Amnesty International's Philippe Hensmans poses for the photographer after a press conference of human rights organization Amnesty International in Brussels Thursday 22 February 2018. BELGA PHOTO ERIC LALMAND
Directeur général de la section belge francophone d’Amnesty International, Philippe Hensmans, rappelle qu’il faut réserver le même accueil à tous les réfugiés fuyant la guerre en Ukraine. Il détaille le travail important fourni par l’organisation de défense des droits humains et souligne qu’à côté de l’Ukraine, d’autres pays sont des champs de guerre dans le monde, notamment en Afrique. Il redoute la découverte des atrocités commises par les forces russes ailleurs en Ukraine qu’à Boutcha. Philippe Hensmans indique que la Cour pénale internationale (CPI) a créé une plateforme pour recueillir les plaintes des avocats. « Il faut que les Russes puissent également demander l’asile », dit-il.
Le 24 février 2022, le président russe, Vladimir Poutine, déclenche en Ukraine, ce qu’il nomme une opération militaire spéciale. Sous-entendu : l’invasion de l’Ukraine. Un mois et demi plus tard, force est de constater que cette opération, annoncée au départ comme limitée à quelques jours, s’enlise. Après de multiples incursions militaires les menant jusqu’aux abords de la capitale ukrainienne, Kiev, la Russie a dû faire face à l’incroyable résistance de l’armée ukrainienne, au soulèvement d’un peuple extraordinairement courageux, à un bombardement de sanctions internationales touchant son économie mais aussi à l’inattendue désorganisation de ses forces armées.
Le 25 mars, le ministère de la défense russe a annoncé que les troupes militaires seraient redirigées vers le Donbass.
Alors que les troupes russes venaient de quitter la région de Kiev, des images insoutenables sont parvenues au monde entier. Au nord-est de Kiev, la ville de Boutcha dévoile l’horreur. Plusieurs cadavres sont retrouvés sur le sol, des charniers sont découverts … Les habitants témoignent des atrocités commises par les forces russes. Ces images viennent s’ajouter aux multiples bombardements de cibles civiles comme des écoles, des hôpitaux. Les Russes sont également accusés d’empêcher la bonne conduite des couloirs humanitaires.
Retour sur cette guerre avec Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International.
L-Post : Tout d’abord, dans un conflit comme celui qui se déroule actuellement en Ukraine, quel est le rôle d’une organisation comme Amnesty International ? Disposez-vous d’équipes sur le terrain et dans l’affirmative, quels sont leurs rôles ?
Le premier rôle que l’on joue et qui a été visible, dès la première semaine du conflit, a été la production de rapports circonstanciés démontrant le recours à des armes dont l’usage relevait de crime de guerre. Grâce à la technique que nous avons développée, d’analyse des images satellites, de photos, vidéos, et de témoignages, on a pu corroborer les faits. Les Russes ont utilisé des missiles balistiques qui ont une imprécision d’un demi-kilomètre, inévitablement, cela peut causer beaucoup de dégâts. Et on continue bien entendu ce premier rôle, d’examiner les utilisations d’armes à sous-munitions,…
Le premier rôle que l’on joue et qui a été visible, dès la première semaine du conflit, a été la production de rapports circonstanciés démontrant le recours à des armes dont l’usage relevait de crime de guerre.
La deuxième fonction est de pointer ce qui relève de crimes de guerres ou de crimes d’humanité. Nous disposons d’équipes sur le terrain qui enquêtent, interrogent, vérifient les faits. Par ailleurs aussi, est examinée la manière dont sont traités les réfugiés à la frontière. Il serait grand temps que les autorités polonaises prennent ce problème à bras le corps. Pour le moment, tout est laissé aux bénévoles. Cela laisse bien entendu la porte ouverte à la traite des femmes et des enfants.
A propos de nos équipes, on a également pris soin d’évacuer les membres de la section ukrainienne du pays et permettre leur réinstallation. Amnesty a un fond spécial qui permet de les aider. C’est élargi à d’autres organisations de défense des droits humains dans le pays, où là nous avons un fonds d’aide internationale. Nous avons récolté 100.000 euros pour cette partie ainsi que 70.000 pour renforcer le travail des équipes sur le terrain.
Enfin, le troisième rôle est le soutien d’une équipe d’avocats qui travaille sur le terrain, en Moldavie et ailleurs, pour récolter des plaintes des réfugiés.
L-Post : Les témoignages recueillis, les plaintes collectées, peuvent-elles servir par exemple à la Cour Pénale Internationale ou à des procès de tribunaux nationaux ou ad hoc ?
Le procureur de la Cour pénale Internationale (CPI) a lancé un portail où les avocats peuvent déposer les plaintes. Un rapport d’Amnesty peut servir à décrire le contexte, et à fournir des informations pour le procureur. Ce qui lui sert réellement, ce sont les plaintes compilées par les avocats que nous soutenons.
Les rapports que nous sortons servent à plusieurs choses. Tout d’abord, à informer l’opinion publique. Ensuite, de servir au plaidoyer, c’est-à-dire de pouvoir rencontrer d’autres gouvernements, les instances internationales, le conseil des droits de l’Homme lorsque la Russie y était encore, pour pouvoir exercer des pressions sur cette dernière.
L-Post : La communauté internationale craint que ces violences à l’encontre des civils de Boutcha ne soient pas des actes isolés. La procureure générale d’Ukraine affirme qu’il existe pire que Boutcha. Il est question depuis hier de la ville de Borodianka, disposez-vous d’informations en ce sens ?
Au vu des témoignages compilés, il est clair qu’il ne s’agit pas d’un fait isolé. Une autre donnée, on peut le supposer, car rien ne le prouve à l’heure actuelle, est le recours aux combattants tchétchènes ou le recrutement de militaires syriens.
L-Post : Le Président Zelensky n’a pas hésité à utiliser le mot de « génocide » pour qualifier les images de Boutcha. L’Europe évoque quant à elle la nécessité d’enquêter, en ce sens, plusieurs pays ont ouvert des enquêtes pour crimes de guerre. Joe Biden, quant à lui, a désigné Vladimir Poutine comme étant un criminel de guerre, et a déclaré qu’un procès pour ces actes devrait être tenu. Croyez-vous à un génocide ? Approuvez-vous ces termes ?
Juridiquement, c’est quelque chose que Joe Biden ne peut pas dire. On peut le suspecter, mais cela revient à un Tribunal d’utiliser ces termes s’il s’agit bien d’un criminel de guerre. C’est pourquoi, nous parlons de faits qui relèvent de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité.
Il est vrai qu’en ce qui concerne le crime de génocide, qui est défini dans les statuts de la Cour Pénale Internationale et dans la convention des Nations Unies contre les crimes génocide, cela réclame une autre enquête. Cela sera plus difficile à démontrer, car il doit être question de groupe ethnique, ce qui est complexe en Ukraine. Une grande partie des Ukrainiens parlent Russe. Le président américain a probablement voulu utiliser des images fortes.
L-Post : Le régime de Poutine est connu pour ne pas être le plus tendre. En Syrie notamment, mais aussi en Tchétchénie, des faits similaires se sont produits. Amnesty avait à l’époque déjà pu rassembler certaines preuves en ce sens. Où en sont les procédures ?
Quasi nulle part. C’est un reproche que l’on peut faire à la communauté internationale. On a tout laissé passer.
Pour la Russie, il a fallu l’invasion de la Crimée pour que des sanctions soient prises à son encontre.
Il ne faut pas oublier que pour le moment d’autres atrocités se déroulent dans des pays africains. On peut penser à l’Ethiopie, où il y a des faits tout aussi graves, des viols utilisés comme armes. Je peux comprendre leur abstention au moment des votes aux Nations Unies. Ils peuvent légitiment se demander : Et nous ?
Je peux comprendre l’abstention des pays africains au moment des votes aux Nations Unies. Ils peuvent légitiment se demander : Et nous ?
L-Post : La société militaire privée russe Wagner (proche du Kremlin) serait aussi impliquée dans des crimes en Afrique centrale. Pensez-vous qu’elle puisse également être tenue responsable de crimes de guerre en Ukraine ? Disposez-vous d’informations à ce sujet ?
Pas spécifiquement. Le travail fait par les Hakers n’a pas été suivi par Amnesty. On ne peut pas le valider ou l’invalider, ni même déterminer qui était présent ou pas.
Cela dit, on sait qu’il s’agit de troupes d’une violence sans limite.
En ce qui concerne leur responsabilité, oui bien entendu, à partir du moment où les faits sont commis sous les ordres d’officiels russes. Et même si la responsabilité russe n’était pas apportée, cela demeure des faits relevant de crimes contre l’humanité.
L-Post : On sait que les enquêtes prennent énormément de temps, tout comme l’ouverture d’un procès. Moscou semble intouchable. N’est-ce pas là la limite du droit international ou croyez-vous réellement en la possibilité de voir un jour Vladimir Poutine tout comme les exacteurs amenés devant un tribunal ?
La justice a un timing différent de celui de la guerre et de l’immédiateté. Si cette guerre persiste, je pense que l’intérêt pour celle-ci pourrait être banalisé ou moindre. C’est la force de la justice de sortir de l’immédiateté afin de pouvoir prendre en compte tout l’environnement, et assurer un procès juste et équitable. Même Slovodan Milosevic a été traduit en justice, ce que personne n’imaginait.
L’autre élément qu’il est important de retenir c’est que malheureusement, il n’existe pas de police judiciaire internationale. Si demain, il devait y avoir un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine, en théorie il ne pourrait pas circuler dans ces pays qui ont ratifié le statut de Rome.
Dès les premiers jours de l’invasion russe, on a pu établir le recours aux armes comme les missiles balistiques en partie grâce aux nouvelles technologies.
Cependant, sans cette police judiciaire internationale, c’est plus flou, on l’a vu avec Omar el-Béchir, qui était président du Soudan et à l’encontre duquel deux mandats d’arrêts internationaux avaient été diffusés. Malgré ces 2 mandats d’arrêts il a circulé sans être inquiété en Afrique dans les pays qui avaient ratifié le statut de Rome (Comme le Tchad ou l’Afrique du Sud).
L-Post : Aujourd’hui, des journalistes ukrainiens sont parvenus à remonter la piste des coupables de ces atrocités à Bouchta. Ils appartiendraient à la 64e brigade de fusiliers motorisés de l’armée de terre russe, basée à Kniazé-Volkonskoïé (près de la frontière chinoise). Le monde a changé, contrairement aux grands crimes de guerre passés, les satellites, internet, les téléphones peuvent faciliter les recherches Pensez-vous que ces nouvelles technologies puissent servir à la justice ?
Oui définitivement. Un exemple concret. Au soudan les milices du Darfour ont commis des crimes abominables. En pratique, on ne pouvait pas rentrer là-bas. On a donc rassemblé les technologies, les photos satellites avant-après. Cela a donné des milliers de photos. Des centaines de bénévoles ont examiné les photos. S’ils apercevaient un changement, la photo était transmise à des experts qui pouvaient prouver que le village entier avait été rasé par les milices.
Dès les premiers jours de l’invasion russe, on a pu établir le recours aux armes comme les missiles balistiques en partie grâce aux nouvelles technologies. Nous disposons d’une équipe spécialisée dans l’analyse des photos ou des vidéos pour en vérifier la véracité.
L-Post : Le visage de cet officier circule sur tous les réseaux et médias d’informations dans le monde entier. Craignez-vous les actes de vengeance ou les chasses à l’homme en dehors de toute garantie juridique ?
Oui effectivement c’est le risque. Cependant, cela existait déjà avant sous une autre forme. Au Congo, Thomas Lubanga était bien identifié comme le chef de guerre qui utilisait les enfants soldats. Mais c’est un risque réel en effet.
L-Post : Revenons-en en Belgique. L’élan de solidarité en Belgique comme en Europe fut incroyable. Comprenez-vous la différence de réaction du peuple belge et européen face à la situation ukrainienne par rapport aux flux migratoires d’Afrique du Nord ou de Syrie ?
Je pense qu’il ne faut pas confondre le peuple belge et le secrétaire d’Etat à l’asile et à l’immigration. Depuis 2015, il existe une plateforme de soutien aux réfugiés qui couvre toute la Wallonie, avec 40.000 personnes qui se sont mobilisées à un moment pour accueillir les migrants. Les secrétaires d’Etat voulaient avoir recours aux visites domiciliaires.
Contrairement à ce que l’on pense, le nombre de migrants réfugiés en Belgique a diminué depuis l’an 2000.
C’est la façon dont on le qualifie qui est différent. Ce ne sont pas les Belges qui ont changé, c’est tout simplement le secrétaire d’Etat, car il n’était pas capable d’offrir une réponse adéquate à l’arrivée des personnes. Cela fait une dizaine d’années que l’on réduit les places d’accueil en Belgique.
Contrairement à ce que l’on pense, le nombre de migrants réfugiés en Belgique a diminué depuis l’an 2000. On diminue les places d’accueil et le nombre de fonctionnaires ; et cela créé une crise migratoire.
L-Post : Selon vous, y-a-t-il une discrimination envers les autres réfugiés ? Ces derniers évènements vont-ils susciter un changement dans la politique d’asile ?
Discrimination oui, on l’a vu notamment à l’égard des personnes d’origine étrangère qui résidaient en Ukraine, elles ont demandé la protection temporaire et elles sont soumises à un traitement différent.
Encore une fois, ici il ne s’agit pas de dire qu’il faut accueillir tout le monde. C’est toute l’ambiguïté avec laquelle jouent souvent les différents secrétaires d’Etat successifs.
Mais il faut veiller à la dignité dans l’accueil des gens. Il n’est pas normal qu’un demandeur à l’asile doive attendre sur le trottoir. Il faut pouvoir lui assurer une dignité jusqu’à examen de ladite demande.
L-Post : Enfin, dernière question, partons en Russie. Amnesty International se préoccupe-t-il avec autant d’attention du sort des opposants en Russie et manifestants ?
Oui tout à fait. Une campagne sera prochainement lancée, avec comme idée principale : disons tout haut ce que les Russes ne peuvent pas dire. Notre premier souci a été également de protéger notre équipe établie à Moscou. Travailler là-bas devient de plus en plus dangereux. On a dénoncé les lois passées en Russie ces dernières semaines.
Il faut que les Russes puissent également demander l’asile.
Merci !
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