Le 10 mai 1933, plus de 20.000 livres partent en fumée dans les autodafés nazis
Opernplatz, à Berlin, une fin de soirée de mai : des groupes étudiants Nazis entreprennent de brûler les livres qu’ils revendiquent « non allemands ». Dans les jours qui suivent, ces bûchers littéraires ont lieu dans plus de 34 villes universitaires du pays. Les œuvres de grands écrivains juifs, libéraux ou de gauche finissent dans des feux de joie. Parmi les auteurs littéraires et scientifiques : Karl Marx, Kurt Tucholsky, Heinrich Mann, Sigmund Freud et Albert Einstein. Adolf Hitler est au pouvoir depuis moins de quatre mois. Les autodafés marquent la décapitation intellectuelle du pays et là où l’on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes.
« Antinationaux » et « non allemands »
En 1933, les autorités allemandes nazies s’efforcent d’aligner les organisations professionnelles et culturelles sur l’idéologie et la politique nazies (Gleichschaltung). Joseph Goebbels, ministre nazi de la Propagande et de l’Instruction publique, s’emploie à mettre en conformité les arts et la culture avec les buts du nazisme.
Les Juifs et les personnes considérées comme politiquement suspectes, ainsi que les artistes produisant ou créant des œuvres que les nazis qualifient de « dégénérées » sont exclus des organisations culturelles. Dans cette démarche de mise au pas de la communauté littéraire, le 6 avril 1933, le Bureau central de la Presse et de la Propagande de l’Association national-socialiste des étudiants allemands proclame une « action nationale contre l’esprit non allemand » qui atteindra son apogée avec une purge littéraire par le feu (Säuberung).
Pour « la pureté d’une culture »
Les associations d’étudiants nazies rédigent alors des listes noires recensant les œuvres de figures littéraires et politiques, telles que Bertold Brecht, Erich Maria Remarque et Ernest Hemingway, à jeter au feu. Dans un article publié le 8 mai 1933, ils résument ainsi leur combat : « Nous nous battons pour la pureté de notre culture ».
L’action est perçue comme le prolongement d’une journée de boycott des magasins juifs qui s’est tenue le 1er avril précédent. Le 10 mai 1933, vers 23 heures, Opernplatz, face à l’Université Humboldt, l’une des plus prestigieuses facultés allemandes, 20.000 livres représentant plus de 400 auteurs sont réduit en cendres.
Nombre des auteurs visés cette nuit-là ont déjà fui l’Allemagne, poussés vers l’exil après l’accession d’Adolf Hitler à la chancellerie, le 30 janvier 1933. Les autodafés de livres suscitèrent toutefois une incroyable vague de terreur et d’indignation parmi ceux qui s’étaient déjà installés à Paris, Vienne, Prague ou en Suisse. À partir de ce moment-là, plus personne ne se fait plus d’illusions quant à la suite à venir.

Copyright – des cyclistes contemplant la plaque commémorative sur le lieu où des milliers de livres de grands intellectuels allemands furent brûlés au soir du 10 mai 1933, à Berlin – AFP
À Berlin, une plaque incrustée dans le pavé de la Place Bebel rappelle ce sinistre événement qui en préfigurait de bien pires. Sa transparence permet de distinguer en sous-sol une bibliothèque aux rayonnages vides. Une oeuvre en forme de symbole de l’artiste israélien Micha Ullman. Le vers prémonitoire de l’écrivain Heinrich Heine interpelle les passants : « Là où l’on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes ».
