SOCIETE

Éthiopie : dans un rapport accablant, Amnesty dénonce un « nettoyage ethnique »


Depuis le mois de novembre 2020, l’Éthiopie est confrontée à une sanglante guerre civile. Le conflit armé dans le Tigré s’est poursuivi pendant toute l’année 2021 et s’est étendu aux régions voisines. Les violences interethniques ont fait au moins 1.500 morts dans les régions Oromia, Amhara, Benishangul-Gumuz, Afar et Somali. Les autorités ont également adopté une loi instaurant l’état d’urgence qui restreint fortement les droits humains. Viols, exécutions sommaires, arrestations arbitraires, destruction de biens et pillages, toutes les parties au conflit armé ont commis de graves atteintes aux droits des populations, dénonce Amnesty International qui parle de « nettoyage ethnique ».

Un an et demi après le début de la guerre du Tigré, Amnesty International publie, ce mercredi 6 avril, un rapport édifiant. Etabli sur plus de 400 témoignages, celui-ci révèle de nombreuses atteintes aux droits humains, dont des exécutions extrajudiciaires, des violences sexuelles à l’égard de femmes et de filles, des millions de personnes déplacées et des millions de personnes ont été privées d’aide humanitaire dans le Tigré. La police a également procédé à des arrestations et des détentions arbitraires dans le contexte de l’état d’urgence. Le taux de vaccination contre le COVID-19 demeure  faible.

Quelle est la raison de ce conflit ?

Cette sanglante guerre civile est l’une des plus grandes catastrophes humanitaires de ces dernières années. La guerre du Tigré, région située dans le nord de l’Éthiopie, a démarré en novembre 2020. Le Premier ministre et prix Nobel de la paix 2019 Abiy Ahmed a envoyé l’armée fédérale déloger les autorités de la région, gouvernée alors par le Front de libération du Peuple du Tigré. Le TPLF, accusé d’avoir attaqué des bases militaires, conteste l’autorité du chef du gouvernement depuis des mois.

Les rebelles sont rapidement défaits, mais finalement, ils reconquièrent le Tigré puis, à l’automne 2021, arrivent à 300 km de la capitale, Addis-Abeba. C’est alors un grand revers pour l’armée éthiopienne. Au fil des mois, les combats s’étendent dans les régions voisines de l’Amhara et de l’Afar. Dans son rapport, Amnesty International rappelle que « la Zone ouest du Tigré est une zone administrative fertile (…). Les revendications territoriales sur la partie occidentale du Tigré sont sources d’importants conflits frontaliers et identitaires depuis 1992 ».

Selon le Bureau régional de l’OMS  pour l’Afrique, seulement 1,23 % de la population éthiopienne présentait un schéma vaccinal complet au 2 décembre

Plusieurs massacres perpétrés

 L’ONG n’évoque pas seulement des crimes de guerre, mais aussi des crimes contre l’humanité. Elles révèle « des bombardements aveugles de villes et des exécutions extrajudiciaires, forçant des dizaines de milliers de personnes à fuir au Soudan voisin et dans d’autres parties du Tigré », mais aussi « une campagne coordonnée de persécutions fondées sur l’origine ethnique ».
Chaque camp est pointé du doigt. Le 9 novembre 2020, soit neuf jours après le début du conflit, « des milices tigréennes et des habitant·e·s de la région ont aussi commis des crimes de guerre contre des Amharas (ndlr : alliés aux troupes fédérales) vivant sur place et des travailleurs migrants lors d’un massacre survenu dans la ville de Mai-Kadra ».

Des violences sexuelles ou fondées sur le genre

Les soldats combattant pour le gouvernement fédéral ont commis de nombreux viols sur des centaines de femmes et de filles dans le Tigré. Les difficultés d’accès et la rareté des signalements empêchent toutefois de connaître actuellement les chiffres réels de ces exactions. Parmi ces crimes figurait le viol en réunion de femmes et de filles, utilisé comme arme de guerre dans ce conflit. Ces agressions s’accompagnent de brutalités extrêmes, dont des coups, des menaces de mort et des insultes à caractère ethnique.
Les personnes ayant subi ces violences sexuelles dans la région Amhara et le Tigré se heurtent à de nombreuses difficultés. les services de soutien étant fortement limités et certains hôpitaux étant détruits, les victimes n’ont pas accès à l’aide médicale, psychosociale et économique dont elles ont besoin.

Privation d’aide humanitaire

Selon les Nations unies, après le retrait des forces éthiopiennes du Tigré, le gouvernement fédéral n’a autorisé l’acheminement que de 10 % de l’aide humanitaire destinée à la région, ce qui a entraîné une famine.
D’après les estimations de l’ONU, 400.000 personnes vivent dans des conditions assimilables à la famine et plus de cinq millions de personnes ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence. Faute de traitement contre le VIH/sida, les cancers et le diabète, et du fait de la famine, la santé de la population s’est dégradée de manière inquiétante. Un dernier convoi d’aide a été autorisé à entrer dans le Tigré le 25 novembre dernier, mais il ne transportait pas de médicaments.

En décembre, le ministère de la Santé a fait état de près de 400.000 cas confirmés de COVID-19 et de 6.531 décès liés au virus. Les rassemblements politiques, notamment en intérieur, se sont poursuivis. Le ministère a fait administrer près de cinq millions de doses de vaccin contre le COVID-19, fournies par des pays donateurs. Selon le Bureau régional de l’OMS pour l’Afrique, seulement 1,23 % de la population éthiopienne présentait un schéma vaccinal complet au 2 décembre.

Dans son rapport, Amnesty International réclame le désarmement de « toutes les milices qui commettent des exactions dans l’ouest du Tigré » et demande de « procéder à un contrôle au sein des Forces spéciales amharas et des forces fédérales éthiopiennes afin d’en écarter les éléments impliqués dans de graves atteintes aux droits humains ». Les forces fédérales éthiopiennes et les autorités amharas démentent quant à elles les accusations de nettoyage ethnique.

 

Source : Amnesty International