INONDATIONS

Hommage aux victimes : entre colère et émotions


Ce vendredi 15 juillet, Verviers se souvient encore des jours sombres de l’été dernier. Ce matin, une rencontre est prévue avec la bourgmestre, souvent contestée, Muriel Targnion. Il s’ensuivra un hommage aux victimes dans l’après-midi au cœur de l’un quartier les plus sinistrés de la commune. Comme lors de la commémoration qui s’est tenue hier matin à Chênée par la Région wallonne en présence du couple royal,  l’émotion, la lassitude et la colère restent palpables. Les sinistrés d’hier sont loin d’avoir dit leur dernier mot.

Des maux et des mots

Ils étaient une poignée ce jeudi 14 juillet à attendre, à Chênée, la venue du couple royal mais aussi à vouloir se faire entendre auprès des autorités politiques présentes en nombre à la cérémonie d’hommages aux 39 victimes décédées lors des inondations de juillet dernier.
Entre émotion et colère faussement contenue, ils sont restés attentifs aux interventions du bourgmestre de Liège, Willy Demeyer, suivie de celle d’Alexander De Croo, le Premier ministre puis des mots aux accents de prêcheur, du Ministre-Président wallon Elio Di Rupo.

On s’attendait à ce que l’on égrène les noms et prénoms des 39 victimes de tous âges, disparues suite à la montée exponentielle des eaux. Ce ne fut pas le cas. Pourtant, ces commémorations avaient été souhaitées en leurs noms. On aurait pu s’attendre également à quelques excuses, en plus des mots de réconfort afin de reconnaître les manquements qui ont eu lieu. Tels des repentis qui ont pris conscience que tout n’a pas été fait comme cela aurait dû l’être. Ce ne fut pas le cas non plus. En termes d’émotion pure, on comptera sur la participation magistrale de la chanteuse lyrique Julie Mossay, originaire de Verviers, pour assouplir les angles des différentes interventions officielles.

Il reste à faire

Face au parterre rassemblé, composé des familles des personnes disparues et des nombreuses autorités politiques tous pouvoirs confondus, le bourgmestre de Liège, située aux confluents des rivières sorties de leur lit l’an dernier (l’Ourthe et la Vesdre), Willy Demeyer, fit preuve de sobriété :  « Il y a un an, ici même, les eaux ont semé la désolation et la mort (…)  au nom des autorités politiques et des services de l’action sociale et des présidents de CPAS, je m’incline respectueusement devant les familles réunies (…) au-delà du bilan humain, cette catastrophe naturelle a occasionné d’innombrables dégâts. Je salue aussi les services de sécurité et la solidarité immense des citoyens venus de tout le pays. (…) A l’immensité des défis beaucoup a été fait mais beaucoup reste à faire » conclut-il.

Les familles et les officielles rassemblée ce jeudi sous le chapiteau où se déroulait la cérémonie d’hommages aux 39 personnes décédées lors des inondations de juillet 2021.

Merci aux Belges

Elio Di Rupo, sans mea culpa aucun, sans revenir sur ce qui aurait pu, peut-être, être évité, a salué, quant à lui, l’immense solidarité spontanée et immédiate de tous les citoyens,  de tous les Belges et des voisins européens, celle aussi de l’action des associations et des services publics.  « Ce 14 juillet 2021, le ciel est tombé sur la tête de la Wallonie   (…), ces femmes et ces hommes disparus ont laissé un grand vide qu’il serait illusoire de prétendre combler. Un an plus tard, les cours d’eau sont retournés dans leur lit mais votre chagrin couvre toujours un territoire immense »,  a déclaré Elio Di Rupo.

Nous sommes là pour vous aider à soulever le couvercle du chagrin et faire entrer la lumière

Et de poursuivre sur un ton solennel : « (…) Or, sur le territoire du chagrin, les repères sont rares (…) c’est pour ne pas laisser les familles des victimes à leur errance que nous avons voulu cette cérémonie. (…) Nous n’avons certes pas le pouvoir de faire revenir vos chers disparus mais nous allons les placer au centre de la vie de notre pays. Cet hommage est national, c’est une manière de vous présenter nos condoléances. (…) Tout est trop lent pour celles et ceux qui souffrent, je le comprends, la justice examine toujours les circonstances du drame et établira d’éventuelles responsabilités. (…) Rien n’est plus brutal que de perdre un proche dans de telles circonstances (…), Chères familles, la douleur de l’absence est tenace. Elle ne s’évapore pas comme sèche l’eau sur les murs. Vous n’avez pas pu échapper au malheur (…) soyez assurés de notre compréhension de ce que vous endurez depuis un an. Ecoutez ces paroles de réconfort, ces mots de fraternité; si ces paroles pouvaient adoucir un peu votre peine (…) nous en serions tous un peu soulagés. Vous n’êtes pas seules. Nous sommes là pour vous aider à soulever le couvercle du chagrin et faire entrer la lumière. »

Des mots qui firent grincer des dents le public rassemblé à l’extérieur du chapiteau où se tenait la cérémonie, provoquant même des cris de colères de certains sinistrés lors du départ des autorités politiques. Des mots un peu faciles aussi peut-être quant au sentiment d’abandon que beaucoup de familles de victimes disparues et la majorité des victimes des inondations ressentent encore un an après les pluies torrentielles.

La ministre wallonne Christie Morreale à la rencontre et à l’écoute des sinistrés en colère au sortir de la cérémonie. Elle est l’une des rares à avoir été à leur rencontre.

Et maintenant ?

Seule l’intervention emplie de pathos d’Alexander De Croo, visiblement ému, et qui osa citer le nom d’une jeune victime en contant brièvement ses dernières heures, fut largement applaudie et saluée par la petite foule présente aux abords du chapiteau pose sur la place du Gravier.
« Que faisions-nous quand le pire s’est produit ? Tout le monde s’en souvient tristement », a exprimé le Premier ministre. « Permettez-moi d’exprimer une nouvelle fois, toute ma compassion à  tous et à celles et ceux qui ont perdu un enfant, une mère, un père, un ami. (…) J’ai aussi une pensée pour toutes et ceux qui ont perdu un toit. Je remercie toutes celles et ceux qui ont aidé l’été dernier et qui continuent aujourd’hui encore (…) ».
Citant Victor Hugo, le Premier  a continué : « Il y a un an les habitants de la plus belle vallée faite au monde, ont vécu l’enfer. Nous nous sommes sentis si petits, si impuissants si en colère. (…) Mais au cœur de tout cela, la Belgique a vu naître des héros, les Belges se sont entraidés au-delà de la langue, sans se poser de questions. Je n’avais jamais vu une telle solidarité de ma vie. (…) Il y a un an, nous avons fait une promesse, celle de reconstruire pour rebondir (…) nous l’avons fait mais nous devons rester lucides. Reconstruire ne suffira pas. Reste des cicatrices, (…), il y a un an, nous nous sommes promis de transformer cette rage destructrice de la nature en une force transcendante d’actions, cette promesse d’agir, nous l’avons en partie tenue en jouant plus que notre rôle à la COP26, en plaçant la défense du climat au cœur de la stratégie de sécurité de notre pays. Nous devons aller plus loin. Cette promesse d’agir, je la réitère aujourd’hui devant vous. »

Et de conclure: « Il y a un an à Marcours, Ben, 14 ans, et Rosa participaient à un camps quand les eaux se sont déchaînées. (…) Ben après l’avoir retenue un moment tant bien que mal, n’a jamais revu Rosa; son corps sera retrouvé quelques jours pus tard. Depuis, Ben a lancé la campagne Justice’s climate pour Rosa pour que nous agissions. Il y a un an, la Vesdre, l’Ourthe et la Meuse ont vu naître des héros comme Ben et d’autres. A nous, de leur redonner espoir», a-t-il conclu.

Sur le chemin menant à la place du Gravier, à Chênée, où se tenait la cérémonie d’hommages aux victimes des inondations, des stigmates persistent encore.

Julie Mossay ponctuera cette cérémonie où jamais les familles des victimes n’interviendront, par l’interprétation d’un hymne national bilingue, empli de profondeur et d’émotion, renforçant l’intensité de cet hommage national rendu aux 39 personnes foudroyées par les eaux.

Nous n’avons pas rien fait.

Au départ du couple royal et des familles des victimes en direction du centre culturel local pour une rencontre plus intime, rares sont les politiques qui se sont attardés à rencontrer les autres sinistrés présents aux abords de la place du Gravier. Seule la ministre Morreale s’y risqua. Entre colère, cris et pleurs, certaines personnes encore en attente de reconstruction, encore traumatisées, partagèrent leurs sentiments que la ministre liégeoise écouta patiemment. Sous le soleil de ces 14 et 15 juillet 2022, tout n’a pas encore été dit.

Une petite foule patientait le passage des politiques pour manifester leur colère et au couple royal, le remercier de son soutien et de sa présence.

Hier, encore, sur le départ, la bourgmestre de Verviers, Muriel Targnion confiait appréhender la rencontre de ce matin lors des hommages rendus en sa ville envers « ses » sinistrés.
« Nous n’avons pas rien fait »,confie-t-elle. « On a fait ce qu’on a pu mais sans doute n’était-ce pas assez. Mais, toute cette colère de la part des citoyens, c’est difficile, croyez moi.  Verviers bénéficie du même montant d’aide financière régionale que l’ensemble des communes touchées par les inondations. Soit 2,5 millions d’euros mais nos besoins sont bien plus importants qu’ailleurs. Que pouvons-nous faire ? Comment le faire ? Nous allons devoir démolir des maisons, une trentaine d’abord, il faudra reconstruire, reloger. Ce montant est insuffisant. Comment le faire comprendre tant aux autorités qu’aux citoyens? Parfois, je me sens démunie », confie-t-elle visiblement touchée mais visiblement aussi, impuissante à agir mieux et plus rapidement afin de rencontrer les attentes, encore si nombreuses, de ses concitoyens.

Ce 15 juillet, les hommages se poursuivront dans les zones sinistrées un peu partout en Wallonie. Ne pas oublier, continuer à se relever. Même si c’est lent.