POLITIQUE

Législatives: vers un changement de Première ministre en France ?

Le mandat de Première ministre d'Elisabeth Borne est-il menacé après le passage en force de la loi sur la réforme des retraites? AFP

La Nupes (Nouvelle union progressiste écologique et sociale) dont le « lider maximo », Jean-Luc Mélenchon, a fait savoir qu’il ne partait pas à la retraite, a déjà annoncé que le 5 juillet prochain, elle déposera une motion de censure contre le gouvernement d’Elisabeth Borne. Le numéro 2 d’EELV, Sandrine Rousseau, toute nouvelle députée, a fait savoir que les 133 élus de la Nupes perturberont la première séance de l’Assemblée Nationale pour protester contre la présence sur ses bancs de Damien Abad, ministre des Solidarités et mis en cause pour violences sexuelles… Des noms circulent déjà pour remplacer Elisabeth Borne, notamment celui de Bruno Le Maire. Mais c’est le président Emmanuel Macron qui décidera.

 Tel la pythie d’Apollon à Delphes, avant même les résultats du 2ème tour des législatives en France, Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop et co-auteur du récent essai « La France sous nos yeux. Économie, paysages, nouveaux modes de vie » (Le Seuil), avait annoncé : « La France va être très difficile à gouverner ». Une évidence : au vu des résultats et des scores de ce 2ème tour des législatives, Fourquet avait (presque) tout vu, il avait raison. En effet, après le scrutin de ce 19 juin 2022, le Président de la République, Emmanuel Macron (réélu le 24 avril dernier pour un second mandat, avec plus de 58% des suffrages), ne sera soutenu que par une majorité relative à l’Assemblée nationale, et la gauche unie sous la houlette de Jean-Luc Mélenchon et la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale) a prouvé qu’elle n’est pas morte. Seul élément que n’avait pas perçu Jérôme Fourquet : la percée (terme plus approprié que victoire) du Rassemblement National qui, avec 89 sièges, multiplie pratiquement par dix sa présence sur les bancs de l’Assemblée Nationale par rapport à 2017… et devient ainsi, c’est historique, le premier parti d’opposition au Parlement.

Gouverner par la force avec l’article 49.3 ?

« Ingouvernable » titre Le Parisien, « A l’épreuve d’une France ingouvernable » commente Le Figaro tandis que Les Echos évoque « Le séisme ». En 2017, la seule LREM comptait 305 députés, cinq ans plus tard, la coalition Ensemble ! n’en présentera que 245… Dans les commentaires, tous rappellent que, dans l’histoire de la Vème République, il y eut un précédent d’un président de la République et d’un gouvernement avec une majorité relative à l’Assemblée Nationale : c’était en 1988 après la réélection de François Mitterrand à la présidence de la République. Le Premier ministre d’alors, Michel Rocard, dut composer avec des forces adverses au prix de négociations et compromis et utilisa, à vingt-huit reprises de 1988 à 1991, le fameux 49.3 qui lui permettait de passer des textes en force. Mais il en ira tout autrement pour la Première ministre, Elisabeth Borne, et son gouvernement : depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le recours au 49.3 a été limité et il ne peut être utilisé que pour un seul texte par session parlementaire, hors projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Commentaire de Jean-Paul Huchon, ex-directeur de cabinet de Michel Rocard et ex-président de la région Ile-de-France : « Macron va devoir composer ». Lequel développe : « Pour éviter le blocage, il devra convaincre, montrer que les solutions qu’il avance sur le budget, la santé, les retraites, sont nécessaires et justifiées. Mais avec la Nupes et le Rassemblement National, ça va être chaud. Plus que chaud, même. D’autant que, hormis Macron, personne n’incarne vraiment le leadership au sein de la majorité. Élisabeth Borne a-t-elle les moyens de gérer une situation parlementaire aussi complexe ? »

Remaniement ministériel en vue

Oui, devant la Nupes (coalition électorale qui, selon ses statuts, doit laisser la place, dès la première séance de la nouvelle Assemblée, aux quatre formations qui la constituent) et le Rassemblement National qui, avec ses 89 députés, devient le premier parti d’opposition, avec qui peuvent s’entendre Emmanuel Macron, Elisabeth Borne et le gouvernement. Dans les prochains jours, ce dernier va être remanié après la défaite de trois de ses ministres (Amélie de Montchalin/Transition écologique ; Brigitte Bourguignon/Santé, et Justine Benin/Mer), à laquelle s’ajoutent la défaite de deux très proches du Président Macron : Richard Ferrand, président de l’Assemblée Nationale, et Christophe Castaner, président du groupe LREM à l’Assemblée.

Nous avons fait campagne dans l’opposition, nous sommes dans l’opposition, nous resterons dans l’opposition.

Hormis les 34 députés divers (gauche, centre et droite), c’est bien vers le seul parti « Macron-compatible », le groupe Les Républicains, que la macronie peut tenter approches et séduction. Mais dès le soir du 2ème tour des législatives, il y a de la friture su les lignes des LR. Si Jean-François Copé a proposé un « pacte de gouvernement », l’actuel président des LR, Christian Jacob, est catégorique et a fermé la porte à des accords : « Nous avons fait campagne dans l’opposition, nous sommes dans l’opposition, nous resterons dans l’opposition ». Christian Jacob quittera la présidence du parti lors du prochain congrès et les candidats à sa succession, Laurent Wauquiez et Eric Ciotti, représentants de la ligne dure, ne varieront pas sur cette position…

Une France ingouvernable

Donc, la France ingouvernable ? Député de la Somme, François Ruffin annonce : « Le pays est bloqué ». Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire ne le pense pas, et constate : « Nous sommes face à un choc démocratique ». Et d’ajouter : « Il faudra faire preuve de beaucoup d’imagination pour agir dans cette situation inédite. La majorité présidentielle est constituée sur des idées claires. J’invite ce soir toutes celles et tous ceux qui se retrouvent autour de ces idées claires à la soutenir ». Mais l’optimisme (réel ou feint ?) affiché par Bruno Le Maire dont le nom est régulièrement cité pour succéder à Elisabeth Borne au poste de Premier ministre en cas d’un vaste remaniement gouvernemental, est contrecarré par un proche conseiller d’Emmanuel Macron qui confiait, au soir du deuxième tour : « C’est une dinguerie… Le Front républicain, le « cordon sanitaire », tout  ça n’existe plus… Ça va vraiment être ingouvernable. Tous les textes que nous présenterons à l’Assemblée seront bloqués par des milliers d’amendements déposés par la Nupes et le RN »…

Motion de censure contre Elisabeth Borne

Ce Rassemblement National, premier parti d’opposition au Parlement avec ses 89 députés, qui devrait présider, comme le veut la tradition, la très puissante Commission des Finances qui, entre autres, a plus que son mot à dire sur le vote du budget du pays… De son côté, la Nupes dont le « lider maximo » Jean-Luc Mélenchon a fait savoir qu’il ne partait pas à la retraite, a déjà annoncé que le 5 juillet prochain, elle déposera une motion de censure contre le gouvernement d’Elisabeth Borne. Et la numéro 2 d’EELV, Sandrine Rousseau toute nouvelle députée, a fait savoir que les 133 élus de la Nupes perturberont la première séance de l’Assemblée Nationale pour protester contre la présence sur ses bancs de Damien Abad, ministre des Solidarités et mis en cause pour violences sexuelles… A l’agitation et les perturbations promises par la Nupes, Marine Le Pen a répondu : « Nous, au RN, nous serons dans l’opposition. Une opposition constructive. Nous ne serons pas au cirque… » Et déjà, Marine Le Pen pense, murmure-t-on dans son entourage, à 2027 et à la prochaine élection présidentielle- ce serait alors sa quatrième tentative…

Nous, au RN, nous serons dans l’opposition. Une opposition constructive. Nous ne serons pas au cirque…

Pour Emmanuel Macron, la tache est plus simple et, en même temps, plus ardue. Plus simple parce que, par la règle institutionnelle, il ne pourra pas prétendre à un troisième mandat présidentiel en 2027. Plus ardue, car il lui faut parer au plus pressé : garder ou non Elisabeth Borne comme Première ministre, laquelle n’a pas marqué la campagne des législatives au niveau national, et former au plus vite un nouveau gouvernement ? Il lui faut aussi préparer l’avenir, c’est-à-dire, la présidentielle de 2027 sur laquelle lorgne son ancien Premier ministre, Edouard Philippe, avec son parti Horizons. Donc, en marge des élections législatives, Emmanuel Macron a lancé le chantier de la reconstruction de son parti. Il a confié l’affaire à un proche, Sébastien Séjourné. Sa mission : faire de La République en Marche un vrai parti. L’objectif : pérenniser, pour 2027 et au-delà, les troupes et la pensée macroniennes. On connait déjà le nom de ce prochain parti : Renaissance. Aveu d’un proche du chantier : « C’est un sacré chantier. Nous partons d’une feuille blanche »…

Serge Bressan (à Paris)

 

>La composition de l’Assemblée Nationale 2022

 

Nupes                        133 sièges

Divers gauche             20

Ensemble !                245

Divers centre                4

Divers droite               10

LR- UDI                       64

RN                                 89

Droite souverainiste   1

Régionalistes             10

Divers                           12

 

>Dans le détail :

-pour Ensemble !, La République en marche- LREM (qui deviendra prochainement Renaissance) décroche 170 sièges, le MoDem (le parti de François Bayrou) en obtient 47, Horizons (le parti d’Edouard Philippe), 26 et le Parti radical, 3.