SOCIETE

« Mandela Rules » et défauts de soins : des détenus aux oubliettes d’un système vicié


Condamné pour fraude fiscale, Patrick Balkany était incarcéré depuis le mois de février dernier. Il a demandé à bénéficier d’un aménagement de peine pour raison de santé. La cour d’appel de Paris a autorisé l’ancien maire de Levallois-Perret à sortir de prison ce vendredi 5 août. « Cette décision est irréprochable en droit, car rien ne justifie le maintien en détention d’un homme de 73 ans qui a déjà purgé les deux tiers de sa peine », a assuré à l’AFP, Maître Binsard, son conseil. Sur les réseaux sociaux, des anciens détenus et familles de détenus s’insurgent. Une vidéo fait particulièrement le buzz : « Joseph n’a pas Balkany pour nom de famille. Joseph est malade mais n’a pas d’aménagement de peine, alors que le bracelet est ouvert aux + de 70 ans. Joseph doit rester enfermé à la prison de Val de Reuil ». Le message multi partagé pointe non seulement un traitement différencié, mais rappelle surtout le manque d’accès aux soins de santé en prison. Une situation dans l’hexagone similaire à la Belgique et moulte fois décriée par l’Observatoire International des Prisons (OIP). Notre pays a souscrit aux « Nelson Mandela Rules », soit les Règles minimales des Nations Unies pour le traitement des prisonniers. Et pourtant, le manque d’hygiène et le défaut de soins font la loi.

A la mi-juin, dans une résolution publiée, le comité des ministres du Conseil de l’Europe s’est dit profondément préoccupé de l’aggravation de la situation des prisons belges, en dépit de diverses mesures annoncées depuis longtemps.
Cellules surpeuplées, annexes psychiatriques vétustes, absence de suivi médical, le Comité Européen de prévention de la torture (CPT) condamne également régulièrement la Belgique pour son système carcéral inhumain, tant du point de vue des conditions de détentions qu’en ce qui concerne le suivi médical des détenus. Problèmes dentaires, ophtalmologiques ou cancers non détectés, un rapport de l’OIP, de ce 6 juillet 2022, dénonce aussi le manque d’accès aux soins spécialisés en prison.

Un nid à infections multiple

Présence de rats et de cafards, non renouvellement du linge de lit, nourriture avariée, le cadre de vie en les murs relève d’un autre temps et favorise la prolifération des infections. La prévention des maladies telles que la tuberculose, la gale, l’hépatite ou le VIH laisse à désirer. Les produits d’hygiène ne sont pas de bonne qualité et aucun soin dermatologique n’est proposé, alors que les détenus souffrent de dermatites chroniques en raison des paillasses qui font office de matelas et des moisissures sur les murs des cellules et dans les douches.

Solution ultime, quand le mal est insoutenable, ils se tapent la tête contre les murs pour s’arracher leurs dents eux-mêmes.

Michel B., un détenu que nous avons eu au téléphone, est en colère : « La nourriture est régulièrement avariée. On vit à côté des seaux qui contiennent nos excréments. Vous ne laisseriez pas vivre votre chien ici. Si vous le faisiez, vous auriez toutes les associations de protection des animaux sur le dos ! ».

Copyright – Capture d’écran de la vidéo qui fait le buzz en réponse à la libération de Patrick Balkany : « Joseph fait partie de ces détenus qui sortent rarement de leur cellule. Atteint de la maladie de parkinson, il vit depuis 5 ans dans un fauteuil roulant. De temps en temps, comme ici, un codétenu l’aide à se dégourdir les jambes sur l’escalier de sa section. »

Un suivi médical déficient

L’insuffisance de personnel médical est un problème chronique. Les délais d’attente pour obtenir une consultation, même en cas d’urgence, s’étirent sur plusieurs semaines. Les délais pour consulter un dentiste sont également extrêmement long et les soins sommaires, la durée des rendez-vous se limitant à une heure par détenu. Plusieurs d’entre eux souffrent donc d’abcès dentaires.
Solution ultime, quand le mal est insoutenable, ils se tapent la tête contre les murs pour s’arracher leurs dents eux-mêmes. A cela s’ajoute des équipes de soins démotivées. Les médecins généralistes qui pratiquent en prison sont à bout depuis une dizaine d’années.

L’informatique laisse aussi à désirer. Les données médicales des détenus ne sont pas connectées au réseau de santé. Les médecins ont donc du mal à accéder aux examens qu’ils ont subi, scanners ou IRM, ce qui retarde les prises en charge. Enfin, lorsqu’ils sont transférés d’une prison à une autre, les détenus ont du mal à obtenir le transfert parallèle de leur dossier médical.

Des extractions entravées

Faute de matériel ou de spécialistes intervenant en prison, de nombreux soins doivent être réalisés à l’hôpital et nécessitent l’organisation d’extractions médicales. Mais, les examens médicaux à réaliser à l’extérieur de la prison sont très souvent reportés, parfois de plusieurs mois, même dans le cas de fractures, en raison d’un manque d’effectifs. Et quand elles peuvent avoir lieu, les conditions dans lesquelles se déroulent ces extractions découragent les personnes détenues, qui préfèrent alors souvent renoncer à se soigner. Or, un diagnostic retardé ou un défaut de soins peuvent entraîner des conséquences graves.
Malgré plusieurs interpellations du corps médical évoluant en prison, leurs conditions de travail ne semblent pas s’améliorer, au contraire.

Copyright – Observatoire International des Prisons (OIP).

Quand l’Etat oublie ses engagements …

La Loi du 22 août 2002, relative aux droits du patient, prescrit que « tout citoyen belge est un patient et a droit aux mêmes soins de santé où qu’il soit », citoyen libre ou privé de liberté.
Les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) abondent dans le même sens : « Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre ».
De même, la loi de principes du 1er février 2005, concernant l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus, prévoit que « L’exécution de la peine ou mesure privative de liberté s’effectue dans des conditions psychosociales, physiques et matérielles qui respectent la dignité humaine, permettent de préserver ou d’accroître chez le détenu le respect de soi et sollicitent son sens des responsabilités personnelles et sociales ».

Il est grand temps que (…)  le SPF Justice et le SPF Santé (…) se penchent réellement sur la santé des personnes détenues.

La Belgique a souscrit aux « Mandela Rules » qui stipulent trois grands principes en matière de soins de santé en prison : l’équivalence des soins aux détenus par rapport à ceux prodigués dans la société, la continuité des soins et l’indépendance des prestataires de soins.
Déjà en 2017, selon un rapport publié par la Centrale Fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), le séjour en prison entraîne une dégradation de l’état de santé des individus, conduisant ainsi seulement 51,2% des détenus à être en bonne santé, contre 74,1% dans la population belge globale.

Le droit fondamental à une qualité de soins n’est pas respecté en prison. Pour l’Observatoire International des Prisons (OIP), il est grand temps que l’Etat belge, et le SPF Justice et le SPF Santé en particulier, se penchent réellement sur la santé des personnes détenues. Les effets d’annonce et les mesures-spectacles inefficaces ne suffisent plus.