Présidentielle : malgré la dédiabolisation, Marine Le Pen reste d’extrême droite
bePress Photo Agency / BOURGUET Malgré un discours devenu plus lisse et focalisé sur la défense du pouvoir d’achat, la candidate du Rassemblement national qualifiée pour le second tour de la présidentielle, Marine Le Pen n’a pas fondamentalement changé. Journaliste, essayiste et réalisatrice, Caroline Fourest estime qu’elle est toujours d’extrême droite. Les syndicats en sont aussi convaincus. Laurent Berger (secrétaire général de la CFDT) et Philippe Martinez (secrétaire général de la CGT) affirment : « Le RN n’a pas changé, tout son programme est centré sur le rejet de l’autre et le repli sur soi » et aussi : « Son projet revient sur des droits des femmes gagnés par les syndicats ».
Il y eut des images. Volées ou posées. Dansant, toute recouverte de fleurs. Se promenant dans une fête foraine. Ecarquillant tout grands les yeux devant des illuminations de Noël. Vapotant devant une poignée de journalistes et quelques salariés de son rassemblement qu’on dit national… Il y eut aussi des mots. Polis, policés dès l’été 2021 sur le pouvoir d’achat, principal sujet de préoccupation des Français alors que se profilait, à l’horizon avril 2022, l’élection présidentielle. On la vit aussi femme épanouie de 53 ans, aimable, souriante, dans son appartement avec sa colocataire ou encore grande amie des petits chats.
Partout, on entendait et on lisait : la nouvelle Marie Le Pen est arrivée. Ses partisans du Rassemblement national (RN, ex-Front National, parti fondé en 1972 par son père Jean-Marie Le Pen et quelques nostalgiques de l’Algérie française, voir de l’Allemagne nazie) applaudissaient cette mue, alors que la « fille de… » se lançait dans sa troisième campagne pour la présidentielle ces 10 et 24 avril 2022, après ses échecs en 2012 (3ème au premier tour avec 17,90% des voix) et en 2017 (battue avec 33,90% des voix au second tour par Emmanuel Macron). Ce 10 avril dernier à l’issue du premier tour, elle a fini en deuxième position avec 23,15%, mieux que ses 21,30% du premier tour, cinq ans auparavant, et ainsi, elle rejoue, ce 24 avril, le match contre le président sortant…
Zemmour et Le Pen, une stratégie qui fonctionne
Nombre d’observateurs ont décodé le résultat de la candidate du Rassemblement national qui a promis, ce 16 avril lors d’un déplacement à Saint-Rémy-d’Avre (Eure-et-Loir), une commune de 4 000 habitants, de « présider en bonne mère de famille » si elle est élue. Ces observateurs y ont trouvé plusieurs explications. Entre autres, l’entreprise de « dédiabolisation » en gommant nombre d’affirmations, de thèses et de théories au temps du père fondateur. Et aussi, la stature de victime avec de nombreuses défections de proches (sa nièce Marion Maréchal, Nicolas Bay ou encore Gilbert Collard) passés chez son « meilleur ennemi », Eric Zemmour. Dans cette partition de la droite de la droite, les rôles étaient bien définis : à Zemmour et son parti Reconquête ! le rôle du méchant, du disruptif, à Le Pen, celui de la douce et fréquentable… La stratégie a fonctionné. Le tour de magie est réussi.
Les syndicats chargent la candidate Le Pen
Avant même le premier tour de ce scrutin présidentiel 2022, le président-candidat Emmanuel Macron avait, dans un long entretien à un quotidien parisien, lancé : « Marine Le Pen vous ment ». Et de développer, sur le thème « non, elle n’a pas changé ». Ainsi, ces jours-ci et avant le débat d’entre-deux-tours de ce 20 avril, la question est là, lancinante : Marine Le Pen est-elle encore d’extrême droite ? Grâce à Zemmour, l’image de la candidate du RN s’est banalisée, elle fait aujourd’hui partie pleine et entière du PPF (Paysage politique français). Une candidature Le Pen ou RN n’est plus un repoussoir, surtout quand elle n’hésite pas à glisser quelques mesures de gauche dans son programme et parler ainsi « dans l’intérêt du peuple »…
Le RN n’a pas changé, tout son programme est centré sur le rejet de l’autre et le repli sur soi.
Et Emmanuel Macron, de répéter : « Marine Le Pen vous ment ». De leur côté, dans une tribune écrite à quatre mains publiée ce 17 avril, les syndicalistes Laurent Berger (secrétaire général de la CFDT) et Philippe Martinez (secrétaire général de la CGT) affirment : « Le RN n’a pas changé, tout son programme est centré sur le rejet de l’autre et le repli sur soi » et aussi : « Son projet revient sur des droits des femmes gagnés par les syndicats ». Sous ses apparences de personnalité politique hautement fréquentable, souriante et tout et tout, dans cette « foire aux crédules » comme le suggère un hebdo parisien, une plongée dans l’univers RN apporte son lot de réponses à la question « Marine Le Pen est-elle encore d’extrême droite » ?
Journaliste, essayiste et réalisatrice, Caroline Fourest étudie, depuis près d’une quinzaine d’années, le monde de la droite de la droite française. Dans le passé, elle a eu affaire avec Marine Le Pen qui l’a emmenée devant un tribunal, parce qu’elle avait un peu trop enquêté sur l’extrême droite française, qu’on appelle aussi « fachosphère ». Récemment, Fourest a répondu à la question : oui, malgré son apparat hautement fréquentable et un premier cercle (Jordan Bardella, président par intérim du RN ; Philippe Olivier, beau-frère de Marine Le Pen ; David Rachline, maire de Fréjus ; Laurent Jacobelli, Julien Odoul, Jean-Lin Lacapelle,…) présentable, la candidate du RN est toujours d’extrême droite, elle qui revendique l’héritage : « Si je suis élue, oui, Jean-Marie Le Pen viendra à l’Elysée »…
Marine Le Pen et ses amis du groupe nazi, GUD
Les compagnons de l’ombre y viendraient-ils, aussi ? Au premier rang desquels on trouve Frédéric Chatillon, 54 ans. Dans les milieux bien informés sur l’extrême droite, pour ne pas dire la droite extrême, on explique : « Marine Le Pen veut à tout prix cacher Chatillon. Ils se sont connus quand ils faisaient leurs études de droit à la fac d’Assas-Paris. Ces dernières années, il est mouillé dans les affaires du financement du parti ».
Etudiant, il était un des responsables du GUD (Groupe union défense) surnommé les « Waffen Assas », groupe réputé pour son art de manier la barre de fer quand il s’agissait de cogner les gauchistes, et financé dès 1994 par la Syrie de la famille Assad. Père de famille, une de ses filles a pour parrain Jean-Marie Le Pen… Grand fan de Léon Degrelle, le Waffen SS à qui il a rendu visite en Espagne en 1992, Chatillon est également un proche des dirigeants de la Ligue du Nord et de l’extrême droite fasciste italiennes et d’Alain Soral, leader du groupe Egalité & Réconciliation, multi-condamné pour antisémitisme, négationnisme, conspirationnisme, sexisme ou encore homophobie… Pas loin, dans ce cercle de l’ombre, on trouve également Dieudonné, lui qui fut humoriste, lui le chantre de « Shoah nanas »…
Un temps, Chatillon a été chef d’entreprise. Il a dirigé Riwal, une société au nom breton qui « prépare et imprime tous les kits de campagne du RN », rappelle un observateurs des choses de l’extrême droite française. Et Marine Le Pen y est allée de ses éloges : « C’est un très bon fournisseur, très compétent ».
Elue à la présidence de la République, Marine Le Pen mettrait en place le rapprochement avec la Russie de Vladimir Poutine et renouerait des relations diplomatiques avec la Syrie de Bachar Al-Assad.
Rattrapé par la justice (trente mois d’emprisonnement dont dix ferme, 250.000 euros d’amende pour « escroquerie » et « abus sociaux »), il a passé la main à la tête de Riwal à son fidèle associé, Axel Loustau, 51 ans, un ancien du GUD, conseiller régional d’Ile-de-France, homme-clé du financement du Front National (devenu RN), dirigeant d’une société de sécurité (Vendôme) et… ami intime Marine Le Pen, dont le livre de chevet demeure Le Camp des saints de Jean Raspail (1925- 2020), un roman publié en 1973, qui décrit une submersion de la civilisation occidentale (et donc la France) par une immigration massive venue du tiers monde.
Marine Le Pen et l’art de la dissimulation
On écoute à nouveau Caroline Fourest : « On peut porter des idées d’extrême droite, on peut représenter un parti d’extrême droite et aimer les chats et aimer la fête… Et il est normal que quelqu’un qui porte un programme un peu radical n’ait pas envie d’annoncer la couleur… » Surtout quand il s’agit d’un programme porté par une candidate qui ne cache pas sa sympathie pour les très droitiers hongrois Victor Orban et américain Donald Trump, qui a contracté un prêt de 9,6 millions d’euros pour la campagne présidentielle 2022 auprès d’une banque hongroise (filiale d’une des principales banques russes) et qui, élue à la présidence de la République, mettrait en place le rapprochement avec la Russie de Vladimir Poutine et renouerait des relations diplomatiques avec la Syrie de Bachar Al-Assad. Qui proposerait un référendum remettant en cause l’abolition de la peine de mort ou encore le droit à l’avortement pour les femmes…
Dans le camp de son adversaire Emmanuel Macron, on est persuadé que, durant le débat d’entre-deux-tours ce mercredi 20 avril, le masque va tomber, que Marine Le Pen ne pourra pas demeurer plus longtemps maîtresse dans l’art de la dissimulation. Ne dit-on pas : chassez le naturel, il revient au galop ?
Serge BRESSAN (à Paris)
