ATTENTATS DE PARIS

Salah Abdeslam : qu’est-ce que la perpétuité incompressible à la française ?


Les cinq magistrats professionnels ont suivi les réquisitions du ministère public. Salah Abdeslam est condamné par la cour d’assises spéciale de Paris à la perpétuité incompressible pour son rôle central dans les attentats du 13 novembre 2015 qui ont fait 130 victimes. C’est la peine la plus lourde du code pénal français et c’est une première pour des faits liés au terrorisme. On la surnomme aussi la « perpétuité réelle ». En France, il s’agit d’une peine de réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté illimitée empêchant tout aménagement de peine. Dans ces conditions, Salah Abdeslam pourra-t-il sortir un jour de prison ? La perpétuité est-elle aujourd’hui synonyme de peine de mort ? Explications.

La « perpétuité réelle » a été instaurée en France, en 1994, sous le gouvernement d’Edouard Balladur, avec l’impulsion du ministre de la Justice de l’époque, Pierre Méhaignerie, marqué par le viol et le meurtre d’une fillette par un homme déjà condamné pour des crimes sexuels.

Pas d’aménagement de peine

Sur base de la loi du 1er février 1994 instituant une peine incompressible, elle n’a été prononcée qu’à quatre reprises depuis et à chaque fois pour des meurtres d’enfants accompagnés de viols ou de tortures : en 2007, à l’encontre de Pierre Bodein, dit « Pierrot le fou » ; en 2008, à l’encontre du tueur en série Michel Fourniret,  décédé depuis en prison ; en 2013, à l’encontre de Nicolas Blondiau (l’affaire Océane) et en 2016, à l’encontre de Yannick Luende Bothelo (l’affaire Marion). Pratiquement, la perpétuité incompressible rend impossible de demander un aménagement de peine.

Cette peine n’est applicable qu’aux crimes suivants : pour meurtre avec viol, tortures ou acte de barbarie sur mineur de quinze ans ; pour meurtre ou assassinat en bande organisée d’une personne dépositaire de l’autorité publique (policier, magistrat, etc.) et ce, à l’occasion ou en raison de ses fonctions ; pour crime terroriste. Pour tous les autres crimes, le maximum de la période de sûreté prévue au code pénal est de 22 ans.

Une demande possible après 30 ans

Même si les chances sont minces d’aboutir à une  libération, le condamné à cette peine peut toutefois, au bout de 30 ans passés en prison, demander au tribunal de l’application des peines de revenir sur cette impossibilité.
Le tribunal ne peut réduire la durée de la période de sûreté qu’à certaines conditions, et après avis d’une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation chargée de déterminer s’il y a lieu de mettre fin à l’application de la décision de la cour d’assises.
Il doit aussi s’assurer que sa décision n’est pas susceptible de causer un trouble grave à l’ordre public et recueille en amont l’avis des victimes. Il se prononce sur la demande après avoir aussi requis l’expertise d’un collège de trois experts médicaux qui évaluent l’état de dangerosité du condamné. Un aménagement de peine est donc possible in fine, mais en deux étapes.

 L’autre peine de mort ?

« C’est avec l’épée du parquet sur le cou que je m’adresse à vous (…) La perpétuité est peut-être à la hauteur des faits mais pas des hommes qui sont dans le box ». C’est sur ces mots de Salah Abdeslam que se sont refermés, lundi 27 juin, les débats au procès des attentats du 13-Novembre. L’unique survivant des commandos terroristes avait appelé les juges de la cour d’assises spéciale de Paris à ne pas commettre « l’erreur » de le condamner à cette lourde sentence.

Une peine de perpétuité incompressible est-elle aujourd’hui synonyme de peine de mort ? Les attentats de janvier et novembre 2015 ont engendré de très nombreuses controverses sur la justice pénale qui ont abouti à une réforme du code pénal français en 2016. La loi de juin 2016 a, en autre, prévu de nouvelles dispositions pour rendre plus contraignante la procédure de relèvement de la période de sûreté, mais le « possible » subsiste.
C’est d’ailleurs, dans la lignée de Robert Badinter. En 1981, il avait refusé que l’abolition de la peine de mort soit l’occasion de la création d’une peine de perpétuité renforcée, en argumentant que « la peine de mort est un supplice et qu’on ne remplace pas un supplice par un autre. Il faut entretenir ce qu’on appelle le droit à l’espoir. En abolissant la peine de mort, le législateur n’avait pas vocation à créer une peine de substitution ».

Une position confirmée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) saisie, en 2014, par un recours de « Pierrot le Fou ». L’homme au casier judiciaire faisant état de sept condamnations, dont trois en cours d’assises, notamment pour des viols avec violence sur femmes et enfants, avançait que la perpétuité réelle constitue un traitement inhumain et dégradant. La CEDH lui a donné tort.
« La réclusion criminelle à perpétuité dite incompressible, qui exclut tout aménagement de peine avant une période de trente ans, ne constitue pas un traitement inhumain et dégradant dans la mesure où elle offre un espoir, même infime, de libération au détenu ».