OPINION

Transfert en Iran d’un diplomate-terroriste : dernier coup de bluff ?

Le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD) avait défendu le traité à la Chambre. BELGA

Le Parlement belge est devenu ces derniers jours le centre de toutes les attentions. Déjà reporté à deux reprises, le vote qui doit confirmer le traité signé entre les chancelleries belges et iraniennes et permettant l’échange de prisonniers entre les deux pays focalise les regards. Plus encore que la décision finale qui doit être rendue le mercredi 20 juillet, ce double report est signifiant. Il dit toute la pression que subissent actuellement celles et ceux qui doivent décider du destin d’autrui avec la conscience de se situer à un nœud de l’histoire moderne.

Emotion vs Raison

D’un côté, l’émotion de la famille Vandecasteele qui espère que les parlementaires belges feront “le bon choix“, à savoir faire « tout ce qu’il faut pour sortir des prisonniers innocents de pays tels que l’Iran. » Tout ce qu’il faut, c’est bien évidemment voter pour valider l’accord de transfèrement de condamnés entre les deux pays. Un vote qui permettrait le retour d’Olivier Vandecasteele, citoyen Belge de 41 ans, travailleur humanitaire emprisonné dans la prison d’Evin (l’une des pires qui soient) sans que les raisons de sa détention aient été dévoilées par les autorités iraniennes. Confiné à l’isolement dans une cellule éclairée 24h/24, sans même un matelas depuis deux mois, le jeune Olivier vit un véritable calvaire au pays des mollahs.

D’un côté, l’émotion de la famille Vandecasteele qui espère que les parlementaires belges feront “le bon choix“, à savoir faire « tout ce qu’il faut pour sortir des prisonniers innocents de pays tels que l’Iran. »

De l’autre la raison, incarnée par le CNRI, le Conseil National de la Résistance Iranienne, arguant du fait que les mollahs se servent justement de cette émotion pour valider rapidement l’échange entre Olivier Vandecasteele et Assadollah Assadi, un diplomate terroriste, cerveau de l’opération visant le CNRI et ses partenaires politiques internationaux lors du grand rassemblement du Parc de Villepinte fin juin 2018. Le pire avait pu être évité grâce à l’étroite collaboration des services de police allemands, français et belges et Assadi s’était vu condamné à 20 ans de réclusion en Belgique par le tribunal d’Anvers l’an dernier. Il ne fait aucun doute que le but du régime religieux iranien est d’extrader le diplomate en usant, une fois de plus, de la diplomatie de la prise d’otages.

Une fois de plus, car ce mode de fonctionnement est extrêmement courant chez les mollahs d’Iran. Pour preuve, le dernier cas en date remonte seulement au mois de mars 2022. Confronté à une situation sensiblement équivalente, le Royaume-Uni a choisi de faire profil bas et d’accepter l’échange de leur ressortissante binationale Nazarin Zaghari-Ratcliffe contre pas moins de 394 millions de Livre Sterling (463 millions d’Euros !). Mais si cette transaction entre Britanniques et Iraniens a jouit d’une étrange discrétion médiatique, c’est loin d’être le cas du traité Belgo-Iranien en cours. Et c’est cette exposition qui fait toute la différence. Certes, on peut compter deux autres différences majeures. D’abord, il ne s’agit pas d’un échange contre une rançon, quoique la rançon ici ressemble à s’y méprendre à Assadollah Assadi. D’autre part, il ne s’agit pas d’un one shot. Le traité signé engage les deux pays sur le long terme et garantit à la République islamique un accord de libération de ses ressortissants au sein d’un pays fondateur de l’UE. Plus qu’un traité, c’est un véritable symbole d’écrasante victoire pour les mollahs.

La vie comme monnaie d’échange

Depuis son avènement, la République islamique d’Iran n’a cessé de jouer de la menace et de la terreur. A l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Dans un discours prononcé en novembre 2009, Mohammad Ali Jaafari, ancien commandant des Gardiens de la Révolution, précisait que « sans la crise des otages, la révolution aurait pris fin dans la toute première décennie. » Dont acte. Sa survie, le régime de Téhéran la doit donc à sa diplomatie du terrorisme. Dès que l’occasion se présente, il kidnappe des ressortissants occidentaux présents sur son territoire (avec une préférence pour les binationaux) en les accusant de maux passibles de la peine de mort selon les lois de la charria. Ces désormais otages croupissent alors en prison jusqu’à ce qu’un besoin quelconque se fasse sentir ; argent frais, accords commerciaux contraints ou libération de terroristes emprisonnés à l’étranger. Et force est de constater que le business est florissant si l’on en juge par la quantité d’affaires discrètement conclues de la sorte.

Le traité signé engage les deux pays sur le long terme et garantit à la République islamique un accord de libération de ses ressortissants au sein d’un pays fondateur de l’UE.

Cette fois cependant, l’affaire en question est d’une toute autre ampleur. La faute aux médias qui s’en sont emparés et l’étalent au grand jour. Et quoiqu’on en dise, cette exposition médiatique change considérablement la donne. Ce qui autrefois était secrètement négocié dans les alcôves des républiques se joue aujourd’hui en place publique. Entraînant une vraie crise de conscience collective dans toute l’Union Européenne, engagée par ailleurs dans des négociations sans fin sur le dossier du nucléaire iranien.

Enième coup de bluff

L’Iran nous rejoue donc sa énième version du coup de bluff. Pourquoi le pays s’en priverait-il puisque sur les dernières mains, ses adversaires se sont toujours couchés ? Mais cette fois, l’Iran est obligé de l’emporter. Plus encore que les fois précédentes. La crise sociale et politique qui se fait jour au pays depuis 2019 fait subir une pression colossale au guide suprême, qui s’enferme toujours plus avant dans sa politique répressive et s’entête toujours plus fort à posséder l’arme nucléaire. Si bien que ce coup de bluff pourrait bien être le dernier.

Car, en cas de refus des parlementaires belges à voter le traité de transfèrement des condamnés, le régime se trouverait dans une situation inextricable. Soit il met ses menaces à exécution et les médias de toute l’UE se feront le relais d’un crime sans nom, de l’assassinat pur et simple d’un travailleur humanitaire sans qu’aucune raison juridique réaliste ne puisse même sauver les apparences. Soit il se rétracte et c’est toute la crédibilité du guide suprême et des Gardiens de la Révolution Islamique qui risque de s’écrouler, précipitant la chute d’un régime déjà fortement secoué sur ses bases.

Certes, en cas d’accord signé, aucune de ces alternatives n’échoira aux dirigeants iraniens. La vie suivra son cours et les prises d’otages succéderont aux attentats terroristes partout dans l’Union Européenne, en toute impunité.

En cas de refus des parlementaires belges à voter le traité de transfèrement des condamnés, le régime se trouverait dans une situation inextricable.

L’existence d’une troisième voie ?

Il pourrait néanmoins exister une porte de sortie ; signer le traité de transfèrement de condamnés, en excluant explicitement tout échange avec un terroriste. Mais dans ce cas, l’Union Européenne devrait sûrement s’asseoir sur ses espoirs de négociation du pétrole Iranien. Depuis les sanctions voulues par les États-Unis à l’encontre de la Russie, les pays de l’UE voient la facture énergétique augmenter dramatiquement et la perspective de pénurie énergétique se profilant à l’horizon de l’hiver prochain est un motif de stress grandissant. Il y a peu, le ministre allemand de l’écologie[i] s’est vu contraint de prêter allégeance aux cheikhs Qatari et Emirati, en dépit de toutes ses convictions humaines et politiques. Les parlementaires belges s’agenouilleront-ils également devant la double menace iranienne, dans l’espoir d’une vie sauve et de quelques barils de pétrole ?

Refuser la signature et obliger le guide suprême à effectuer un mauvais choix est l’occasion unique de précipiter le régime terroriste de Téhéran et de faciliter l’accès à la démocratie d’un peuple

La république islamique est au bord de l’effondrement. Refuser la signature et obliger le guide suprême à effectuer un mauvais choix est l’occasion unique de précipiter le régime terroriste de Téhéran et de faciliter l’accès à la démocratie d’un peuple qui attend la liberté depuis Mohammed Mossadegh en 1953-54. Car les deux options qui s’offriront au guide suprême sont l’assurance d’une fin accélérée d’un régime qui n’a que trop vécu, soit à cause de la pression des peuples occidentaux sur leurs personnels politiques dans les négociations actuelles et futures et qui ne feront que durcir les sanctions économiques, soit à cause de la pression politique et populaire en Iran. Dès la chute politique de Téhéran, les chancelleries occidentales auront alors l’occasion de nouer des relations diplomatiques bien plus cordiales avec une démocratie alliée dans une région instable. Avec toutes les conséquences positives imaginables en matière géostratégique et énergétique…

Pour une fois, forçons l’Iran à abattre ses cartes.

 

[i] Le 20 mars 2022, Robert Habeck se voyait contraint aux courbettes devant le cheikh Qatari Ben Hamad al-Thani. Il recommencera le 21 mars aux émirats arabes unis, avec pour objectif la négociation de contrats de livraison de gaz naturel liquéfié, loin, très loin de ses conceptions vertes…

Hamid Enayat

Ecrivain

Politologue et expert de l’Iran basé à Paris