EDITO

Radicalisation endémique : la sanction est-elle salvatrice ?


La sentence est connue. Salah Abdeslam est condamné à la perpétuité incompressible. Reconnaissant son rôle central joué dans les attentats de Paris, ses avocats, Maître Olivia Ronen et Maître Martin Vettes avaient pourtant dénoncé, dans une plaidoirie à deux voix en clôture des débats, une « mort blanche violente », exhortant la cour à faire preuve de « courage », fustigeant au passage la peine « démesurée » requise par le parquet national antiterroriste.

Invitant aussi les juges à ne pas céder « aux foudres de l’opinion publique ». « Il n’y a pas d’honneur à condamner un misérable au désespoir. Si vous suivez le parquet dans cette fin sociale, c’est le terrorisme qui aura gagné ». La peine se devait d’être exemplaire tant vis-à-vis des victimes que de nos valeurs démocratiques à devoir protéger. Pour ses motivations exposées, la cour d’assises spéciale de Paris n’a pas suivi. Dont acte.

Mais, si ce verdict condamne des hommes à la hauteur de leurs méfaits assène-t-il pour autant un coup de semonce à l’islamisme radical ?

La réponse est moins sûre. Selon une étude récente réalisée par la Fondation pour l’Innovation Politique, « entre 1979 et 2019, au moins 33.769 attentats islamistes ont eu lieu dans le monde. Ils ont provoqué la mort d’au moins 167.096 personnes. Les attentats islamistes représentent 18,8% de la totalité des attentats commis dans le monde. Et on note une intensification de cette violence. La période la plus meurtrière est la plus récente. A partir de 2013, l’islamisme est devenu la cause principale (63,4%) des morts par terrorisme dans le monde ».

Inscrire des cours de bienveillance et d’empathie obligatoires dans les programmes scolaires.

Ces chiffres donnent raison à un constat cinglant : la figure de l’Hydre, symbole du désordre et de la rébellion, de l’ennemi insidieux qui se déplace, qui disparaît pour renaître ailleurs et mieux, infecte toujours plus nos sociétés alors même l’on pense à chaque affaire terroriste en venir à bout par la sanction. Combien de morts encore devrons-nous compter ? Quelle autre stratégie adopter ? Peut-être en assumant notre part de responsabilité sociétale et en adoptant les mesures gouvernementales qui s’imposent.
Comment ? Sans occulter les contingences géopolitiques qui animent les revendications islamistes, ce serait faire preuve d’angélisme, en offrant à ces (pré) kamikazes belgo-français en devenir la possibilité d’une éducation à la non-violence.

Telle que prônée par l’Université de la Paix, dans le parcours d’apprentissage d’un être  humain, l’école est le premier espace collectif vécu. Il est aussi le premier lieu propice à la manifestation de conflits et de faits de violence en tous genres.
Inscrire des cours de bienveillance et d’empathie obligatoires dans les programmes scolaires, comme c’est le cas au Danemark depuis 1973, offrirait à cette jeunesse à la dérive culturelle un itinéraire intellectuel porté par une puissante conviction que notre société est éthique et un engagement dès lors convictionnel dans la non-violence et non plus dans le religieux de l’extrême.
Ce parcours civique offrirait avec certitude au vivre-ensemble un modèle politique plus viable de contre-radicalisation en termes de sécurité préventive.

L’injustice radicale trouve aussi un terreau facile dans l’injustice économique. Cette stratégie de la non-violence devrait également être soutenue par plus de justesse sociale. Comme nous le rappelle Martin Luther King dans Combats pour la liberté, les ségrégations de tous ordres n’ont jamais été propices à éveiller les consciences qui veulent sortir de la spirale suicidaire du décrochage social.

Nul n’a su défendre cette idée avec autant d’éloquence et de passion qu’Henry David Thoreau dans La désobéissance civile : « J’ai alors acquis la conviction que le refus de coopérer avec le mal est une obligation morale, tout autant que la coopération avec le bien lorsque le système est mauvais ».

Nos histoires plurielles et notre Histoire commune sont avant tout dirigées par l’esprit. Jamais une fin positive vers un engagement pacifiste ne pourra être obtenue avec des moyens négatifs. Le bien-être collectif est incompatible avec des conditions sociales sanctionnées d’iniquité. Mettre au frigo en les murs les auteurs de l’irréparable ne soigne pas ce cancer. Il sursoit juste à statuer jusqu’à ce que la prochaine bombe à retardement n’arrive à maturation dans nos quartiers « chauds » et dans les cités.