POLITIQUE/FRANCE

France : l’heure est grave pour la macronie, Emmanuel Macron prend la parole ce soir à 20h à la télé

Le président Emmanuel Macron et le député, Adrien Quatennens (LFI). AFP

Conséquence des élections législatives des 12 et 19 juin derniers en France : un gouvernement paralysé, un président de la République « Enlisé » dans le Palais de l’Elysée… C’est là, une parfaite image de la situation : toute simple et très compliquée, illustration impeccable du « en même temps », base de la philosophie politique d’Emmanuel Macron, réélu le 24 avril dernier pour cinq années à la tête de la France. Par tradition, dans l’histoire de la Vème République, dans la foulée de sa réélection, le Président est assuré d’une confortable majorité à l’Assemblée Nationale. Ce n’est pas le cas en ce début de séquence pour Macron 2. Pour débloquer la situation, Emmanuel Macron a consulté pendant deux jours. Des observateurs évoquent une intervention télévisuelle du Président de la république, ce mercredi soir.

Certes, soutien d’Emmanuel Macron, le groupe Ensemble ! (avec La République en Marche/LREM, le Modem, Horizons ! et Agir) compte 245 sièges dans la nouvelle Assemblée Nationale, ce qui assure la majorité relative mais c’est bien loin de la majorité absolue (au moins 289 sièges) qui assure un certain confort au gouvernement en place. Donc, et c’est peu de le dire et de l’écrire, l’heure est grave pour la « macronie ». Ce qui a poussé le président Macron à prendre les affaires en main, reléguant la Première ministre, Elisabeth Borne, et son gouvernement aux affaires courantes. Durant deux jours, donc, le Président a consulté.

Consultation tous azimuts

Ça a défilé à l’Elysée. Ont été reçus les leaders des forces en présence à l’Assemblée Nationale : ce mardi 21 juin, Stanislas Guérini (LREM), Christian Jacob (Les Républicains- LR), François Bayrou (Modem), Olivier Faure (Parti socialiste- PS), Marine Le Pen (Rassemblement National/RN) et Fabien Roussel (Parti communiste/PCF) et ce mercredi 22 juin, Julien Bayou (Europe Ecologie-Les Verts/EELV), Adrien Quatennens (La France Insoumise/LFI) et Edouard Philippe (Horizons !).

Nombre de ces visiteurs élyséens ont confié à leur sortie : « Ce fut un dialogue cordial, Emmanuel Macron a peu parlé, il a écouté ce que nous avions à lui dire, mais ce n’est pas certain qu’il nous ait entendus ». L’affaire est très simple, écrivions-nous : avec 245 députés pour Ensemble ! 89 pour le RN et 72 pour LFI, la situation est bloquée. Sauf si le groupe LR (associé à l’UDI) avec ses 64 député.e.s accepte l’appel du pied lancé par le Président de la République. Sans grande surprise, Marine Le Pen (RN) et Adrien Quatennens (LFI) refusent toute entente avec la majorité présidentielle- la première : « Nous nous comporterons en républicains », le second : « Nous n’irons pas dans une majorité pour le programme de la maltraitance sociale ». Voilà qui a au moins le mérite de la clarté. Les LR, de leur côté par la voix de leur futur ex-président Christian Jacob, font savoir : « Nous ne sommes pas à vendre »…

Le président Macron raccompagne Julien Bayou, secrétaire national du parti EELV. AFP

Julien Bayou, secrétaire national du parti écologiste, EELV, après son entretien, mercredi, avec Emmanuel Macron

Nicolas Sarkozy actif en coulisses

A sa sortie de sa visite à l’Elysée, le représentant du PCF, Fabien Roussel, a confié qu’« Emmanuel Macron veut monter un gouvernement d’union nationale » qui pourrait aller de Valérie Rabault (PS) à Robert Ménard (apparenté RN). Une information qui n’a pas été infirmée par la Présidence de la République, tout comme n’a pas été démentie l’information selon laquelle le Président Macron pourrait s’adresser dans une allocution télévisée aux Français ce mercredi 22 juin à 20 Heures…

De nombreuses questions se posent pour les prochains jours, les prochaines semaines. La première : quel avenir pour la Première Ministre Elisabeth Borne et son gouvernement ? Le « lider maximo » de LFI, Jean-Luc Mélenchon (qui n’a plus aucun mandat électif), n’y va pas par quatre chemins : « J’appelle Madame Borne à se soumettre à un vote de confiance des députés » lors de la séance du 5 juillet prochain à l’Assemblée Nationale.

Toujours actif en coulisses, l’ancien Président Nicolas Sarkozy est catégorique : « Si Emmanuel Macron ne se sépare pas d’Elisabeth Borne, cela débouchera sur une crise institutionnelle ». Jugée « technocrate » et non « politique », elle n’a pas imprimée durant la campagne des législatives, même si elle a été élue dans le Calvados.

L’heure de Bayrou à Matignon ?

C’est le tir à vue sur la Première ministre dans les oppositions, mais aussi, en creux, chez François Bayrou (Modem) : « Oui, la question se pose. Le temps exige que le Premier ministre ou la Première ministre soit politique et non pas technique »… Décodé par un proche d’Elisabeth Borne : « Bayrou veut le poste de Premier ministre ».

Bruno Cautrès, politologue et chercheur au CNRS, considère, lui, que « se séparer d’Elisabeth Borne serait extrêmement coûteux pour Emmanuel Macron, ce serait l’aveu qu’il s’est trompé en la nommant ». Et certains vont même plus loin, dont Sophia Chikirou, nouvelle députée LFI et compagne de Jean-Luc Mélenchon : « A l’heure actuelle, la France est ingouvernable ! Et le responsable, c’est Emmanuel Macron : c’est lui qui nous a mis dans cette situation, qu’il démissionne ! »

Un pays bloqué ?

Autre question : avec l’Assemblée version 2022, le pays sera-t-il vraiment bloqué, comme l’affirme une des figures de LFI, François Ruffin ? Avec cette configuration d’une majorité relative pour soutenir le Président de la République, la France retomberait dans les affres et les tourments de la 4ème République (1946- 1959).

Des historiens rappellent que, durant cette période, vingt-cinq gouvernements se sont succédés en douze ans ! Le plus long a été en place pendant 13 mois (gouvernement Henri Queuille, 11 septembre 1948-6 octobre 1949) et le plus court, 2 jours (Robert Schumann 2, 5-7 septembre 1948, et Henri Queuille 2, 2-4 juillet 1950). A l’époque, le Président du Conseil des ministres était proposé par le Président de la République au Parlement qui élisait le chef du gouvernement… Aucun parti n’ayant la majorité, ce n’était alors que tractations, négociations, magouilles et carabistouilles. De nombreux observateurs de la chose publique assurent, depuis le 19 juin au soir, que ce spectacle pitoyable pourrait bien être le quotidien de la politique française. Sauf si…

Le président Macron raccompagne, son ancien Premier ministre, Edouard Philippe, après l'entretien. AFP

Le président Macron s’est également entretenu avec son ancien Premier ministre, Edouard Philippe, leader du parti Horizon!

Derniers jours de la présidence française de l’Europe

Après ces deux jours de consultations et une intense séquence politique franco-française, Emmanuel Macron va se consacrer à l’international. L’Union européenne (la France assure la présidence du Conseil de l’UE jusqu’à ce 30 juin), le G7, la guerre en Ukraine vont prendre l’essentiel du temps et de l’activité présidentiels.

Il prend le pari de « donner du temps au temps », une formule chérie par François Mitterrand, et a demandé à Elisabeth Borne et à son gouvernement de faire le travail (et aussi de le faire savoir !). Ainsi, sur l’agenda de la Première ministre, figurent, pour la semaine prochaine, un rendez-vous à l’Assemblée Nationale avec les chefs de partis d’Ensemble !, puis le discours de politique générale le 5 juillet et la proposition de loi sur le pouvoir d’achat.

Selon un proche, Emmanuel Macron aime prendre son temps avant de décider quoi que ce soit… Il est persuadé que l’été et la période des vacances vont apaiser la situation. Alors, rendez-vous en septembre ? Avec Macron, Machiavel n’est jamais loin.

Serge Bressan (à Paris)