OPINION/LETTRE OUVERTE

Mesdames et Messieurs les parlementaires, refusez de voter la loi de transfèrement des détenus vers l’Iran !


Mesdames, Messieurs,

Chers Parlementaires,

En fin de semaine, il vous sera demandé d’adopter le « Traité entre le Royaume de Belgique et la République islamique d’Iran sur le transfèrement de personnes condamnées ».

Je vous appelle à ne pas voter ce texte qui, non seulement, constitue une véritable insulte pour les services de sécurité et pour le système judiciaire mais, de plus, mettra en danger les ressortissants belges et européens.

Permettez-moi d’abord de vous dire « d’où je parle » et ce qui m’autorise à m’adresser à vous sur ce sujet, particulièrement grave.

A divers titre, j’ai travaillé sur les questions terroristes depuis 41 ans et je me suis particulièrement attaché, durant cette période à analyser le terrorisme d’Etat pratiqué par l’Iran. J’ai ainsi enquêté sur l’attentat contre l’immeuble Drakkar à Beyrouth (58 parachutistes français tués le 23 octobre 1983), sur l’affaire des « otages du Liban » (1985-1989), sur les attentats de Paris (13 morts et plus de 300 blessés entre 1985 et 1986), sur l’assassinat du dernier Premier ministre du Shah, Shapour Bakhtiar, près de Paris (6 août 1991), sur l’attentat contre la mutuelle juive AMIA, à Buenos Aires (84 morts et 230 blessés, le 18 juillet 1994) et sur des dizaines d’autres attentats ou projets d’attentats, commis ou préparés dans une quinzaine de pays. Cette expérience m’a amené à écrire un livre (« L’Iran, un Etat Terroriste ? », Editions de Passy, Paris, 2011).

Plus récemment, j’ai été expert des parties civiles au procès en première instance qui a vu condamner le diplomate iranien Assadollah Assadi à Anvers, en 2020.

C’était la première fois qu’un diplomate iranien était pris en flagrant délit de préparation d’un acte terroriste sur le sol européen.

C’était la première fois qu’un diplomate iranien était pris en flagrant délit de préparation d’un acte terroriste sur le sol européen. Grâce au remarquable travail des polices belge et française, mon expertise a pu retracer une chaine de responsabilité qui remontait jusqu’au Conseil Suprême de Sécurité Nationale d’Iran, c’est-à-dire jusqu’au sommet du pouvoir, puisque y siègent des représentants du Guide suprême de la Révolution islamique, du Président de la république et des principaux ministères.  Assadollah Assadi a été condamné à 20 ans de prison en février 2021. Ses complices, Nasimeh Naami, son époux Amir Saadouni et Mehrdad Arefani,, qui avaient acquis la nationalité belge après avoir été admis dans le pays comme réfugiés politiques mais dont il a été prouvé durant les débats qu’ils étaient en fait des agents d’infiltrations du Ministère du renseignement de Téhéran, avaient fait appel (Assadi, lui, s’était abstenu) et étaient condamnés, en mai dernier, à des peines s’étalant de 17 à 18 années de réclusion. La précision et la rigueur du travail des enquêteurs et de la justice n’autorisent aucun doute sur les faits ni sur la responsabilité de l’Etat iranien.

Le 29 juin, le gouvernement déposait en urgence la loi sur laquelle vous aurez à vous prononcer dans deux jours. Or, il n’y a aucune urgence, si ce n’est, manifestement, de céder aux pressions et au chantage de Téhéran et de lui rendre, le plus vite possible, Assadollah Assadi.

Claude Moniquet, ex-agent des services de renseignement français (DGSE). BELGA

Claude Moniquet, photographié en mars 2019, lors d’une conférence de presse à Bruxelles. Photo Belga.

Rendre Assadi à ses maîtres, c’est un peu comme si on rendait un tueur de la mafia au capo di tuti pour l’exécution de sa peine…

Je n’insisterai pas, ici, sur le caractère honteux de cet « arrangement » qui fait fi du travail remarquable de la police et de la justice. Ces arguments ont déjà été largement développés par ailleurs. Qu’il me suffise de dire qu’étant donné que le projet d’attentat pour lequel Assadollah Assadi et ses complices ont été définitivement condamnés était directement conçu et ordonné par le sommet de l’Etat iranien, rendre Assadi à ses maîtres, c’est un peu comme si on rendait un tueur de la mafia au capo di tuti pour l’exécution de sa peine.

 

L’article 13 de la loi prévoit d’ailleurs à « chaque Partie d’accorder la grâce, l’amnistie ou la commutation de la peine. »

En fait, le principal – sinon le seul – argument du gouvernement, et du ministre de la justice, Monsieur  Vincent Van Quickenborne est que cette loi permettra de faire libérer un Belge détenu à Téhéran, Olivier Vandecasteele.

C’est que, en effet, Téhéran, s’est rabattu sur l’une de ses armes de prédilection : le chantage. Le régime iranien s’est ainsi, depuis l’arrestation d’Assadi en 2018, constitué une véritable réserve d’otages en arrêtant des doubles nationaux – comme la chercheuse franco iranienne Fariba Adelkah poursuivie pour « complot contre la sûreté de l’Etat » ou l’Irano suédois Ahmadreza Djalali , qui enseigne la médecine d’urgence à Bruxelles, condamné à mort pour espionnage – ou même des Européens n’ayant aucun lien avec l’Iran, comme le Français Benjamin Brière, condamné à plus de huit ans de prison pour « espionnage », ou plus récemment un couple de syndicalistes, Cecile Kohler et son époux, accusés d’être entrés dans le pays pour y « répandre le désordre ». Et Monsieur Vandecasteele…

L’histoire nous apprend en effet que céder à un maître chanteur est la dernière chose à faire car cela ne fait que l’encourager à récidiver…

Je comprends cette préoccupation humanitaire aussi bien que l’angoisse de la famille de Monsieur Vandecasteele, mais je ne pense pas que capituler face aux pressions de l’Iran soit judicieux. L’histoire nous apprend en effet que céder à un maître chanteur est la dernière chose à faire car cela ne fait que l’encourager à récidiver. Or, la persistance de l’Etat iranien a utiliser l’arme du terrorisme hors de ses frontières depuis plus de 40 ans démontre largement que cette tendance répond à la nature profonde du régime en place à Téhéran.

Il y aura donc d’autres attentats dans l’avenir ou d’autres projets d’attentats. Et que fera le régime si l’un de ses séides est arrêté ? Il prendra des otages, ce qu’il fait depuis 40 ans, puisque le chantage paye !

Alors peut-être cette loi aura-t-elle sauvé un homme, mais – outre le fait qu’elle aura permis la libération d’un terroriste condamné – elle en mettra bien d’autres en danger.

C’est donc à la fois pour des raisons de séparation des pouvoirs – respecter la chose jugée –  d’éthique – ne pas céder au chantage – et de sécurité – ne pas mettre en danger d’autres ressortissants belges ou européens – que je vous appelle, très respectueusement à écouter à la fois votre raison et votre conscience et à refuser de voter ce qui s’apparente à un arrangement indigne.

Car il existe une autre voie pour obtenir la libération des otages détenus par Téhéran. Le procès Assadi a prouvé – bien au-delà de le simple suspicion – que plusieurs ambassades d’Iran – et, donc, le ministère des Affaires étrangères lui-même, avaient participé à un complot terroriste sur le sol européen. La réponse la plus simple et la plus logique serait donc de rompre les relations diplomatiques avec l’Iran et de fermer ses ambassades en Europe. L’Iran a plus besoin de l’Europe que l’Europe n’a besoin de l’Iran. Et le régime tient à sa « respectabilité » comme à la prunelle de ses yeux.

Mesdames et Messieurs, l’honneur de la Belgique et de sa justice, mais aussi la sécurité des ressortissants belges et européens et de ceux qui vivent sur notre sol est entre vos mains.

J’ai confiance que vous, qui êtes les représentants du peuple et son ultime protecteur, saurez dire « Non ! » à la compromission que l’on vous demande d’avaliser.

 Claude Moniquet

Spécialiste du renseignement, ex-agent de la DGSE et cofondateur de l’ESISC, une société de consultance en affaires stratégiques