’ONE ?! Evidemment, cet organisme dictatorial se cache derrière le label de l’ultra meilleure qualité, mais c’est un mauvais argument. Que devons-nous comprendre ? Que notre qualité de travail ne vaut rien ? Comme notre diplôme de l’IFAPME ? »

Pour Sabine Loudèche, la messe est presque dite, elle risque fort de devoir fermer la porte de sa crèche à la rentrée prochaine. « Nous travaillons à deux, nous sommes indépendantes, cela n’est plus autorisé suite à la réforme. On se demande ce qu’on va devenir. J’élève seule mes enfants, ils sont encore aux études. Je suis puéricultrice et responsable de crèche depuis 31 ans! L’ONE nous vole notre vie », explique-t-elle fatiguée de se battre. «Au cabinet Linard, on nous rit au nez, ils n’en n’ont rien à faire de nous. Ils ne répondent même plus aux mails qu’on leur adresse pour partager notre détresse ou nous disent que ce n’est pas leur problème, qu’ils n’ont pas fait la réforme…Leur indifférence nous ruine la santé, on vit dans un stress permanent.»

Travailler seule est impossible et réduirait aussi son offre d’accueil jusqu’à rendre absolument son emploi non rentable. Engager quelqu’un? « J’y ai pensé mais c’est impayable, passer en ASBL, comme le recommande aussi la réforme, m’obligerait à être trois et à augmenter ma capacité de place d’accueil, mon espace ne me le permet pas; par tous les côtés, je suis bloquée et me retrouve dans l’impasse véritablement. Pourtant, on a su compter sur nous pendant la crise sanitaire, on nous a même laissé travailler pour rien. La ministre a rompu les contrats avec les parents pour que toutes les crèches soient accessibles gratuitement. Et tout ça, sans nous demander notre avis. A part le droit passerelle, on a juste eu droit à rien. Si on arrête, on a même pas droit au chômage, puisqu’on est indépendant. C’est complètement fou ce qu’il se passe.»

Une prime Covid, juste pour rire

Hormis, une prime Covid de 250 €  après avoir réclamé un minimum d’équité. «  Là encore, on s’est fait avoir. Pour en bénéficier, il fallait remplir tout un dossier en ligne sur Pro-ONE, apparemment, il nous fallait valider deux fois les documents. Cela ne devait pas être clairement indiqué car nous sommes plusieurs à ne pas l’avoir fait tout en pensant avoir rempli les choses correctement. Résultat: on a droit à rien. C’est trop tard, «  vous auriez dû valider deux fois », nous répond-on mais on se moque de qui! Le ministère, l’ONE, tous ont la liste de toutes crèches restées ouvertes durant les confinements. La ministre Linart en personne avait octroyé cette prime à tout le monde au sein du secteur. Elle se fiche de nous! Personnellement, je n’en peu plus de tout ça, c’est incroyable, injuste, injustifié, écoeurant », poursuit-elle.

Sabine s’est même vue menacée d’un risque de fermeture immédiate et d’une amende de 10 000 euros, par courrier, si elle n’acceptait pas de signer le nouvel R.O.I  envoyé par l’ONE, document nécessitant obligatoirement, selon l’ONE, une signature de la responsable de crèche. «  Vous voyez où on en est ?» 

Des listes d’attente qui n’en finissent pas

Stéphanie Nollomont, à l’instar d’autres accueillantes, ne décolère pas. Dépitée de crier sans être entendue, elle se forme actuellement à l’obtention d’un CAP et sa collègue directement songe à devenir institutrice. « L’ONE nous ment, et raconte n’importe quoi. Contactez les crèches, vous verrez. Depuis l’entrée en vigueur de la réforme, je recense dans mon coin les accueillantes non subventionnées qui veulent arrêter le métier. Certaines ont déjà arrêté une date. On ne rigole pas. L’ONE considère que les chiffres que je lui communique sont non fondés. Et pourtant…je comptabilise déjà un millier de familles qui seront impactées d’ici 2023. »

Pour rappel, le secteur des crèches non subventionnées représentent 33 % des crèches en Fédération Wallonie-Bruxelles.  Soit un tiers des places disponibles actuellement. Selon Stéphanie Nollomont, elles seraient une centaine à songer à cesser leur activité d’ici l’an prochain. « L’ONE veut améliorer la qualité de notre travail, très bien. C’est normal qu’on soit et que l’on reste rigoureux d’autant plus dans notre secteur mais les agents ONE, les AS,  savent-elles seulement de quoi on parle ? Qu’elles viennent travailler avec moi 50 heures semaine, après on en reparle !  plutôt que de nous demander après 15 ou 20 ans d’expérience de prouver par un passeport ONE que notre travail a de la valeur!», renchérit-elle.

Je ne participerai pas à la fausse générosité et bienveillance de l’ONE sous ces conditions, je préfère les laisser dans la panade

Et si le recensement des volontés de quitter le métier dans le secteur subventionné s’avérait réel, ce serait une sacrée perte pour le secteur qui propose un service indispensable à la vie des familles et des jeunes parents.

« L’ONE s’en fiche, on disparaitra et ils proposeront 4 000 places et ça sauvera tout le monde, c’est en tout cas ce que l’ONE pense, elle se moque bien de notre métier, qui, je le rappelle, est le même pour toutes.  L’ONE dévalorise notre diplôme, notre métier. C’est insoutenable. Nous aussi, on a mérité notre place et on rend de bons services de qualité et depuis longtemps même si on ne jouit pas toutes du CESS; mais on a pour nous l’expérience, les formations et la passion font le reste ; pour l’ONE, ça ne vaut rien. Oui, je pense à quitter le métier, je ne participerai pas à la fausse générosité et bienveillance de l’ONE sous ces conditions, je préfère les laisser dans la panade», précise encore Stéphanie Nollomont.

Que dire aux parents en attente?

Le manque de place pose déjà un souci et cela ne semble pas fini. Il suffit de contacter aussi une responsable de crèche subventionnée de la région bruxelloise pour le comprendre. On n’a plus de place avant deux ans mais on reçoit des coups de fil tous les jours de parents en quête de place pour un ou deux enfants trois ou quatre jours semaines, ça fait mal au cœur de dire non, mais on ne peut rien faire. La crèche peut accepter 40 enfants, la liste d’attente n’en finit pas.

Dès lors aussi face à la difficulté de trouver une place dans une crèche subsidiée, les parents n’ont souvent pas d’autre choix que de se tourner vers une crèche non subventionnée, souvent au coût plus élevé (aux alentours de 30 €/jour) mais que faire, si elles venaient elles aussi à manquer ?

La création de places supplémentaires dans les structures d’accueil pour la petite enfance promise par l’ONE et le politique apparait comme un leurre. « Evidemment, ils vont créer des places à terme, mais pendant ce temps-là, nous aurons disparu et des milliers de familles se retrouveront sur les carreaux pour un moment car ces nouvelles places ne verront pas le jour du jour au lendemain si en plus, l’ONE et le politique impose une formation de type bachelier absolument pas nécessaire pour offrir un service de qualité aux enfants et aux parents. Ils sont déjà nombreux en panique que pouvons-nous leur répondre? »

Sur Namur, Gembloux, Liège, Bruxelles, Braine-L’Alleud… partout, le son de cloche est le même auprès des maisons d’accueil non subventionnées, mais aussi le même auprès des deux secteurs : « On n’a pas de place avant longtemps ».


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