FRANCE

Festival d’Avignon : bilan en demi-teinte pour l’édition 2022…


Durant le mois de juillet, Avignon se transforme en ville théâtre d’une scène géante. Pour les anciens et intellos, Avignon, c’est l’art en lettres majuscules qui résonne aux accents de Jean Vilar et de Gérard Philipe, dans la fabuleuse Cour des Papes qui, elle aussi au départ, n’avait rien d’un lieu de spectacle, c’était il y a 76 ans. Le festival ne se nommait pas encore « in » car ce n’est qu’au milieu des années 1960, en réaction à des créations trop élitistes, que le « off » fut lancé dans les remparts. Le « in », très institutionnel, a longtemps ignoré le « off » trop populaire et anarchique rendant la coexistence très houleuse. Cette année, la 76e édition côté « in » proposait 270 représentations dans 40 lieux, c’est-à-dire 46 spectacles. Côté « off »‘ la 56e édition a rassemblé 138 lieux, soit 220 salles accumulant plus de 33.000 représentations. Avignon offre deux festivals ultra complémentaires en un.

 Je n’ai suivi que le « off » cet été, tout en observant que les publics étaient très différents dans la rue et dans les restos nappés en fonction de leur goût « in ». En franchissant les remparts de la vieille ville, vos yeux, vos mains et vos oreilles sont inondés d’affiches, de tracts, et de bonimenteurs maladroits vantant les mérites de leurs prestations dans tel ou tel spectacle. Un festival « off » qui, comme chaque année, regroupe de nombreuses troupes de compagnies théâtrales souvent subventionnées par leur région d’origine. Avignon, c’est aussi le rêve du comédien solitaire qui espère se faire repérer par les programmateurs et surtout, gagner quelques euros en complément de son salaire mensuel d’intermittent du spectacle. Un festival qui se cicatrice de la crise du Covid-19. L’édition 2021 offrit des spectacles en demi-teintes et des rues très calmes. La suspicion de l’épidémie et la crainte de la fermeture des salles régnait : « on y va, on n’y va pas » armé du masque obligatoire ?  Juillet 2022, le Covid semblant avoir capitulé, Avignon devait reprendre ses couleurs de l’optimisme, mais c’était sans compter certains variants, la canicule et les réservoirs d’essence plus difficile à remplir et un Vladimir Poutine (président de la Russie, ndlr) qui faisait flotter le malsain sur le monde, c’est-à-dire la peur. Malgré tout, le virus de l’imagination a plané sur le retour en force du « off » d’Avignon. Il fallait rattraper le temps et l’argent perdus ! Au programme, plus de 1.570 spectacles, dont mille créations.

Par le petit bout de la lorgnette

Il faut savoir qu’Avignon, du moins dans les remparts, se vide chaque juillet de sa population habituelle et que chaque habitant veut tirer un profit de l’évènement. Les restos, fermés le reste de l’année, espèrent que leur menu remplira leur bas de laine estival. Nombreux sont ceux qui essaient de louer leur appartement aux comédiens qui s’y installent. Il faut souligner que la ville d’Avignon a proposé de nombreux lieux d’accueil aux artistes, lieux dont la majorité est fermée durant l’année. Pareil pour les salles de spectacle. Des cinémas, de vieilles chapelles, des salles de séminaires sont dédiés au théâtre. Certains aussi ! Des habitants transformaient naguère leur garage et facturaient à prix d’or ces lieux hâtivement troqués en salles de spectacles. Des normes de sécurité, aujourd’hui imposées par les pompiers, ont mis fin à ces pratiques peu scrupuleuses. La loi est la loi, mais aussi au détriment des habitués de la rue, les sans-abris qui n’ont pas été les bienvenus ; la police municipale devant, sur ordre préfectoral, les faire dégager. Soulignons enfin la présence rassurante et permanente des brigades de l’armée, mitraillettes au poing, et des gendarmes.

 Un coup de poker théâtral

Les comédiens qui n’ont pas, tous, la chance de percevoir des subsides de leur région déboursent des sommes astronomiques pour jouer sans être sûrs de gagner. Il faut avoir vécu le festival pour vraiment comprendre le phénomène. Les salles passagères se louent, pour une représentation, entre 2500 euros et 5000 euros. Chaque salle, entre 10h du matin et 23h, accueille une dizaine de compagnies ou comédiens en solitaire. Prenez donc vos calculettes : 24 jours de festival x 10 spectacles x 5000 euros… la somme est plantureuse ! Les salles équipées plus officieuses sont louées par des producteurs professionnels qui relouent les lieux aux compagnies à des prix avoisinant les 15 à 20.000 euros. Un profit énorme pour quelques exploiteurs peu délicats et imposant une minuterie aux artistes : entre chaque représentation qui dure plus ou moins septante minutes, le comédien dispose de 15 minutes pour dégager les lieux et laisser sa place au suivant.

Les rues se transforment également en planches. Une ribambelle d’ambulants sillonne les rues en distribuant des tracts aux festivaliers et en collant des affiches sur tous les supports possibles. Les acteurs moins fortunés tractent eux-mêmes, ils sont croisés et recroisés dans la rue, flyers en main, faisant la retape et haranguant le badaud pour remplir leur salle. Avec la canicule, comment veux-tu que je te conciliabule ? Le public apprécie, choisi, se laisse séduire… Les places sont vendues de 17 à 33 euros. Il ne faut donc pas rater son coup et, parfois, le choix d’un spectacle reste un casse-tête. Quand les familles sont nombreuses, je pense que c’est un peu cher payé ! Quelques personnalités connues du grand public, n’hésitent pas à s’afficher dans cette grande cavalcade du « off », au hasard des affiches. Cette bousculade de la culture créative permettra à de nombreux producteurs et programmateurs de salles de spectacles, de télévision d’assurer les beaux jours de leurs propres lieux de spectacles.

Un affichage réglementé vert

L’affichage, qui transforme les rues de la cité en couleurs, s’est vu cet été réglementé. Fini, le « je t’arrache dans la nuit si tu t’es recollé sur moi ». Défense de buriner les arbres de punaises et clous. Interdiction d’afficher sur les statues et les monuments publics. Il fallait se servir d’une ficelle dégradable. Ceux qui ont désobéi se sont vu infliger des amendes. En fait, malgré tout ce papier consommé en programmes, tickets et flyers, les affiches restent importantes et omniprésentes. Elles donnent cet air de fête et s’agitent suivant le mistral pour animer journées et longues soirées.

Contrairement aux dires de certains écolos, le bois qu’utilise l’industrie papetière provient de coupes d’éclaircies faites dans le cadre de l’entretien des forêts. Des coupes qui favorisent le développement des plus beaux arbres par l’élimination des arbres plus chétifs. 60% des matières utilisées par l’industrie du papier proviennent du recyclage et le tout est prouvé par les très sérieux membres d’« ecotree ». Cet aparté clouera le bec aux politiciens soi-disant défenseurs de la nature qui s’opposent aux affiches durant le festival. Par contre, il est bon de souligner le travail des services communaux qui, à toute heure du festival, veillèrent à ce qu’Avignon reste propre et sécurisé.

Un bilan en demi-teinte

Cette année, les spectateurs semblaient moins nombreux et les spectacles de rues au chapeau attiraient plus. Au gré des pages du programme, j’ai pu remarquer que le festival a donné la part belle aux morts… histoire de ne pas payer de droits d’auteurs ! Avec bonheur, nous avons échappé aux « stand-up », phénomène qui vient de passer de mode et heureusement, car les thèmes toujours identiques sont sans intérêts et l’agressivité blessante et souvent ridicule vis-à-vis des spectateurs était monnaie courante.

Aux dires de beaucoup, les compagnies semblent avoir eu un coup dans l’aile ! Le « off » a une fréquentation qui a fait le « yoyo », déclarent à l’issue du festival les organisateurs. Une baisse de 30% par rapport aux années d’avant le Covid. Selon une étude réalisée, 16 % des festivaliers sont des locaux et 13% d’entre eux ont entre 12 et 35 ans. Que faut-il en conclure ? Je ne sais pas ! La seule chose dont je suis sûr c’est qu’Avignon n’est pas mort. L’ambiance y est unique et l’intérieur des remparts est inondé de personnes disparates à la joie de vivre. C’est une grande fancy-fair ou passionnés, curieux et décideurs se côtoient dans une bonne humeur assez incroyable. Avignon est magique et multigénérationnelle.

Dans une prochaine chronique, je vous ferais partager mes coups de cœur et quelques gros plans sur les Belges en Avignon.

Hervé Meillon