Société

Le diabolique pasteur Pandy : itinéraire d’un tueur en série


Dans les années nonante, à Bruxelles, six membres de la famille du pasteur András Pándy disparaissent entre 1986 et 1989. Deux épouses et quatre enfants sont assassinés et dépecés dans une maison de Molenbeek. Le pasteur Andras Pandy (71) a toujours nié une quelconque implication dans ses meurtres, révélés par sa fille Agnès (39) en 1997. Sa mort, en 2013, à la prison de Bruges, à l’âge de 86 ans, clôt définitivement l’affaire sur une énigme. Dans « La cave de l’horreur du pasteur Pándy », sorti aux éditions La Voix, Yves Smague,  journaliste et ancien rédacteur en chef adjoint de La Voix du Nord, nous replonge dans l’histoire glaçante du diabolique pasteur hongrois. Retour sur l’itinéraire d’un tueur en série qui a marqué les annales de l’histoire judiciaire en Belgique.

La maison de l’horreur

Alors que l’affaire Dutroux a éclaté un an auparavant, la Belgique est secouée par l’affaire d’un nouveau tueur en série. En octobre 1997, c’est l’histoire d’un couple démoniaque père-fille qui s’amorce. Les officiers de la police de Bruxelles retrouvent des restes humains dans la cave d’une bâtisse, située  au 54 de rue Vandermalen, appartenant à Andras Pandy (71 ans), un pasteur d’origine hongroise, exilé en Suisse puis en Belgique. Le substitut du procureur du roi de Bruxelles, Jos Colpin, précise alors que « leur état indique clairement que le ou les cadavres ensevelis sous un mètre de terre, ont été découpés à la hache ou avec un autre objet similaire ». L’enquête mettra à jour 6 meurtres. L’affaire démarre sur dénonciation d’Anges Pandy. Elle vient faire des aveux au Palais de Justice de Bruxelles et affirme, d’emblée, avoir participé, aux côtés de son père, aux meurtres de cinq des six membres de sa famille. Elle est présentée au juge d’instruction, Bruno Bulthé, qui la place sous mandat d’arrêt.

Le 17 octobre 1997, Andras Pandy est arrêté à son tour. Le pasteur est suspecté d’avoir éliminé deux épouses et quatre enfants. Pour être mieux dissimulés, les corps ont été méthodiquement découpés, les parties identifiables étant dissoutes avec un acide utilisé pour les canalisations. Les corps, ainsi réduits, seront stockés au deuxième étage de la maison avant d’être déversés dans les égouts. Le reste des corps sera déposé dans des poubelles à l’extérieur de l’abattoir d’Anderlecht. Des lambeaux de chair seront également retrouvés dans deux réfrigérateurs ainsi que des traces de sang dans la cage d’escalier.

Rétroactes

Pour comprendre ce drame familial, il faut le recontextualiser dans son histoire. Andras Pandy est né en Hongrie, le 1er juin 1927, dans la région de Zempleny, à environ 200 km de Budapest. Il suit des études secondaires dans un établissement du village de Miskolc et devient, à l’issue de celles-ci, l’assistant d’un pasteur protestant. En 1956, la répression soviétique, qui fait suite au soulèvement de Budapest, fait fuir vers la Suisse le jeune Andras, alors âgé de 29 ans. Il suit des cours de théologie à Bâle où il rencontre une autre réfugiée hongroise, Ilona Sores.

De son premier mariage avec Ilona, Andras Pandy aura trois enfants : Agnès (1958), Daniel (1961) et Zoltan (1966). A la fin des années 60, les relations entre Pandy et sa femme s’enveniment. C’est le divorce. Le pasteur reste avec les enfants et a recours aux petites annonces dans la presse hongroise, à la recherche d’une nouvelle épouse. Plusieurs femmes se manifesteront d’autant plus que Pandy n’est pas contre l’idée d’accueillir au sein de sa maison de nouveaux enfants. Edit Fintor intéresse plus particulièrement le pasteur. Elle est divorcée, fille de pasteur, et mère de trois filles : Timéa (née en 1964), Aniko (1971) et Zsuzanna (1972). La nouvelle épouse et ses filles débarquent à Bruxelles, à Molenbeek, en 1980 après un mariage en 1979. De cette nouvelle union naîtront un fils, Aaron et une fille, Reka. Pandy adopte les enfants de sa nouvelle épouse et donne un nouveau prénom aux deux dernières : Tunde et Andrea.

 Un dominant autoritaire

Andras Pandy n’est pas un père affectueux, mais un dominant. Il se révèle être quelqu’un de très dur envers chacun des membres de la maison. Il installe son emprise, sa loi et une discipline de fer. Les enfants sont astreints à de nombreuses tâches ménagères. Ils seront décrits comme étant habillés de vêtements usés et mal vêtus. En présence d’autres personnes, il leur interdit même de parler et d’exprimer leur opinion. Personne ne peut sortir ou avoir des contacts avec l’extérieur sans son assentiment. Pour les vacances scolaires, le pasteur ramène chez lui des pots de peinture et fait repeindre deux à trois fois tous les meubles de la maison par les enfants, ce qui les occupe jusqu’à la reprise de l’école. Il contrôle aussi les programmes radio et télévisés qu’il sélectionne soigneusement

Un père  incestueux

Ce despote ménager est aussi un père incestueux. Il abuse d’Agnès, sa fille aînée, dès l’âge de 13 ans, avec un rituel très précis. Agnès doit pénétrer par une porte dans la chapelle installée dans la maison, passer par la galerie où se trouvent les statuettes religieuses, retrouver son père, puis sortir par une porte différente de la première. Elle expliquera plus tard que ces relations sexuelles n’étaient pas violentes, que son père l’avait assurée qu’il appartient à un père d’initier ses filles aux mystères de la chair. Agnès le croit. Elle éprouve même pour lui un quasi-sentiment amoureux, de possessivité de ce père qu’elle considère comme son dieu, qui est son unique référence masculine.

Reconstitution dans la maison familiale de Molenbeek. On y voit Agnès Pandy montrer avec un mannequin la manière dont elle a manipulé avec son père les cadavres dans les caves de l’habitation. Crédit: Images d’archives du dossier pénal.

Le tournant fatidique

 Andras Pandy imposera aussi des relations sexuelles également à ses belles-filles en prétextant « une cure médicale » ou « la tâche d’enseignement d’un bon père de famille » pour leur apprendre ce qu’est une relation sexuelle. En 1984, la mèche des massacres qui débuteront, deux ans plus tard, est allumée. Timéa, la fille adoptive du pasteur, se retrouve enceinte des œuvres de Pandy. C’est une catastrophe pour cet homme qui refuse que sa perversité soit un jour révélée. Cette naissance à venir, il faut absolument la dissimuler. Timea est consignée à la maison. Edith Fintor est contrainte de porter sous ses robes un coussin destiné à faire croire que le bébé qui naîtra, dans quelques mois dans le quartier, est le sien.

Lorsque le petit Mark naît, Timea se rebelle. Son père lui a annoncé sa décision de l’adopter, de finaliser son plan de dissimulation de cette grossesse incestueuse en l’incorporant dans « sa » famille. La jeune femme, alors âgée de 20 ans, veut surtout garder pour elle cet enfant qu’elle chérit malgré sa paternité honteuse. Elle veut aussi éviter à Mark de tomber dans les pattes de Pandy, ce tyran qui lui a gâché sa jeunesse, qui a pourri celle de ses frères et sœurs, de ses demi-frères et de sa sœur aînée, Agnès.

Une complicité sur fond de jalousie

A la mi-juin 1985, Andras Pandy utilise alors sa fille Agnès et la manipule. Il a besoin d’elle pour éliminer Timea et récupérer l’enfant. Il dit à celle-ci que si elle ne tue pas Timea, toute leur famille va être brisée à jamais, qu’elle sera sans ressources et que ce sera de sa faute. Il ne doit pas trop insister. Agnès qui, à cette époque, « bénéficie » depuis près de 14 ans des faveurs sexuelles de son père est partagée entre un sentiment de jalousie et un désir de vengeance : si son père, pense-t-elle, a fécondé Timea, c’est qu’il l’a en quelque sorte « trompée », qu’elle n’est plus sa « favorite ». Agnès s’exécute.

 Une tentative manquée

Le 23 juin, Agnès attire sa demi-sœur Timea dans la cave de la maison et muni d’un bout de poutrelle en acier, tente de lui fracasser le crâne. Elle rate son coup. Timea, blessée, parvient à s’échapper et ira déposer plainte auprès de la police de Molenbeek pour tentative de meurtre. A l’inspecteur qui l’interroge, Agnès prétendra qu’il s’agit d’un simple accident involontaire. L’affaire est classée sans suite, d’autant que Timea, persuadée par un Pandy plus que jamais manipulateur, retire sa plainte. Mais, Timea est effrayée. Derrière cette agression, elle soupçonne la détermination de son père. Elle se sent en danger. Elle décide de prendre la fuite, avec son ami et son petit Mark, vers le Canada.

La rage d’Andras Pandy est décuplée par ce qu’il considère comme une nouvelle désobéissance de sa fille. Le pasteur doit trouver une parade crédible aux rumeurs de famille incestueuse qui enflent. Dans les semaines qui suivent, il obtient d’un médecin hongrois, installé en bordure du lac Balaton, le Dr Istvan B. d’établir un rapport médical qui est adressé à Edit Fintor : « Ma chère Edit, lui écrit ce médecin, Ta fille Timea m’a personnellement confirmé les évènements dont tu m’avais parlé au téléphone. Elle m’a avoué être venue se coucher dans votre lit encore chaud et s’être frotté le sexe avec la serviette sanitaire souillée de sperme de ton époux. Comme je te l’avais déjà indiqué, je lui ai confirmé qu’en faisant cela elle avait très bien pu être fécondée  ». L’authenticité de ce « certificat » conservé par le pasteur Pandy n’a jamais pu être établie. Et le médecin qui l’aurait dressé est décédé avant sa découverte.

Les passages à l’acte

Edit et sa fille Andrea commence aussi à vouloir se rebeller. La décision du pasteur est vite prise. Elles doivent être tuées. Méthodiquement, Andras Pandy élabore un scénario qui doit faire croire aux yeux de tous que les deux femmes sont parties vivre ailleurs. Il briefe sa fille Agnès qui devient une nouvelle fois sa complice. Celle-ci entraine sa belle-mère et sa sœur au sous-sol. Cette fois-ci, pour qu’il n’y ait pas de problème de fuite, c’est Andras Pandy lui-même qui se charge de la mise à mort. Son arme sera le marteau. Il en assène plusieurs coups sur le crâne de l’une et de l’autre.

En août 1986, Andras Pandy se rend ensuite avec Tunde, en Allemagne d’où il envoie une carte postale et un télégramme signés Edit Fintor, afin de camoufler le meurtre en faisant croire qu’elle est toujours en vie. Le temps s’écoule. La famille d’Edit s’inquiète de ne plus avoir de nouvelles. Il les rassure en prétendant qu’elle est simplement malade

Deux ans plus tard, le 20 mars 1988, Ilona Sores, la première épouse de Pandy, et son fils de 27 ans, Daniel, sont tués par balle par Agnès. Le 4 avril, ce sera au tour de Zoltan. A nouveau, le pasteur et sa fille découpent les corps avant de les faire disparaître. Lors des vacances de Pâques de la même année, Agnès et son père vident l’appartement d’Ilona et envoient une carte au nom d’Ilona depuis Maubeuge à la sœur d’Andras Pandy. En juin 1989, alors qu’Agnès se trouve à la mer du Nord, Tunde est tuée par Andras Pandy. Le corps est aussi dissout dans l’acide. Puis les années passent…

 Une reconstitution glaçante

Lors de son premier interrogatoire, qui restera sa seule et unique ligne de défense, Andras Pandy nie toute implication dans les disparations de sa première femme Ilona et de deux de ses enfants. Et lorsqu’on le questionne sur Edith, sa seconde épouse, et d’autres enfants, il précise qu’ils sont en Allemagne.

Dans les jours qui suivent son arrestation, les fouilles se poursuivent toujours dans deux caves, la maison principale du suspect et une autre maison lui appartenant également. Lors de la reconstitution des faits, Agnès Pandy décrit avec minutie glaçante les gestes posés par son père. « Il le découpe là-bas pendant que je sors ses intestins ici ». Un des enquêteurs précisera même que la jeune femme mangeait un sandwich tout en racontant comment elle avait découpé sa mère. Agnès Pandy poursuit sans émotion apparente, et donne des détails sordides sur la manière de faire disparaître les victimes avec un couteau, une hache et une scie qui ont été utilisés pour mener à bien cette tâche macabre.

Un meurtrier de type sadique

Pour Jean Proulx, chercheur et directeur de l’Ecole de criminologie à l’Université de Montréal, un dépeceur est un psychopathe pervers et de type sadique. A l’inverse du psychotique, il est dans un schéma de pensée organisé. L’auteur de ce type de crime présente un trouble sévère de la personnalité narcissique. Il a une image surévaluée de lui-même, n’ayant aucun rapport avec ses compétences réelles. La réalité confronte à son échec social, ce qui provoque le passage à l’acte. Il aime faire souffrir, ce qui le différencie aussi du « psychotique ». Il a aussi un trouble du schéma corporel. Les limites entre son enveloppe corporelle et le psychique ne sont pas claires, ce pourquoi il dépèce. Pour ce qui est du démembrement proprement dit, deux hypothèses s’opposent : le dépeçage « utilitaire » pour faciliter le transport et/ou la disparition et le dépeçage à caractère fétichiste. Il semble que l’on soit ici dans la première hypothèse

Une instruction sans corps hors norme

L’instruction du procès durera cinq ans. Lors du procès qui s’ouvre aux assises de Bruxelles le 18 février 2022, Agnès Pandy donnera aux jurés le maximum d’indications sur les six meurtres et la vie à l’intérieur de la maison de l’horreur. Elle précise qu’elle a, elle-même, tué sa mère, tandis que son père se prétendra victime des affabulations d’une fille dont le cerveau a été lobotomisé par une secte, tout comme les disparus. Il affirme aussi qu’il sont membres d’une « société internationale  », dirigée par le KGB, soumis aux ordres du président russe Vladimir Poutine qui les empêche de venir à Bruxelles pour le sauver. Et concernant les ossements retrouvés dans la cave de la maison, il prétend que c’était normal, puisqu’elle était construite sur un terrain qui abritait auparavant un cimetière. Derrière ses immenses lunettes fumées, vêtu de son inséparable imperméable de couleur crème, il défie les jurés du regard et ne reconnait rien.

Andras Pandy est décédé à la prison de Bruges le 23 décembre 2012, après avoir passé son temps à rédiger différentes versions de la prétendue vérité et fait appel de la décision de justice. Emprisonné depuis 1997, il avait été condamné en 2012 à la réclusion à perpétuité pour le meurtre des six membres de sa famille. Sa fille, Agnès Pandy, avait écopé de 21 ans de prison pour son implication dans cinq des six meurtres. Après plusieurs demandes de libération conditionnelles rejetées, notamment parce qu’elle n’avait ni logement, ni travail, elle sera relâchée sous conditions en 2010. Elle veut se faire oublier. En 2016, elle introduira une demande de  changement de nom, une requête qui lui sera refusée. Au cours de son procès, le pasteur n’a eu de cesse d’affirmer que les six disparus s’apprêtaient à réapparaître et à l’innocenter. A ce jour, ils ne se sont toujours pas manifestés…

« La cave de l’horreur du pasteur Pándy », Yves Smague, 2022

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