Comment la police fédérale travaille sur les disparitions d’enfants
Il y a 26 ans, Julie Lejeune et Mélissa Russo disparaissaient à Grâce-Hollogne. Deux décennies après son éclatement, l’affaire Dutroux fait toujours couler autant d’encre. À l’évidence, il y a un avant et un après. Le pédophile psychopathe a laissé en héritage une génération d’adultes hantés, ceux-là même qui, enfants, avaient le même âge que Julie et Mélissa en 1996. Psychose de l’enlèvement, plus question aujourd’hui de laisser courir ses enfants sans s’inquiéter au moindre retard. Fini les promenades seul à pied ou à vélo. On les accompagne à l’école, on les « géolocalise » autant que faire se peut. Même le voisin est devenu un suspect potentiel. Du côté de la police fédérale, depuis l’affaire Dutroux, la question des disparitions a été placée au rang des priorités. Mais selon quels critères une disparition est-elle jugée inquiétante ? Où et comment chercher ?
Des énigmes non résolues
Leurs visages sont longtemps apparus sur les avis de disparition. Gevriye Cavas, Ilse Stockmans, Nathalie Geijsbregts, Liam Van den Branden, Briam Borms, tous ces noms sont ceux d’enfants volatilisés dans la nature depuis plusieurs dizaines d’années, dans des circonstances non élucidées. Leur disparition se résume, aujourd’hui, à de gros cartons contenant des centaines de PV, comme des dizaines de transcriptions d’auditions.
Pour les familles, il reste le pire, les dates. Le jour de la disparition, l’anniversaire, la fête des mères, Noël sont autant de piqûres de rappel. Il y a aussi tous les espoirs déçus, jusqu’aux médiums et radiesthésistes sollicités, autant de fausses pistes qui n’expliquent toujours pas aux proches ce qui s’est réellement passé : accident, enlèvement par un couple en mal d’enfant, mouvement sectaire, réseau pédophile ou infanticide. Mystère. Et puis, il y a l’actualité, cruelle, qui remue encore le couteau dans la plaie.
Le rôle de la police locale
Lorsque l’on constate la disparition d’un proche, le premier réflexe est de contacter la police locale. En principe, tous les policiers ont été formés pour réagir adéquatement, dans le respect d’une directive ministérielle qui précise les actes à poser et le rôle de chacun.
Dans un premier temps, l’officier de police judiciaire (OPJ) de la police locale évaluera les faits afin de déterminer s’ils ont une nature « inquiétante ». Si la disparition répond à cette notion, en fonction de l’âge, des fréquentations, du handicap potentiel, d’un comportement inhabituel, d’une menace potentielle, l’OPJ avisera le magistrat de service du parquet qui prescrira des devoirs d’enquête.
Rapidité et perspicacité
« Si les médias sociaux donnent beaucoup plus d’impact en termes de visibilité, la diffusion d’information sur ces plateformes est à double tranchant », nous explique G. B., ancien gendarme et conseiller honoraire au Comité P (Le Comité permanent de contrôle des services de police). « On touche certes un plus grand nombre de personnes, mais, effet pervers, les enquêteurs reçoivent aussi beaucoup de témoignages inutiles qu’il faut traiter, ce qui fait perdre un temps précieux. Or, dans un dossier chaud, soit une disparition qui vient d’être déclarée, chaque minute compte. Les équipes de première ligne doivent interroger les parents, puis les proches, l’école et les voisins. Tout cela demande des heures que l’on n’a pas. Il faut être sur la balle, tout en ayant une vision périphérique. Il ne faut pas penser que les choses vont se trouver dans l’évidence. Il faut regarder en haut, en bas, à gauche, à droite et virer de bord pour avoir une nouvelle perspective. Il faut donc ratisser large, vite et intelligent ».
Un travail qui s’avère encore plus compliqué lorsque les parents sont impliqués, notamment dans le cadre d’enlèvements parentaux ou commis par des parents biologiques, mais non reconnus comme tels.
De l’intuition et de la chance
« Dans un dossier froid (cold case), lorsque toutes les pistes investiguées n’ont rien donné, il faut avant tout de l’intuition et de la chance », nous explique encore cet autre gendarme, aujourd’hui à la retraite, qui a travaillé sur le dossier d’Elisabeth Brichet, âgée de 12 ans lorsqu’elle a disparu à Saint-Servais (Namur), en décembre 1989.
« Pour les équipes qui travaillent sur une affaire qui n’aboutit pas, c’est un constat d’échec cuisant, même des années après. On se dit que quelque part la solution existe, qu’elle est peut-être sous nos yeux, mais on ne l’a pas trouvée. Echouer pour un enquêteur, cela ne s’oublie pas. Dans notre tête, on ne classe jamais l’affaire. On essaie donc, dès que possible, de faire des recoupements avec d’autres dossiers, nouveaux ou plus anciens. On utilise le renseignement. On fait appel à nos homologues du monde entier. Et puis, un jour on flaire un truc et on a de la chance. C’est ainsi que l’on a pu faire le lien, en 2004, entre Michel Fourniret et la petite Elisabeth ».
Chaque jour, une cinquantaine de personnes sont signalées disparues en Belgique.
Faire circuler l’info
Pour élucider des affaires non résolues, la cellule des personnes disparues de la Police fédérale collabore également avec Child Focus. Les témoignages restent cruciaux. Il faut que les gens voient les visages des disparus et, surtout, ne les oublient pas. L’association compte donc sur la participation active du grand public pour relayer et partager l’information.
Chaque année, diverses campagnes sont organisées. Depuis 2018, le site DNS Belgium, qui permet l’enregistrement de nom de domaine, affiche aussi sur sa page web « Page non trouvée » (également connue sous le nom de page 404) la photo d’un enfant disparu.
Des affaires sont également résolues grâce aux internautes. Il existe ainsi des dizaines de pages Facebook, forums et blogs dédiés à la résolution d’affaires judiciaires. Ensemble, les membres partagent des théories sur des disparitions ou autres crimes non résolus. C’est ainsi que William Moldt, disparu en 1997, en Floride, a été retrouvé par un internaute, en septembre 2019.
Les forces de l’ordre ont rouvert le dossier après un appel passé fin août. Un anonyme y expliquait qu’il avait vu sur Google Maps une voiture dans un lac, dans la ville de Wellington. Après avoir retiré le véhicule de l’eau, des tests réalisés sur le squelette découvert ont confirmé qu’il s’agissait bien du disparu.
En majorité, des fugues
Chaque jour, une cinquantaine de personnes sont signalées disparues en Belgique. Sur ces 50 disparitions, 5 sont considérées comme inquiétantes. Les enfants de moins de 13 ans représentent le plus petit nombre de disparus. Pour les adolescents, il s’agit généralement de jeunes qui ont fugué et ces dossiers sont rapidement solutionnés avec une issue positive. Pour les disparitions persistantes, lorsqu’elles surviennent, elles mobilisent les experts de la Cellule des personnes disparues de la police fédérale.
Toutefois, si l’annonce d’un dénouement heureux redonne de l’espoir aux autres familles d’enfants disparus, il reste rare qu’un mineur soit retrouvé sain et sauf plus d’un an après sa disparition. Impression 3D de scènes de crime, ratissage numérique, profilage, portraits-robots génétiques à partir de minuscules traces d’ADN, grâce aux nouvelles technologies, les auteurs sont, en revanche, plus facilement retraçables qu’il y a une trente ans, ce qui devraient statistiquement faire tomber le nombre d’affaires non résolues dans les prochaines années.
Pour info : Qui prévenir lors d’une disparition inquiétante ? Toute disparition inquiétante doit être signalée à la police locale. Celle-ci informera à son tour la « Cellule personnes disparues » de la police judiciaire. Vous trouverez les coordonnées des bureaux de police de votre quartier sur www.police.be ou via le numéro d’urgence 101. Le système d’alerte de Child Focus : http://www.childalert.be
