FRANCE/POLITIQUE

France : les défis qui attendent la Première ministre, Elisabeth Borne

Le Premier ministre sortant, Jean Castex (à gauche) et Elisabeth Borne (à droite), la nouvelle, lors de la passation de service. AFP

A peine nommée Première ministre par le Président de la République Emmanuel Macron ce 16 mai 2022 et déjà Elisabeth Borne est la cible de tirs appuyés. De la part de Jean-Luc Mélenchon, le « lider maximo » de la NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale, gauche radicale) qui parle de « maltraitance sociale et écologoque » ; de Marine Le Pen, cheffe du Rassemblement national (RN), qui évoque le « saccage social », ou encore de Fabien Roussel, candidat du Parti communiste (PCF) à l’élection présidentielle d’avril dernier, qui twitte : « Cette nouvelle Première ministre, c’est le borne out immédiat pour tous Français » tandis que L’Humanité, « le journal fondé par Jean Jaurès », dans son édition de ce 17 mai 2022, titre en « une » : « La casse sociale à Matignon ». Mais elle devra relever beaucoup de défis : juguler l’inflation, prendre des mesures en faveur de l’écologie et la transition énergétique, mener à bien la réforme des retraites, réussir la réforme des hôpitaux, etc.

Voilà qui fait résonner les mots de Jean Castex, Premier ministre pendant près de deux ans, accueillant ce lundi 16 mai Elisabeth Borne sur le perron de l’Hôtel Matignon : « Chère Elisabeth, ce poste de Premier Ministre est particulièrement exposé. Et c’est pour ça qu’il a été créé »… On comprend pourquoi Jean Castex a confié avoir été heureux et fier de diriger Matignon et le gouvernement, mais soulagé et léger de quitter la fonction. Avec humour, il a également indiqué à la nouvelle locataire des lieux que « Matignon est le siège de la chefferie du gouvernement »…

Construire dans le dialogue

Dans son discours lors de la passation de pouvoir avec Jean Castex, Elisabeth Borne a fait court. Cinq minutes chrono. Félicité son prédécesseur ; rappelé que « les politiques publiques doivent se bâtir dans le dialogue » ; glissé une pensée pour Edith Cresson, la première femme (en 1991-1992) et la seule jusqu’à ce 16 mai 2022, à avoir été Premier ministre ; suggéré aux « petites filles d’aller au bout de leurs rêves », insistant : « Rien ne doit empêcher le combat pour la place des femmes dans notre société »…

Ce discours à peine achevé, Jean Castex a salué le personnel dans la cour de Matignon puis, est parti à pied rejoindre sa voiture quelques dizaines de mètres plus loin dans la rue de Varenne, direction sa ville de Prades dans les Pyrénée-Orientales ; Elisabeth Borne, elle, montait quelques escaliers pour s’installer dans le bureau de la « chefferie ». Son bureau, dorénavant.

Rien ne doit empêcher le combat pour la place des femmes dans notre société.

Macron tient enfin sa promesse de nommer une femme à Matignon

Dès sa première candidature à l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron avait annoncé : « Pour le poste de Premier ministre, si je suis élu, à qualités et compétences égales, je nommerais une femme ». Les Premiers ministres de son premier quinquennat furent Edouard Philippe et Jean Castex… Ce fut pointé, ce lui fut reproché en mars dernier lors d’une émission télé par des lectrices d’un hebdo féminin- il fit alors la promesse : « à compétences égales, une femme ».

Il ne manqua pas de le répéter durant la campagne électorale. Elu le 24 avril, il se mit en quête de LA femme. Sur la liste, plusieurs noms, ceux de femmes de gauche : Marisol Touraine, Audrey Azoulay (anciennes ministres de François Hollande) et Véronique Bedague (ancienne collaboratrice de Manuel Valls), et de droite : Valérie Letard (vice-présidente du Sénat) et Catherine Vautrin (présidente du Grand Reims), toutes deux proches de Nicolas Sarkozy. Et aussi celui d’Elisabeth Borne, lequel circulait déjà pour succéder à Jean Castex bien avant la présidentielle d’avril dernier, assure une source bien informée. A 61 ans, pupille de la nation à 11 ans et polytechnicienne, proche du secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler, elle présente un CV à donner le tournis, avec de hautes fonctions tant dans le public que le privé- entre autres, elle a été la première femme préfète de région en 2013…

A compétences égales, une femme, avait donc promis Emmanuel Macron. Elisabeth Borne est dans la place. « La femme des défis », titre Les Echos, tandis qu’un autre quotidien parisien, L’Opinion, évoque « une femme pour temps agités ». Vite sera oublié l’événement, pour les femmes et la société française, que constitue la nomination d’Elisabeth Borne. Edith Cresson, Premier ministre (l’Académie française n’avait pas encore féminisé la fonction) de François Mitterrand, a prévenu : « Ce n’est pas le pays qui est machiste, c’est la classe politique », ce que confirmait un sondage assurant que 74% des Français souhaitaient une Première Ministre…

Le président Emmanuel Macron tient sa promesse de nomme une Première ministre à Matignon.

Deux super-ministères : planification écologique et planification territoriale

En quelque sorte, un non-événement quand on rappelle que Margaret Thatcher a été Premier ministre pendant onze ans, et Angela Merkel chancelière durant seize ans. Certains affirment que, en nommant Elisabeth Borne tenue pour « réformatrice techno venue de la gauche », Emmanuel Macron a joué « petit bras » et opté pour la continuité, lui que l’on tient capable de dynamiter toute situation à tout moment. Lors de son grand discours du 17 avril dernier à Marseille entre les deux tours de l’élection présidentielle, il a annoncé qu’il va aller encore plus loin. Il a alors défini les grands caps. Ecologie, santé, social, emploi, école…

Accusé de part et d’autre d’avoir « tué le job » de Premier ministre, Emmanuel Macron a listé les défis à relever durant ce deuxième quinquennat qui s’achèvera en avril 2027. La liste est longue à en donner le vertige. Et Elisabeth Borne ne va pas pouvoir déambuler dans les couloirs de Matignon, les dossiers sont là, urgents. Le premier qui doit passer devant les députés le mois prochain concerne le pouvoir d’achat. Certains observateurs ont lancé l’alerte, dont le gouverneur de la Banque de France et le président de la Cour des Comptes. L’un et l’autre ont conseillé : il faut mettre fin au « quoiqu’il en coûte » pratiqué pendant la pandémie « covidienne », et prévenu : face à l’inflation qui ne cesse de croître, il est impératif de prendre les mesures pour la juguler. L’autre défi, lancé par Emmanuel Macron, est tout aussi conséquent puisque le Président de la République a fermement annoncé que son deuxième quinquennat sera écologique. Ce qui implique que tous les secteurs de la société seront concernés. C’est la raison pour laquelle Elisabeth Borne, Première ministre, sera épaulée par deux super-ministres, l’un en charge de la planification écologique, l’autre de la planification territoriale.

Le Président de la République a fermement annoncé que son deuxième quinquennat sera écologique.

En plus de ces importantissimes dossiers, la Première Ministre va devoir aussi mener (du moins tenter de mener) à bien la réforme des retraites en en fixant l’âge à 64 ans, poursuivre la réforme du monde de l’hôpital (certes héroïque pendant la pandémie de la Covid-19, mais souffrant de problèmes abyssaux depuis de nombreuses années), mettre en place le plein emploi (ce qu’a promis Emmanuel Macron pour la fin de son deuxième quinquennat)…

Parité des genres pour une équipe d’une quinzaine de ministres

Dans l’immédiat, Elisabeth Borne doit constituer, sous la haute surveillance du Président de la République et du très influent secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler, son équipe ministérielle d’une quinzaine de membres en respectant l’obligatoire parité hommes-femmes et l’équilibre entre les forces et tendances politiques qui ont œuvré pour la réélection d’Emmanuel Macron.

La Première Ministre doit également insuffler la campagne électorale des prochaines législatives (12 et 19 juin) – elle-même se présente, pour la première fois, devant les électeurs dans la 6ème circonscription du Calvados – et (tenter d’)assurer au Président de la République une large majorité au Parlement. Ce n’est que si cetet dernière condition est rencontrée qu’Emmanuel Macron pourra mener sa politique sans être empêcher par les députés. Si elle échoue dans ce premier défi, jurisprudence Juppé 2007 oblige, elle devra démissionner.

Elisabeth Borne doit constituer son équipe ministérielle d’une quinzaine de membres en respectant l’obligatoire parité hommes-femmes sous la haute surveillance du Président de la République

Ce dont n’a jamais douté Jean-Luc Mélenchon : dès le soir de la victoire d’Emmanuel Macron le 24 avril dernier, il s’auto-proclamait Premier Ministre dès le 20 juin au matin. Ce qu’il a répété, ce 16 mai, avant même la nomination d’Elisabeth Borne : « Grande tension avant la nomination de mon prédécesseur. Sera-t-elle de droite ou bien de droite ? Personne ne veut le job. C’est un CDD de mission d’intérim ». Des proches de la Première Ministre et aussi certains des « partenaires » sociaux ou politiques, qui ont eu affaire à elle, glissent au « lider maximo » : « Elisabeth Borne peut être dure, très dure. Elle ne lâche jamais rien. Elle parvient toujours à ses fins »…

Serge Bressan (à Paris)

 

Les prédécesseurs d’Elisabeth Borne dans l’ordre de leur durée de séjour à Matignon

 

Nommée ce 16 mai 2022 par le Président de la République Emmanuel Macron, Elisabeth Borne est le 24ème Premier Ministre de la Vème République depuis le 8 janvier 1959. A ce jour, ayant occupé la fonction pendant 2.279 jours, Georges Pompidou (5 juillet 1911 – 2 avril 1974) reste le recordman. Le détail de la longévité au pouvoir des différents Premiers ministres.

 

-Georges Pompidou                        2 279 jours          (14 avril 1962- 10 juillet 1968)

-François Fillon                1 820                    (17 mai 2007- 10 mai 2012)

-Lionel Jospin                   1 799                    (2 juin 1997- 6 mai 2002)

-Raymond Barre               1 722                    (25 août 1976- 13 mai 1981)

-Jacques Chirac                1 603                    (27 mai 1974- 25 août 1976 puis 20 mars 1986-10 mai 1988)

-Michel Debré                   1 192                    (8 janvier 1959- 14 avril 1962)

-Pierre Mauroy                 1 153                    (21 mai 1981- 17 juillet 1984)

– Edouard Philippe           1145                     (15 mai 2017- 3 juillet 2020)

-Jean-Pierre Raffarin       1 121                    (6 mai 2002- 31 mai 2005)

-Jacques Chaban-Delmas  1 111                    (20 juin 1969- 5 juillet 1972)

-Michel Rocard                 1 100                    (10 mai 1988- 15 mai 1991)

-Manuel Valls                      981                    (31 mars 2014- 6 décembre 2016)

-Edouard Balladur               773                    (29 mars 1993- 11 mai 1995)

-Alain Juppé                         747                    (17 mai 1995- 2 juin 1997)

-Dominique de Villepin     712                    (2 juin 2005- 15 mai 2007)

-Pierre Messmer                  691                    (5 juillet 1972- 27 mai 1974)

-Jean-Marc Ayrault             685                    (15 mai 2012- 31 mars 2014)

-Jean Castex                         682                    (3 juillet 2020- 16 mai 2022)

-Laurent Fabius                   611                    (17 juillet 1984- 20 mars 1986)

-Pierre Bérégovoy               361                    (2 avril 1992- 29 mars 1993)

-Maurice Couve de Murville 345                (10 juillet 1968- 20 juin 1969)

-Edith Cresson                     323                    (15 mai 1991- 2 avril 1992)

-Bernard Cazeneuve           155                    (6 décembre 2016- 10 mai 2017)