Alors que le pays est aux prises avec sa pire crise financière depuis plus d’un siècle, des protestations contre la flambée des prix des denrées alimentaires de base se propagent d’une province à l’autre, à travers tout l’Iran. « Ils nous imposent la famine ! Khamenei est un meurtrier, son pouvoir est illégitime. Mort au dictateur Raïsi ! ». Face à l’explosion des prix des biens de consommation, des révoltes essaiment. Les villes iraniennes sont instables et dans un état de panique et avec très peu de moyens de communication avec la communauté internationale. La rhétorique de l’État en réponse à ces manifestations anti-régime révèle la crainte réelle de ce que l’on appelle déjà « la révolte pour le pain » en Iran. On fait le point avec Hamid Enayat, politologue et spécialiste de l’Iran.
Depuis le début du mois de mai, des centaines de manifestants sont dans les rues dans une vingtaine de villes du sud-ouest de l’Iran. Ils protestent contre la hausse subite des prix de certaines denrées alimentaires de base, qui peut aller jusqu’à 300% pour certains produits.
« Le 6 mai, des protestations ont commencé dans la province de Khouzistan (sud-ouest de l’Iran) contre la hausse des prix des denrées alimentaires telles que le pain, l’huile, les œufs et les pâtes, auxquelles la police et les forces anti-émeute ont répondu par la violence et des coups de feu », nous explique Hamid Enayat. « Comme il l’a déjà fait par le passé, le régime iranien a aussi restreint l’accès des utilisateurs à Internet pendant les manifestations ».
Depuis le 10 mai, un pas supplémentaire a été franchi. Le gouvernement d’Ebrahim Raïsi a augmenté les prix de quatre produits de base supplémentaires tels que le poulet, les œufs, l’huile de cuisson et les produits laitiers et a augmenté le prix du pétrole de plus de 400 % du jour au lendemain. « Les manifestations de rue se sont alors propagées dans au moins dix provinces. Le régime a tenté d’empêcher cette propagation en recourant à une nouvelle salve la violence, ce qui a conduit à certains endroits au meurtre de manifestants et à des arrestations massives ».
Malgré la limitation de l’accès au Net pour contrôler la diffusion de l’information, des vidéos circulent montrant des milliers de personnes manifester à Izeh, Dezful, Andimeshk ou Shahr-e-Kord. Des activistes locaux rapportent que la répression a fait de nombreux blessés et des morts mais les autorités n’ont communiqué aucun bilan.
Copyright : CNRI (Conseil National de la résistance iranienne)
Alors que les prix ont suivi une tendance à la hausse ces dernières années, ils se sont envolés encore plus après qu’Ebrahim Raisi ait aboli le taux de change préférentiel, en particulier pour la farine et le pain. « Six produits de base bénéficiaient du taux préférentiel, dont le blé, l’orge, le maïs, le soja, le pétrole brut et les oléagineux, ainsi que certains médicaments et dispositifs médicaux. Or, de nombreux économistes iraniens ont pourtant averti que la suppression du taux préférentiel déclencherait un choc monétaire » et ferait grimper les prix », nous précise Hamid Enayat.
Depuis la suppression du taux préférentiel, le blé est 100% plus élevé qu’il y a trois ans. Le prix de la farine est passé de 25.000 rials (0,55 euros) à près de 170.000 rials (3,73 euros) le kilo et le coût des médicaments a décuplé.
« Contrairement à ce que reproche la République islamique, les sanctions occidentales ne sont pas la cause de la situation. C’est le résultat d’années de politiques défectueuses et dévastatrices, de corruption endémique et de détournement de fonds. Le régime devait choisir : subventionner les besoins fondamentaux du peuple ou continuer à financer sa répression intérieure, son ingérence régionale, son programme de missiles et ses tentatives d’armement nucléaire. Il a choisi cette seconde option », poursuit Hamid Enayat.
Le gouvernement iranien gagnerait plus de 8 milliards de dollars dans les caisses de l’Etat en supprimant le taux préférentiel et en fixant un taux de change beaucoup plus élevé. « Le régime clérical au pouvoir en Iran a besoin de chaque centime pour alimenter sa machine belliciste et terroriste et en tirer parti dans ses pourparlers avec les puissances mondiales »
Les manifestations ont été rapidement politisées, ciblant l’intégrité du régime et celle de ses dirigeants dont le Guide suprême de la République islamique, l’ayatollah Ali Khamenei, et le président Ebrahim Raisi, avec des slogans tels que « à bas Khamenei, à bas le dictateur, nous ne voulons pas du pouvoir des mollahs, Khamenei est un meurtrier, son pouvoir est illégitime, mort à Raïsi, mort au dictateur, ni reddition ni humiliation, criez fort votre droit, ni Gaza ni le Liban, je sacrifie ma vie pour l’Iran »
L’Iran a connu diverses manifestations et au moins huit soulèvements depuis décembre 2017. En 2019, au moins 1500 personnes avaient été tuées lors du vaste mouvement de colère provoqué par une hausse subite du prix de l’essence. Mais en 2022, les contestations se sont sensiblement intensifiées.
« Depuis, le début de l’année iranienne, le 21 mars 2022, jusqu’à aujourd’hui, des faits marquants tels que l’incendie de la statue de Qassem Soleimani, icône de la politique iranienne, et l’infiltration des serveurs de la télévision iranienne, qui est un levier de la répression de Khamenei à travers le pays, sont les signe d’un soulèvement sans précédent. La société est sur un baril de poudre et à tout moment elle risque d’exploser », ponctue Hamid Enayat
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