Escalade dans le conflit Russo-ukrainien : le Kremlin coupe le gaz à la Pologne et à la Bulgarie
C’est un claquement qui retentit comme un coup de tonnerre dans l’Union européenne. La Russie coupe ses livraisons de gaz à la Pologne et à la Bulgarie, deux pays membres de l’UE et de l’OTAN à partir de ce mercredi 27 avril. Alors que les combats entrent dans leur troisième mois, sans que la Russie ait capturé une grande ville ukrainienne, c’est une nouvelle étape dans le conflit qui accentue le fossé entre l’Occident et la Russie. Moscou fait peser le spectre d’un black-out total. C’est « un chantage à l’énergie dans le but de briser ses alliés », a déclaré Volodymyr Zelensky. On fait le point.
Une autonomie polonaise assurée
Des données des opérateurs des réseaux gaziers de l’Union européenne ont montré dans la journée des flux réduits via le gazoduc Yamal reliant la Biélorussie à la Pologne. La décision a été instantanément dénoncée par Varsovie dans un communiqué tout en indiquant toutefois disposer de suffisamment de réserves.
« L’alimentation énergétique de la Pologne est assurée. Depuis le premier jour de la guerre, nous avons affirmé que nous étions prêts à une indépendance totale vis-à-vis des matières premières russes (…) Il n’y aura pas de pénurie de gaz dans les foyers polonais », a écrit sur Twitter Anna Moskwa, la ministre polonaise du climat à Varsovie, ajoutant qu’il n’était pas nécessaire de puiser dans les réserves de gaz actuellement remplie à 76%.
La Pologne a également indiqué qu’elle pouvait s’approvisionner en gaz via deux liaisons avec l’Allemagne, dont un flux inversé sur le gazoduc de Yamal, une liaison avec la Lituanie d’une capacité annuelle de 2,5 milliards de m3 qui sera ouverte le 1er mai, et via un interconnecteur avec la République tchèque pour un maximum de 1,5 milliard de m3. Une liaison avec la Slovaquie, qui sera ouverte dans le courant de l’année, permettrait d’acheminer 5 à 6 milliards de m3 supplémentaires.
En outre, PGNiG peut importer jusqu’à 6 milliards de m3 par an via le terminal GNL de Swinoujscie, sur la mer Baltique, et produit plus de 3 milliards de m3 de gaz par an localement en Pologne. En octobre, un gazoduc permettant de faire circuler jusqu’à 10 milliards de m3 de gaz par an entre la Pologne et la Norvège sera ouvert.
Sanctions et demandes d’indemnités
Gazprom a également fait savoir dans la journée de mardi qu’il fallait que la Pologne commence dans l’immédiat à respecter le nouveau mode de paiement, soit en roubles. Le 31 mars, le président russe Vladimir Poutine a signé un décret stipulant que « les pays inamicaux » devraient payer le gaz russe en roubles dès le lendemain. Le G7 a rapidement refusé de se plier au diktat de Moscou, affirmant que les pays pouvaient continuer à payer en euros ou en dollars. Alors que le contrat avec la Russie doit initialement arriver à terme à la fin de l’année, PGNiG a donc déclaré ne pas se plier aux demandes russes concernant ces modalités de paiement.
Dans son communiqué, la compagnie polonaise a aussi dénoncé la décision de rupture de l’approvisionnement par Gazprom comme étant une violation de contrat et a fait savoir qu’elle entendait prendre des mesures pour rétablir ces livraisons de gaz. PGNiG entend aussi demander des indemnités compensatoires.
Plus tôt dans la journée, Varsovie a publié une liste de 50 oligarques et compagnies russes, dont Gazprom, visées par des sanctions permettant de geler leurs avoirs en vertu d’une loi adoptée ce mois-ci. Il s’agit d’une mesure distincte des sanctions prises en coordination avec les autres pays membres de l’Union européenne.
Une dépendance bulgare à 90% du gaz russe
La Pologne fait partie de ces pays européens qui cherchent à obtenir les sanctions les plus sévères contre la Russie pour avoir envahi son voisin. À l’inverse, la Bulgarie est l’un des deux seuls pays de l’UE, avec la Hongrie, à ne pas avoir envoyé d’armes en Ukraine.
Et pourtant, la compagnie Bulgargas a également reçu une notification que « les livraisons de Gazprom seront suspendues à partir du 27 avril 2022 », a également affirmé un peu plus tard dans la journée le ministère bulgare de l’Economie, alors que ce pays des Balkans est dépendant à plus de 90% du gaz russe. « Des actions pour trouver des arrangements alternatifs pour la fourniture de gaz naturel et faire face à la situation ont été entreprises », a tenu à préciser d’emblée le gouvernement bulgare, assurant « ne prévoir à l’heure actuelle aucune mesure de restriction de la consommation ».
La Bulgarie a déjà entamé des pourparlers pour importer du gaz naturel liquéfié via la Turquie et la Grèce voisines.
Le pays compte sur 3 milliards de mètres cubes de gaz russe par an et n’a importé que des quantités limitées de gaz azéri, en raison de l’absence d’un véritable interconnecteur avec la Grèce. Un interconnecteur est en construction depuis des années, mais des retards constants dans sa construction ont empêché la Bulgarie d’importer les quantités de gaz azéri prévue au contrat.
La déconnexion de la Bulgarie semble toutefois plus difficile pour Gazprom, car le pays reçoit son gaz via le gazoduc TurkStream, appelé aussi « Balkan Stream ». TurkStream achemine le gaz russe à travers la mer Noire vers la Turquie, puis vers la Bulgarie et vers les pays amis de la Russie que sont la Serbie et la Hongrie.
Le spectre du black-out total
Comme annoncé, Vladimir Poutine brandit donc à tous les pays occidentaux le spectre d’une suspension de l’approvisionnement. La Pologne a en effet une position anti-Russie et anti-Gazprom depuis un certain nombre d’années, ce qui n’est pas le cas de la Bulgarie. Voir la Bulgarie être également coupée est un signal fort en soi.
« L’objectif ultime des dirigeants russes n’est pas seulement de s’emparer du territoire de l’Ukraine, mais de démembrer tout le centre et l’est de l’Europe et de porter un coup global à la démocratie », a déclaré le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy mardi dans la soirée. Son chef de cabinet, Andriy Yermak, a quant à lui déclaré que « la Russie commençait le chantage au gaz de l’Europe pour essayer de briser l’unité de nos alliés ».
