Plusieurs oligarques gaziers russes décèdent : suicides ou meurtres maquillés ?
Sergey Protosenya, vice-président de Novatek, sa femme et sa fille C’est une étrange loi des séries. Depuis fin janvier, une vague de morts suspects semble toucher les oligarques russes. Six milliardaires jugés proches du Kremlin se seraient suicidés. À chaque fois, le scénario est le même : l’homme est retrouvé pendu. Près de lui une lettre d’explication, une arme blanche et, à quelques mètres, les corps d’une épouse et d’enfants lacérés de coups de couteaux. La presse d’opposition russe n’hésite pas à évoquer l’hypothèse de meurtres déguisés et s’interroge. Ils sont quasiment tous de hauts responsables de l’entreprise Gazprom, celle-là même qui a coupé l’approvisionnement en gaz de la Pologne et la Bulgarie ce mercredi 27 avril. Et au moins deux des cadres connaissaient bien les flux financiers de l’entreprise.
Des hauts responsables de Gazprom
Fin janvier de cette année, le chef du service de transport de Gazprom Invest, Leonid Shulman (60 ans) est retrouvé mort dans la salle de bain de son domicile, avec des blessures par arme blanche aux poignets. Les services de sécurité de Gazprom affirment alors qu’ils enquêtaient depuis l’automne 2021 sur des soupçons de « fraude présumée » de Leonid Shulman dans le cadre de la modernisation du parc automobile de la société et que « ce suicide serait lié au dossier ».
Le 25 février, Alexander Tyulyakov (61 ans) le directeur général adjoint du service financier de Gazprom, est retrouvé pendu dans le garage de son chalet, près de Saint-Pétersbourg. Un des enquêteurs descendus sur les lieux raconte alors à Novaïa Gazeta, principal journal d’opposition en Russie, que « la police scientifique était déjà au travail quand des gros bras dans trois jeeps sont arrivés. Ils ont dit qu’ils étaient le service de sécurité de Gazprom, ont bouclé la zone, et ils nous ont juste mis, ainsi que la plupart des officiers de police, devant la clôture de la maison ».
Un mois plus tôt, le 24 mars, le média russe Kommersant faisait état du décès du milliardaire de 41 ans Vasily Melnikov, retrouvé mort en compagnie de sa femme et de ses deux fils, dans leur appartement luxueux de Nijni Novgorov. Les enquêteurs, cités par le journal, affirment qu’il a été retrouvé mort dans sa salle de bain, une artère tranchée. Sa femme et leurs deux enfants de 4 et 10 ans sont quant à eux été lardés de coups de couteau.
L'oligarque Alexander Tyulyakov en 2003 – AFP Des liens avec Gazprombank
Le 18 avril, les corps sans vie de Vladimir Avaev (51 ans), de sa femme et de sa fille cadette (13 ans), sont retrouvés dans leur appartement de Moscou. Selon la version officielle, l’homme serait devenu jaloux que sa femme soit tombée enceinte de son chauffeur. Or, plusieurs personnes, qui ont été en contact avec l’ancien cadre peu avant sa mort, ont déclaré qu’il était de bonne humeur et que rien ne laissait présager le pire. C’est Anastasia Avaev, la fille aînée du couple, âgée de 22 ans, qui a découvert la scène macabre. Vladimir Avaev était l’ancien vice-président de Gazprombank, une banque privée russe contrôlée en totalité par l’entreprise Gazprom. Il coopérait aussi avec Rostech, une société d’État russe fondée fin 2007, à la tête d’un conglomérat actif dans le développement, la production et l’exportation de produits industriels de haute technicité destinés aux secteurs civils et militaires.
Des morts aussi en Espagne en au Royaume-Uni
Cette vague de suicides ne touche pas que des oligarques basés en Russie. Quatre jours après la décision de Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine, Mikhail Watford (66 ans), un magnat russe du pétrole et du gaz d’origine ukrainienne, est retrouvé pendu dans son garage, à son domicile du sud-ouest de Londres, en Grande-Bretagne. L’enquête est toujours en cours.
Le 22 avril, Sergey Protosenya (55 ans), vice-président d’un autre géant de l’énergie, Novatek, est retrouvé mort dans le jardin d’une villa en Catalogne, rapporte le site d’information espagnol El Punt Avui. Sa femme et sa fille gisent à ses côtés. « Sergey Protosenya s’est imposé comme une personne exceptionnelle et un merveilleux père de famille, un professionnel fort qui a apporté une contribution considérable à la formation et au développement de la société », a déclaré Novatek dans un communiqué. « Malheureusement, des spéculations ont émergé dans les médias, mais nous sommes convaincus qu’elles n’ont aucun rapport avec la réalité », poursuit le groupe. Les Mossos d’Esquadra, la police locale catalane, évoquent toutefois belle et bien deux pistes possibles. La première : redoutant de se trouver en situation de faillite, affaibli financièrement par les sanctions internationales, l’homme aurait tué sa famille à l’aide de la hache et du couteau retrouvés près de lui. La seconde : tous ont été assassinés et la scène disposée de sorte à faire croire à un suicide.
Sergey Protosenya, Vladislav Avaev et Mikhail Watford Plusieurs hypothèses
Ce sont des similitudes jugées trop grandes pour ne pas éveiller des soupçons. Si à chaque fois, le mode opératoire constaté par les enquêteurs laisse penser à un suicide ou un crime familial, toutes les victimes ont un point commun. Au-delà d’être de riches hommes d’affaires liés de près ou de loin au Kremlin, elles sont presque toutes des haut-placés de l’entreprise Gazprom, le géant russe de l’énergie très proche du pouvoir.
Face au contexte lié à la guerre en Ukraine, qui place sous pression les magnats russes et leur enjoint de réaffirmer ou non leur loyauté au président russe, Vladimir Poutine, face aux nombreuses sanctions des pays occidentaux, cette vague de suicides pose question alors que des opérations d’élimination commanditées par les services de renseignements russes sont évoquées par les proches de ces oligarques.
Autre hypothèse : il est également possible que la « suppression » de ces hauts responsables soit destinée à « dissimuler » des traces de fraude dans l’entreprise publique dont elles auraient eu connaissance. Si Gazprom connaît d’importants remaniements de son personnel parmi ses cadres supérieurs dans les prochaines semaines, cette hypothèse pourrait se vérifier.
