Le contrôleur aérien belge, Skeyes, en mauvaise posture face à la compagnie Ryanair
Le contrôleur aérien belge, Skeyes, pourrait bientôt ne plus échapper aux juridictions ordinaires belges. BELGA Suite à des grèves des contrôleurs aériens, la compagnie aérienne, Ryanair, a obtenu en mai 2019 une ordonnance obligeant l’organisme belge de contrôle aérien, Skeyes, à assurer ses missions de guidage du trafic aérien sous menace d’astreintes. Skeyes (ex-Belgocontrol) a contesté la compétence du Tribunal de l’Entreprise siégeant à Charleroi estimant qu’en tant qu’entreprise publique, elle échappe au contrôle des tribunaux ordinaires. Une question préjudicielle a été demandée à la Cour de Justice de l’Union Européenne, l’avocat général vient de rendre son avis. Il estime que Skeyes n’est pas au-dessus des lois. La Cour rendra bientôt son arrêt, on verra si elle suivra son avocat général ou pas. En tout cas, l’arrêt clarifiera la situation pour le futur.
À la suite d’une fermeture de l’espace aérien belge le 16 mai 2019, du fait de l’absence de nombreux contrôleurs aériens à leur poste, la compagnie aérienne low cost, Ryanair, qui opère en Belgique à partir des aéroports de Charleroi et de Bruxelles-National, a déposé une requête en extrême urgence devant le tribunal de l’entreprise du Hainaut, division de Charleroi, afin d’enjoindre à Skeyes d’assurer une opération normale du trafic aérien. Les magistrats ont accueilli favorablement la demande de la compagnie aérienne par une ordonnance du même jour, sous peine, pour Skeyes, d’une astreinte d’un montant de 250.000 euros pour chaque heure où l’espace aérien resterait fermé. Les effets de cette ordonnance étaient limités à la période du 16 au 24 mai 2019.
Étant donné que Ryanair a reçu ladite ordonnance le 16 mai 2019, à 15h38, heure à laquelle le trafic aérien était rouvert, et qu’aucune nouvelle perturbation n’a eu lieu jusqu’au 24 mai 2019, la décision cessé de produire ces effets juridiques sans que les astreintes aient été mises en œuvre.
Toutefois, Skeyes a introduit une demande en tierce opposition à l’ordonnance en soulevant l’incompétence du tribunal de l’entreprise pour juger de la requête de Ryanair. L’organisme de contrôle de l’espace aérien belge estime que la compagnie aérienne low cost n’a aucun droit subjectif lui permettant d’introduire une telle demande, car, soutient Skeyes, la régulation de l’espace aérien belge ressortirait de son seul pouvoir. Il assure également qu’en tant que société de droit public, elle ne pouvait pas être citée devant le tribunal de l’entreprise.
L’avis de l’avocat général
Selon Skeyes, le droit belge prévoit que les décisions administratives échappent, en principe, aux des tribunaux ordinaires. Elles ne peuvent qu’être contestées que devant le conseil d’État, lequel statue sur des recours en suspension ou en annulation. Face à la demande de Skeyes, le tribunal de l’entreprise du Hainaut a quand même décidé de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour connaître les limites éventuelles du pouvoir discrétionnaire qui aurait été accordé aux prestataires de services de trafic aérien par le règlement nº 550/2004. L’objectif est de savoir si ce dernier texte autorise les États membres à soustraire au contrôle des juridictions ordinaires nationaux, les manquements liés à l’obligation de fourniture de services par le prestataire de services de la circulation aérienne, ou les dispositions de ce règlement doivent-elles être interprétées dans le sens qu’elles obligent les États membres à organiser un recours efficace contre lesdits manquements en raison de la nature des services à fournir.
Le règlement européen no 550/2004, relatif à la fourniture de services de navigation aérienne dans le ciel unique européen, n’autorise pas à soustraire le prestataire du contrôle des juridictions nationales sur les manquements liés à l’obligation de fourniture de services.
C’est à cette question que l’avocat général, Athanasios Rantos, vient de répondre dans des conclusions datées du 13 janvier 2022. Pour lui, le règlement européen no 550/2004, relatif à la fourniture de services de navigation aérienne dans le ciel unique européen, et notamment son article 8, n’autorise pas à soustraire le prestataire du contrôle des juridictions nationales sur les manquements liés à l’obligation de fourniture de services. Par ailleurs, il rappelle que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne permet aux transporteurs aériens d’introduire un recours juridictionnel effectif pour faire cesser les manquements du prestataire à son obligation de fourniture de services de la navigation aérienne.
Il estime aussi que le règlement no 550/2004 n’exclut pas l’application, aux prestataires de services de navigation aérienne, des règles applicables aux entreprises publiques actives sur un marché de biens et de services, telles que celles interdisant les entraves à la liberté d’entreprendre et de prestation de services.
Il revient maintenant à la Cour de se prononcer sur l’avis de l’avocat général, puis de transmettre son arrêt au tribunal de l’entreprise du Hainaut. Mais tout laisse à penser qu’elle s’alignera sur les conclusions de Athanasios Rantos en confirmant que Skeyes ne peut se soustraire au droit, ni aux juridictions et tribunaux. Cet arrêt viendra clarifier la situation pour le futur sur le fait que Skeyes ne bénéficie d’aucune impunité et ne peut se retrancher derrière son statut d’entreprise publique pour s’arroger des prérogatives d’Etat pour échapper à ses responsabilités et autres condamnations.
Charles Van den Eynde
