OPINION

Marine Le Pen : on ne change pas un cheval qui perd

Après ce troisième échec présidentiel, que va faire Marine Le Pen. D.R.

Aux Etats-Unis, un politicien rend son tablier après un premier échec. Marine Le Pen en est à sa troisième tentative avortée… et entend continuer la lutte. Perseverare diabolicum ? En cumulant Jean-Marie et Marine, les Le Pen échouent pour la 8e fois au seuil de la présidence de la République. Créditée un court moment de 49% des voix dans certains sondages, Marine Le Pen termine péniblement à 41,46%. Certes, Emmanuel Macron a perdu des millions de voix par rapport à 2017 mais avec 58% des suffrages, il est un des présidents les mieux élus de la Cinquième république, n’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon.

Les sondages – auxquels il faut rendre hommage tant ils ont vu venir beaucoup de choses, notamment la remontée fulgurante de Jean-Luc Mélenchon et le crash de Valérie Pécresse – annonçaient Emmanuel Macron vainqueur depuis des mois, ce n’est une surprise pour personne. La guerre en Ukraine n’a fait que conforter encore davantage sa confortable avance sur tous les autres candidats.

Marine Le Pen échoue pour la troisième fois. Elle a pourtant bénéficié du « paratonnerre » Zemmour pendant tout le premier tour, le polémiste brillant mais trop clivant l’ayant rendue plus présidentiable. Madame Le Pen a été, cette fois, nettement moins diabolisée par la presse mainstream malgré l’hostilité récurrente de certaines stars du petit écran, comme Patrick Cohen ou Anne-Sophie Lapix. Il faut donc un moment donné se rendre à l’évidence : Marine Le Pen n’y arrive pas. Elle n’y arrivera jamais.

Pourquoi Marine Le Pen n’y arrive?

A l’évidence, parce qu’elle porte ce nom, Le Pen, qui pèse trop lourd. Elle est la fille d’un père qui, nonobstant une culture politique immense, est authentiquement d’extrême droite, dans la pure tradition de ce qu’on entend par ce concept en France : racisme, antisémitisme, outrance langagière, crânes rasés dans son service d’ordre et soupçon de violence politique voire de coup d’Etat s’il en était venu à prendre le pouvoir même démocratiquement.

D’où ce récurrent (et pour le moins agaçant) « no pasaran » qui frappe Marine en tant que « candidate d’extrême droite », à qui il faut « faire barrage » pour éviter le « chaos » qui s’en suivrait et l’inquiétude de l’Union européenne et des alliés américains.

Pourtant, elle n’est plus d’extrême droite depuis pas mal de temps, la preuve en est ses scores stratosphériques dans les DOM-TOM et notamment en Guadeloupe. Marine Le Pen n’est ni raciste ni antisémite. Elle a gommé toutes les aspérités de son programme politique et éjecté année après année les nazillons qui gravitaient dans l’entourage de son père.

Marine Le Pen n’est plus d’extrême droite depuis pas mal de temps, la preuve en est ses scores stratosphériques dans les DOM-TOM et notamment en Guadeloupe.

Même la notion de préférence nationale n’est plus d’extrême droite puisque non basée sur l’origine ethnique. Ainsi, en principe, les 10 millions de Français d’origine maghrébine auraient bénéficié de cette préférence nationale par rapport à des primo-arrivants d’Afrique ou d’ailleurs.

Dès lors, expliquer les échecs successifs de Marine parce qu’elle s’appelle Le Pen ne suffit pas…

Le débat d’entre deux tours entre elle et Emmanuel Macron apporte quelques éclairages rédhibitoires.

Ce débat est un combat de boxe, un « mano a mano » viril. Il l’a toujours été. Et ce type de schéma convient moins à Marine Le Pen – en tant que femme ? – qu’à son adversaire. Comme l’a twitté en direct Raphaël Enthoven, MLP est « merveilleusement mauvaise ».

Une future présidente ne devrait pas dire ça

Emmanuel Macron qui avait promis, selon Le Point, de la « décapsuler » lui a lancé lors de ce débat quelques uppercuts d’entrée qui l’ont durablement déstabilisée. La séquence sur la banque russe, proche du pouvoir russe, auprès de laquelle le Rassemblement national a emprunté est un cas d’école en rhétorique. La « thèse » de Macron ? La mansuétude relative de Marine Le Pen avec Vladimir Poutine s’expliquerait par le banquier russe du RN. Ce faisant, Emmanuel Macron utilise les techniques des complotistes : créer des liens de cause à effet sans rien démontrer.

Car, à ce que je sache, rembourser un emprunt à une banque russe (dont on attend par ailleurs qu’elle fasse défaut en raison des sanctions contre la Russie) ne fait pas de Marine Le Pen une marionnette de Poutine. Or, plutôt que de le questionner sur les millions d’euros disparus ou ses liens ambigus avec McKinsey, que répond-elle à son bourreau ? « Je suis une femme parfaitement libre ». Une incantation qui ne repose sur aucun élément factuel. « C’est parce qu’aucune banque française n’a voulu nous prêter de l’argent » (ce qui prouve la peur que suscite son parti auprès des banquiers, gages de paix économique). Et, conclusion délétère, mortifère de MLP : « Notre parti est très pauvre ». Une future présidente ne devrait pas dire cela.

Emmanuel Macron, champion du verbe

L’ensemble du débat est à l’avenant : Marine Le Pen refuse le combat avec le bretteur retors Emmanuel Macron qui, bien que piètre gestionnaire, gère à la perfection toutes les facettes de la communication : le verbal et le non-verbal (jusques et y compris les séquences où il est filmé écoutant son adversaire), l’éloquence, la rhétorique, les détails (chiffres) et le global (trame argumentaire), beauté du diable, charisme, œil d’aigle fondant sur sa proie.

Pendant la première heure du débat, le mépris affiché par Macron à l’encontre de sa rivale est stratosphérique et gênante. Même carrément machiste. Il y a chez Macron quelque chose du prof grondant une élève mal préparée (comme lorsque Sarkozy s’exclamant qu’il n’est pas l’élève de Strauss-Kahn et que ce dernier lui répond que s’il avait été son élève, il n’aurait pas réussi l’examen ou Mitterrand s’exclamant « Vous avez tout à fait raison Monsieur le Premier ministre » à Chirac qui lui rappelait qu’ils étaient tous deux candidats à égalité).

Emmanuel Macron gère à la perfection toutes les facettes de la communication : le verbal et le non-verbal, l’éloquence, la rhétorique, les détails et le global, etc.

En face de cet aigle à deux têtes, on a une bécasse avec une tête en forme de lune qui sourit un peu bêtement… Nulle en foot, elle ne voit jamais les ouvertures…

Un débat de ce type est un combat à mort auquel il faut se préparer sous forme de jeux de rôle avec un professeur de rhétorique qui joue le rôle d’Emmanuel Macron. Marine Le Pen s’est-elle résolue à ce type de préparation ? En tant qu’avocate, a-t-elle souvent plaidé devant un jury ? Probablement pas car elle rechigne à l’exercice.

Que va faire Marine Le Pen après ce troisième échec présidentiel ?

Certes, le débat d’entre deux tours est rarement décisif pour l’élection. Mais comment les Français auraient-ils pu voter pour quelqu’un qui se laisse ainsi humilier et refuse systématiquement le combat ? Marine Le Pen avait-elle intériorisé la défaite et décidé d’en rester à une « stature présidentielle » ? On peut cogner fort et conserver son calme, comme l’a prouvé à deux reprises François Mitterrand.

Même le très jeune Jordan Bardella se serait mieux comporté face à Macron. Sans parler bien sûr de Zemmour ou Mélenchon qui l’aurait éclaté façon puzzle. L’immense chance de Macron : avoir dû affronter à deux reprises Marine Le Pen sur le tatami. Trop facile.

Or après ce troisième échec, voici qu’on apprend qu’elle continue le combat. Qu’on la reverra pendant les semaines, les mois et peut-être les années qui viennent… Va-t-elle se représenter pour la quatrième fois en 2027 ? On en tremble.

Aux Etats-Unis, un candidat qui échoue, on ne le revoit généralement plus jamais dès le premier échec. En France, Mitterrand, les Le Pen ou Chirac s’y sont repris plusieurs fois… Jospin a laissé tomber dès le premier échec et Delors n’a même pas essayé…

Au Rassemblement national, qui se veut dans l’air du temps, ne serait-il pas temps de changer un cheval qui perd tout le temps ? L’erreur est humaine, persévérer dans l’erreur est diabolique.

Nicolas De Pape

Journaliste et essayiste